Appel à publication : « Le mandala et ses figures dans la modernité artistique », Déméter #7 hiver 2022
Le bouddhisme tantrique, aussi bien le Vajrayana indien que le Shingon japonais, accorde une place première au mandala comme objet de contemplation symbolisant le corps de Loi. En réalisant ou en contemplant un mandala, le pratiquant peut s’éveiller à son identité fondamentale d’avec le corps de Loi et ainsi avec le Bouddha universel Vairocana. « Mandala » qui se traduit par « cercle » ou « plateforme » désigne fondamentalement toute réalité manifestée, car, selon la doctrine tantrique, rien ne saurait exister sans être une manifestation de corps de Loi, c’est-à-dire sans posséder l’essence, et par conséquent sans être un mandala. Si toute entité est bien dotée de l’essence (esprit d’Éveil), néanmoins, le bouddhisme ésotérique distingue le Mandala de nature propre, c’est-à-dire le Mandala en soi (le corps de Loi), et ses différentes expressions et représentations symboliques et abstraites, dont le mandala figuratif, support de contemplation. Mais cette distinction entre l’essence et le manifesté est qualifiée elle-même d’illusoire et doit être dépassée. Ainsi, par la pratique du mandala, l’adepte « transforme son corps en un dharmadhātu-mandala » et « provoque ainsi l’épanouissement des vertus de Buddha qui préexistent en lui-même. » Cette prise de conscience s’opère par un mouvement de centration – ce qui fait de la figure du cercle, le mandala le plus simple et le plus accompli. « Forme(s) spontanée(s) surgie(s) des plus profondes couches de l’esprit humain », le mandala n’a ainsi de réalité que dans le mouvement intime et spontané dont il procède chez celui qui l’effectue, mouvement qui opère aussi chez le contemplant.
Les propositions de contribution seront soumises aux coordinateurs du numéro thématique le 20 janvier 2021 au plus tard. Les auteurs dont la proposition aura été acceptée devront adresser leur article avant le 15 mai 2021.
Les propositions, accompagnées d’une courte présentation bio-bibliographique de l’auteur, doivent être envoyées en format word (.doc) ou opendocument (.dot) aux adresses suivantes :
La conférence-performance, qui constitue désormais une forme, peut-être même un genre à part entière, reconnu voire institutionnalisé dans le champ de l’art contemporain, s’est également imposée sur les scènes théâtrales et chorégraphiques. Par ce vocable aux contours mal définis, on désigne des pratiques très diverses qui, de la conférence à la performance, se déploient en un prisme de lieux, de modalités de discours et d’interprétations, renouvelant les formats spectaculaires. Cette forme rend bavards les arts les plus résistants à la parole – comme le montre bien la présence de la danse dans ce numéro –, transforme les fonctions habituelles du langage au théâtre et interroge de façon critique la discursivité conquise par certains arts qui ont combattu et dépassé depuis plusieurs décennies le mythe moderniste du silence des œuvres. Elle ouvre ainsi un espace de réflexion stimulant sur les usages du discours, tant dans les conférences que dans les formes scéniques adoptant ce format.
En avril 1894, Lucien Muhlfeld, critique littéraire, récemment démis de ses fonctions de secrétaire de rédaction de la fameuse Revue blanche, donne une conférence presque tombée dans l’oubli aujourd’hui, la « Conférence sur la conférence » – ce, dans un haut lieu du théâtre symboliste parisien, le Théâtre de l’Œuvre. On propose d’analyser comment, dans un contexte fin de siècle où la conférence est un divertissement particulièrement prisé, Muhlfeld va, avec sa conférence, tenter de produire une forme qui lui permettrait de contester les modèles divertissants de la conférence et du théâtre dominant tout en un. On mettra notamment en lumière comment Muhlfeld, pour atteindre son objectif, fonde son entreprise sur la réappropriation des ressorts dramaturgiques d’une forme théâtrale populaire dans le monde des cabarets et des salons d’alors, le monologue comique. Loin de s’en tenir aux attendus d’une pareille forme, on montrera comment le conférencier performe un programme critique largement inspiré par celui formulé par Mallarmé dans ses « Notes sur le théâtre » publiées quelques années auparavant dans La Revue indépendante (1886-1887).
Si la conférence-performance a attiré l’attention de nombreux théoriciens et historiens des arts contemporains, elle est encore peu étudiée dans le champ littéraire. Or, ce medium constitue une plateforme d’observation particulièrement intéressante des différentes tendances à l’œuvre dans la création littéraire contemporaine. Par ailleurs, une démarche archéologique permet, à partir de cette notion, de considérer avec un regard neuf les conférences d’écrivains du passé, non comme de simples textes théoriques, mais comme de véritables performances. C’est donc à partir d’un point de vue littéraire que nous tenterons de penser ce medium hybride, mobilisant des pratiques artistiques, des discours théoriques et des supports médiatiques divers.
Le travail de Violaine Lochu se réalise sous différentes formes – vidéos, pièces radiophoniques, performances – dont le dénominateur commun est l’expression vocale. Il se fonde sur des traditions orales et sur la collecte des paroles d’autrui. À partir de récits, de chants, de manières de dire, Violaine Lochu construit une œuvre qui relève de la poésie sonore, qui met en jeu différents registres musicaux et qui se nourrit de psychanalyse, de linguistique, de sociologie. http://www.violainelochu.fr
C’est de trois conférences performances, Stranieri Ovunque, Animal Mimesis, et Stellar Acoustics Station qu’il est question ici. Violaine Lochu présente les conditions de leur genèse, les partis pris qui les régissent, la place qu’elles occupent dans l’ensemble de son travail. Elle montre les spécificités de cette forme-là dans le cadre de ses recherches sur l’oralité, en particulier sa capacité à mettre en question certaines valeurs et rapports de force.
Cet article revient sur la conférence qu’Antonin Artaud a donnée le 13 janvier 1947 au Théâtre du Vieux-Colombier à Paris. Lors de cette séance, devenue rapidement une référence mythique pour toute une génération d’intellectuels et d’artistes d’après-guerre, Artaud a tenté une sortie du cadre double et radicale, en essayant d’aller au-delà de la conférence, mais aussi du théâtre en tant que représentation. L’article interroge la quête paradoxale d’« authenticité » au cœur de cette tentative.
De 2009 à 2018, le Centre Chorégraphique de Rennes, renommé Musée de la danse par son directeur, le chorégraphe Boris Charmatz, a cherché à élargir le champ d’action et de réception de la danse en mélangeant les pratiques, les formes et les discours. Au fil d’expositions performées (expo zéro, 20 danseurs pour le XXe siècle, Fous de danse) actant le brouillage des frontières entre problématiques muséales et chorégraphiques, la parole – qu’elle soit pure improvisation, mise en contexte ou construction d’un dialogue – a servi d’outil réflexif permettant de situer le corps dansant, et de convertir en danse des pratiques et des discours qui ne se conforment pas à ses codes.
En novembre 2018 a eu lieu au Théâtre National de Bretagne le dernier événement organisé par le Musée de la danse : La Ruée, une performance collective basée sur le livre Histoire mondiale de la France, dirigé par Patrick Boucheron. Performeurs, danseurs ou comédiens ont envahi les espaces du théâtre et activé une date, créant une constellation d’actions simultanées, construisant un nouage singulier entre révélation de zones méconnues de l’Histoire et actualisation de leur sens au présent. Avec cette question, comment faire passer l’Histoire dans les corps, la Ruée problématise la possibilité de performer un discours et permet d’interroger le statut de la parole mise en action par le Musée de la danse durant ses neuf années d’existence.
Inging est une performance créée en 2010 par la chorégraphe new-yorkaise Jeanine Durning, durant son Master de chorégraphie à Amsterdam. Simon Tanguy performe ce solo en français depuis 2016. Étudiant au SNDO d'Amsterdam, il a rencontré Jeanine Durning durant ses études. La performance inging a été montrée dans de multiples lieux : plateaux de théâtre, ateliers, salle de classe, festival de danse, festival d'Avignon, rencontres universitaires. L'enjeu de ce travail est de sortir du langage en parlant sans pause, toujours en changeant de sujet. Le texte n'est ni écrit, ni improvisé. L'acte de parler est très préparé en amont. Cette tentative de sortie du langage est vouée à l'échec. Mais la persistance de la consigne, celle de ne jamais se taire, crée la performativité de cette pratique. La performance se déplace vers un pari sportif, une confession, une conférence philosophique, un stand-up. Simon Tanguy, dans cet article, explique son expérience, les ressorts techniques pour tenir la consigne et les enjeux artistiques impliqués par le travail.
En août 1832, le PÈRE des saint-simoniens, Prosper Enfantin, opposa au tribunal qui le jugeait pour immoralisme une défense inédite articulée par ses seuls regards, ses silences, ses gestes. Cette corpeaugraphie, exempte de toute subordination à l’écrit, visait notamment à incarner en creux, face au pouvoir institutionnel, la place de la femme affranchie jusqu’alors interdite de droit à la parole. Par cette performance sensible où son corps en vint à dépasser politiquement l’assignation au silence pour tenter d’ouvrir une voie tangible à l’émancipation, Enfantin offrit non seulement aux femmes l’espace d’une utopie dont elles s’emparèrent aussitôt par la fondation de La Femme libre, premier journal féministe, mais encore un espace ouvert à la réhabilitation de la chair comme à l’expression des désirs et pour l’émergence duquel devaient en premier lieu se mettre en mouvement les artistes, les hommes à imagination.
La conférence-performance Quand le corps délivre des images met en scène les éléments constitutifs de la conférence d’histoire de l’art (dispositif oratoire, contenu théorique, PowerPoint avec reproductions d’œuvres) mais avec une conférencière mutique, le texte étant préalablement enregistré et diffusé à travers un dictaphone. Les nombreuses images défilent de manière autonome à un rythme continu, émancipées du texte qui ne les commente pas plus qu’elles ne l’illustrent. La gestuelle décalée de l’oratrice que j’incarne et les objets que je manipule s’ajoutent aux images projetées de corps, brouillant la frontière entre différents registres de présence. C’est ainsi la capacité des objets et des images à produire du discours qui surgit dans cette transmission du savoir sur le mode sibyllin où le montage d’éléments hétérogènes et la collision qu’il provoque exacerbent les affects liés au fait d’incarner, en tant que femme, une parole d’autorité.
Ce texte vise à rendre compte, sous la forme d’une retranscription commentée, de la conférence performée qui s’est tenue à Clermont-Ferrand à l’automne 2018. Cette tentative de restitution fut l’occasion pour son auteur de penser les changements nécessités par le passage de la forme spectaculaire à la forme écrite.
Cet entretien avec Laurent Pichaud, sur la pratique des conférences performées qu’il développe depuis quelques années, fut réalisé en 2018 par Marion Le Nevet, étudiante en master 2 arts de la scène, parcours « Perspectives critiques », à l’université Rennes 2, dans le cadre de son mémoire de recherche intitulé : « Le statut de l’artiste-conférencier dans la conférence-performance ».
La contribution essentielle d’Yvonne Rainer à l’histoire de la conférence-performance est encore largement sous-estimée. Ingrédient crucial de la danse rainerienne, la voix s’impose pourtant dès ses premières pièces chorégraphiques, au début des années 1960. Dans ces œuvres, la juxtaposition disjonctive de la danse, du bruitage vocal et du discours oscille entre parodie ironique, didactisme et parole autobiographique. Celle qui affirme que « la danse est difficile à voir », intègre au cœur de sa démarche chorégraphique les questions de la monstration et de la démonstration du mouvement. Entre 1968 et 1970, Rainer développe un format performatif qu’elle dénomme performance demonstration (performance-démonstration), un genre de collage en perpétuelle mutation, mêlant mouvements, textes, images et sons. En éclairant les enjeux kinesthésiques, pédagogiques, théoriques et personnels des conférences performées créées par la danseuse et chorégraphe durant les années 1960, nous proposons de décaler le regard pour discuter la part de la subjectivité, de la critique et de la subversion dans ce format performatif.
Pauline Le Boulba revient sur La langue brisée (1) une performance qu’elle crée en septembre 2015 et dans laquelle elle partage avec d’autres spectateur·rice·s la manière dont elle est tombée amoureuse d’une œuvre. À rebrousse-poil d’une pratique critique qui garderait une distance raisonnable avec son objet d’étude, elle préconise l’affect amoureux comme geste critique et opère un geste de renversement dans le rapport œuvre-spectateur·rice.
L'objet de cet article est de questionner la catégorie littéraire et/ou esthétique sous laquelle il convient de ranger l'œuvre de Federico García Lorca Jeu et théorie du duende. Ce texte, écrit et prononcé entre 1930 et 1934 en Amérique latine, est généralement considéré comme une conférence. Et en effet, Lorca présente lui-même son texte comme didactique : officiellement, ce dernier expose une « leçon simple » sur l'identité espagnole. Il existe cependant de bonnes raisons de penser que nous n'avons pas ici affaire à une conférence de type traditionnel. Celle- ci présente un certain anti-académisme en raison de sa tournure poétique, et semble capable de produire une émotion esthétique comme le ferait aussi une performance artistique. On peut ainsi penser qu'il s'agit d'une « conférence-performance ». L’enjeu officieux du texte est en effet de défendre une théorie/pratique selon laquelle le savoir véritable n'est autre que celui qui est performé par le corps, par excellence celui de Lorca.
Cette contribution propose d’envisager la conférence-performance comme le symptôme de la création scénique en milieu numérique, à partir de deux exemples I am 1984, créé par le duo Barbara Matijevic et Giuseppe Chico en 2008 et Un Faible degré d’originalité conçu par Antoine Defoort en 2013. L’adoption de la conférence comme modèle de représentation n’est ici pas anodine : elle apparait en effet comme un mode de transmission lié à l’inflation de l’information et à la modification de la propriété des connaissances, qui caractérisent le web. Je tenterai ainsi de comprendre à quoi correspond le choix de cette forme particulière, comment le motif de la navigation s’y déploie tant au niveau méthodologique que dramaturgique et enfin, comment l’emploi du dessin apparait comme une forme de remédiation du format web.
Schizomètre est le nom d'une joyeuse guérilla, celle entreprise par Marco Decorpeliada (1947-2006) contre les diagnostics en psychiatrie DSM (Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders). Lui-même, entre autres étiqueté 20.2, c’est-à-dire « schizophrénie type catatonique continue » dans la classification DSM, découvre que 20.2 correspond à « crevettes entières roses cuites » dans le catalogue des produits surgelés Picard.
Dégivrant avec art une psychiatrie surgelée, il inscrit son entreprise de renversement sur des mètres et répertorie les manques de la classification DSM sur des portes de congélateurs.
Cette conférence réunit les meilleurs spécialistes de la vie et de l'œuvre de Marco Decorpeliada pour débattre de ce génie méconnu et de son impact déterminant sur la pensée contemporaine.
Avec : Marcel Bénabou, historien et écrivain, membre de l'OuLiPo Baptiste Brun, historien de l'art (Rennes 2) Jean-Luc Deschamps, modérateur Dominique de Liège, psychanalyste (École lacanienne de psychanalyse) Yan Pélissier, psychanalyste (École lacanienne de psychanalyse) Olivier Vidal, chercheur en sciences de gestion (Paris, CNAM)
Appel à publication : « La conservation-restauration des objets de scène » Déméter #6, été 2021
Le numéro Déméter qui paraîtra à l’été 2021 sera consacré à la « conservation-restauration des objets de scène ». À l’issue du tournage d’un film, d’une pièce de théâtre, d’un spectacle de danse, d’un opéra, d’un concert ou d’une performance, les accessoires connaissent des destinées extrêmement variables après leur utilisation. La plupart ne sont pas faits pour être conservés et, même s’ils ont été essentiels lors de la représentation, leur existence matérielle compte en général bien peu et elle est souvent oubliée. Ces objets, en apparence mineurs et insignifiants, peuvent être jetés ou stockés dans l’attente d’être réemployés dans un prochain spectacle ou sur un autre tournage de film. Certains sont récupérés par des spectateurs, des membres de l’équipe ou leurs proches. Ces objets de souvenirs peuvent rester à l’état de reliques chez des particuliers, acquérir le statut d’objet patrimonial dans des collections publiques ou encore faire irruption sur le marché en tant que marchandises plus ou moins coûteuses.
Certains objets de scène sont longtemps perdus avant de réapparaitre, d’autres possèdent une telle aura, tel le fauteuil de Molière[1], que leur valeur symbolique et historique est immédiatement reconnue. D’autres encore sont classés monuments historiques par la suite, comme certains masques de théâtre de l’Antiquité collectionnés au XIXe siècle puis classés au XXe siècle[2]. En cas d’altérations ou de dégradations majeures, seuls les restauratrices et les restaurateurs sont alors habilités à intervenir sur ces objets d’importance patrimoniale.
Il faut compter aussi avec tous ces objets qui n’ont au départ aucun statut, recueillis sur la vie des tournages (par exemple dans le cadre du chantier de fouilles du tournage du film Peau d’âne de Jacques Demy par une équipe du CNRS, 2012-2016) ou par des fans de groupes de musique qui récoltent le moindre objet abandonné ou lancé dans la foule et qui créent leur propre espace muséal au sein de leur foyer.
Quant à l’art contemporain, les pratiques performatives recourent régulièrement à des objets de (re)présentation. Le statut de ces objets est souvent délicat à fixer et pose en conséquence des questions déontologiques particulières quant à leur collecte, conservation, exposition voire restauration en dehors des recommandations éventuellement prévues par l’artiste. Est-il légitime par exemple de défendre l’intégrité physique d’un objet, vestige d’une action artistique, si l’intention artistique originelle entend rompre avec le principe de pérennité ?Si cette infidélité est signalée au spectateur, peut-on s’autoriser à aller à l’encontre de l’intention artistique ? Renversement ironique, certaines oeuvres installatoires mettant en scène des objets directement utilisables par les spectateurs sont parfois rendues impraticables par l’institution qui les expose, en raison du risque de dégradation. Ces œuvres qui recouraient aux objets comme vecteur relationnel ne se retrouvent-elles pas mises en conserve davantage que conservées, en somme réduite à l’état de document ? (...)
Les propositions de contribution doivent être soumises au comité de rédaction avant le 8 novembre 2020. Les auteurs dont la proposition aura été acceptée devront adresser leur article à la rédaction pour le 15 mars 2021 dernier délai.
Les propositions accompagnées d’une courte présentation biobibliographique de l’auteur doivent être envoyées à l’adresse revue-demeter@univ-lille.fr en format word (.doc) ou opendocument (.dot).
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Pour toute question relative à l'appel et au processus de publication du numéro, écrire à revue-demeter@univ-lille.fr.
À partir de l'étude des premiers cas de protection juridique de l'histoire de la photographie, portant à la fois sur le sujet photographié et l'auteur de l'image, il s'agit de montrer comment les critères qui se sont instaurés dès le XIXe siècle ont durablement établi une certaine distribution des places pour les uns et les autres. Le droit post-mortem notamment, mettant en jeu la notion de dignité des personnes représentées, se révèle fort ou absent, selon qu'il concerne les puissants ou les anonymes, mais encore l'Occident ou l'Orient. L'exemple des photographies de Syrie évoqué en fin d'article expose ainsi comment cette dimension historiquement inégalitaire du droit trouve, encore aujourd'hui, sa traduction esthétique dans l'image elle-même.
Accompagnés de son Ubu, le visiteur de l’exposition Un poème qui n’est pas le nôtre (LaM – Villeneuve d’Ascq) suit les méandres d’une pensée foisonnante déployée dans cette rétrospective consacrée à William Kentridge. Au fil du trait, il passe des corps maltraités par l’Apartheid aux recoins de son atelier, jusqu’à nous emmener aux côtés de Georges Méliès. Des grandes fresques sur les bords du Tibre, en passant par son travail burlesque de la vidéo, Kentridge lie de manière pertinente et convaincante le travail de la matière avec une vision de l’histoire à la fois personnelle et collective. Son trait fuyant et labile permet d’enserrer les figures voutées par le poids des discriminations, et de mettre au jour le lien qui unit l’être humain avec le ciel et la terre. Ce sont toutes ces histoires que les visiteurs ont traversées pendant toute l’année au musée d’art moderne de Villeneuve d’Ascq.
Ce compte rendu se propose d’analyser l’exposition itinérante Le modèle noir. Déclinée au fil des escales, elle termine son itinérance en Guadeloupe : lieu suffisamment chargé d’histoire pour résonner avec les promesses réformistes formulées par l’exposition. En les présentant comme « en déviation », nous soulignons une histoire et un récit canonique de l’histoire de l’art fragilisés au profit d’une revalorisation de la figure noire. Considéré comme le premier évènement de cette envergure au Mémorial ACTe, Le modèle noir : de Géricault à Picasso entend dévier, certes, mais balaye surtout les poncifs minimisant la présence noire au sein du patrimoine artistique international, soulignant l’ubiquité de ses modèles au fil des siècles et des techniques successives.
Fantasmes du cinéma américain : voici le titre que nous avons choisi de donner à ce numéro spécial de la revue Déméter et qui s'incarne par le biais d'une image de hold-up, représentant un cow-boy de passage, interprété par Douglas Fairbanks dans un film d'Allan Dwan, datant de 1916, intitulé The Good-Bad Man. Pourquoi cette image ?
Si le cinéma a permis à certains de ses artistes d’accéder à une renommée internationale sans avoir à entreprendre de longues tournées à l’étranger, les stars américaines n’en sont pas moins nombreuses à voyager de par le monde dans les années 1920. Étape quasi obligée dans leurs parcours, la France reçoit ainsi régulièrement, au cours de la décennie, des étoiles hollywoodiennes officiellement venues se reposer de leur dur labeur au pays des movies. À travers des récits de ces séjours proposés par la presse et par les artistes eux-mêmes, des photographies et des actualités filmées, cet article entreprend d’étudier les significations recouvertes par ces moments de pure représentation. Il montre comment l’accueil réservé aux vedettes américaines est révélateur des imaginaires qu’elles véhiculent, à titre individuel comme au titre de stars, mais aussi combien ces voyages promeuvent une image flatteuse de la France, dont ils vantent l’art de vivre et nourrissent les rêves de grandeur.
En nous intéressant à des textes consacrés au cinéma dans l’hebdomadaire littéraire Les Nouvelles littéraires, entre 1924 et 1928, nous examinerons la construction d’un discours sur le cinéma, principalement porté par des écrivains (par exemple, Alexandre Arnoux, René Jeanne, ou encore Jean Prévost) et qui fait la part belle à la référence américaine. Ainsi, nous nous interrogerons sur la manière dont ces écrivains s’emparent du sujet cinéma, sur la construction et l’écriture de textes qui placent généralement le cinéma américain au centre du dispositif référentiel, tout en l’inscrivant dans un horizon plus large.
Les théoriciens et critiques français des années 1920 envisagent le nouvel art du cinéma à la fois comme un langage universel et comme l’expression d’un génie national. S’invente au cours de ces mêmes années tout un lexique varié et mobile pour dire ce « langage cinématographique »… mais dans quelle langue ? Cet article se concentre sur la relation entre les mots de l’anglais et les mots du cinéma dans les discours français, principalement des années 1920. L’hypothèse explorée est celle de formes filmiques américaines à l’image de leur langue, d’un lien entre les mots et les formes. Louée par certains auteurs français pour sa concision, la langue anglaise semble influer sur le film américain économe, rapide et brutal, privilégiant l’expression directe, autrement dit un cinéma d’action. Parmi les américanismes employés dans les discours français sur le cinéma, certains « mots-idées » comme flash, flash back ou l’expression « a gun and a girl » contribuent à forger cet imaginaire du cinéma américain.
Exposition "Fluidités : l’humain qui vient" au Fresnoy, 8 février - 29 avril 2020
Cette exposition a pour but de montrer les systèmes de représentation qui se réfèrent à l'état du monde, ou préfigurent celui de demain ; ou la façon dont les artistes nous aident à comprendre les problèmes en jeu à l'heure d'envisager l'avenir de l'humanité. En dialogue avec l'exposition se tiendra le colloque L’humain qui vient, les 28 et 29 avril.
Réputé par de nombreuses sources pour avoir été inventé par les Américains, le close up ou close shot est souvent désigné par le terme de « nature morte » dans les textes des premiers critiques et théoriciens français. Ce texte entend interroger cette forme et ses désignations souvent fantasmées depuis la France. L'expression permet de penser la picturalité des images cinématographiques et donc l'artisticité du cinéma. Révélant une idée de mise en scène davantage qu'une réalité historique, elle va aussi permettre l'émergence en France d'une esthétique innovante, notamment à travers les films de Louis Delluc.
Si le titre de cette contribution met en avant deux aspects - fantasme et montage – l’un par l’ajout d’un point d’interrogation, l’autre par le recours à l’italique, c’est parce qu’ils nécessitent d’être questionnés. Le premier en fonction de l’écart possible entre ce qu’est le montage aux États-Unis au début des années 1920 et la façon dont il est perçu en France - en quoi il y aurait peut-être fantasme, lié à un écart géographico-culturel. Le second en fonction de l’écart possible entre ce qu’est le montage à l’époque (en France, aux États-Unis) et ce que nous croyons aujourd’hui qu’était le montage à l’époque - en quoi y aurait-il montage dans les films américains du début des années 1920, si l’on donne à ce terme sons sens actuel ? L’écart est donc cette fois temporel.
Exposition "Raghu Rai : Voyages dans l'instant" à la Maison de la photographie, 25 janvier - 1er mars 2020
Né en 1942, à Jhang (Inde britannique, actuel Pakistan), Raghu Rai devient photographe à l’âge de 23 ans. L’année suivante, il rejoint l’équipe du journal The Statesman en tant que photographe en chef (1966 à 1976) et occupe, en parallèle, les fonctions de rédacteur en chef du service photo du magazine d’actualité hebdomadaire Sunday, publié à Calcutta (1977-1980). En 1971, à la suite de son exposition à la Galerie Delpire à Paris sur les réfugiés pakistanais du Bengale, Henri Cartier-Bresson lui propose d’intégrer Magnum Photos dont il est toujours associé aujourd’hui. En 1982, il devient directeur de la photographie pour le magazine India Today, principal magazine d’actualités indien. Il a collaboré à des numéros spéciaux, contribuant ainsi à la réalisation d’essais photographiques novateurs sur des problématiques sociales, politiques et culturelles de la décennie (1982 à 1991).
Au cours des dix-huit dernières années, Raghu Rai a exclusivement consacré son travail à l’Inde. Il est l’auteur d’une cinquantaine d’ouvrages dédiés aux événements et figures de son pays : Delhi, les Sikhs, Calcutta, le Taj Mahal, Mère Teresa… Son reportage approfondi sur la catastrophe du Bhopal en 1984 dans le cadre d’une mission de Greenpeace International a donné lieu à un livre et à une série de trois expositions entre 2002 et 2005. De très nombreuses expositions lui ont été consacrées dans le monde entier, dont notamment, des rétrospectives aux Rencontres de la photographie d’Arles en 2007, à la National Gallery of Modern Art de New Delhi en 2008 ou encore à l’Aicon Gallery de Londres en 2011. Il a reçu le Padma shree en 1972, l’une des plus hautes distinctions civiles indiennes, pour l’ensemble de son travail consacré à la guerre de libération du Bangladesh et à ses réfugiés. En 1992, il est désigné « Photographe de l’année » par les États-Unis pour son travail relatif à la « Gestion humaine de la faune en Inde », publié dans le magazine National Geographic. En 2009, il est nommé Officier des Arts et des Lettres par le gouvernement français. Il a reçu en 2018 le Lucie Award du photojournalisme décerné par la Lucie Foundation, à New York. Ses reportages photographiques ont été publiés dans de nombreux magazines et journaux du monde entier. Il a créé en 2012 le Raghu Rai Center for Photography, lieu de partage et d’enseignement de la photographie auprès des jeunes générations.
Raghu Rai vit actuellement à New Delhi et travaille à la réalisation de son 57e ouvrage.
À partir des années 1920, quelques critiques français emploient le terme « chromo » pour définir un certain usage de la couleur dans les films. Ce terme parfaitement dépréciatif, s'il est d'abord utilisé pour considérer toutes les productions en couleur, particulièrement celles à venir, va vite être utilisé à partir des années 1930 presque uniquement à l’encontre des films américains en Technicolor. Accompagné d’autres notions, comme celles de bariolage et de barbouillage, il témoigne d’un fantasme entretenu sur le cinéma américain comme étant indigne d’un certain idéal cinématographique. On définira le terreau conceptuel et théorique sur lequel s’appuie cette conception péjorative de la couleur « made in USA » et on examinera la fortune du terme « chromo » et de ses substituts jusque dans les années 1950 afin d’évaluer l’évolution du regard porté sur le cinéma américain en couleurs.
Au cours de la première moitié des années trente, Marcel Achard a eu l'opportunité de découvrir à plusieurs reprises le système de production américain, d'abord à Hollywood, puis dans les studios français de la Paramount. Cette expérience fondamentale alimentera ensuite des articles de presse, des conférences, des pièces et des scénarios de films. Cet article se concentrera sur les premiers témoignages de cette inspiration hollywoodienne afin d'en questionner l'hybridité et les manques significatifs : d'abord les conférences proposées au public français, puis le film Une étoile disparaît (1932) qui, bien que situé dans un contexte français, emprunte certains aspects (production, figure de la star, stéréotypes) au cinéma américain.
Exposition "Photo-dimensions. Felicity Hammond. Constance Nouvel. Bianca Pedrina", Galerie commune de Tourcoing, 30 janvier - 11 février 2020
À partir des années 2010, quelques œuvres photographiques singulières émergent dans les pratiques de jeunes artistes contemporains. Elles se distinguent par leur manière de composer et de matérialiser l’espace sur un plan bidimensionnel, voire tridimensionnel, présentant parfois des caractéristiques sculpturales. Ces nouvelles “pratiques photographiques tridimensionnelles” nécessitent une attention particulière et interrogent nos conceptions habituelles de la photographie. En quoi consistent-elles ? Quelles formes d’images produisent-elles et que représentent-elles ? Cette exposition présentera ces pratiques photographiques à travers le travail de trois artistes européennes : Felicity Hammond, Constance Nouvel et Bianca Pedrina. PHOTO-dimensions présente aussi une forme exposée des recherches menées par Marine Allibert, commissaire de l'exposition, dans le cadre de sa thèse de doctorat en arts plastiques, dirigée par Nathalie Delbard (CEAC).
Exposition "William Kentridge. Un poème qui n'est pas le nôtre" au musée du LaM, 5 février - 5 juillet 2020
L’année 2020 s’ouvre au LaM par la première grande rétrospective en France consacrée à William Kentridge, artiste reconnu à l’échelle internationale comme l’un des plus talentueux de sa génération. Conçue en étroite collaboration avec le Kunstmuseum de Bâle, l’exposition investit la moitié de la surface du musée et présente des oeuvres inédites, jamais montrées en Europe (des tous premiers dessins à la dernière oeuvre en cours de réalisation).
Motion d’un collectif du département Arts de la Faculté des Humanités de l'Université de Lille du 23 janvier 2020 contre le projet de LPPR.
Nous, enseignant·e·s-chercheur·e·s et équipes du département Arts de la Faculté des Humanités de l’Université de Lille, déplorons que, dans la logique du démantèlement du service public, un pas de plus semble vouloir être franchi au niveau de l’enseignement supérieur.
Le futur projet de la loi de programmation pluriannuelle de la recherche (LPPR) va à l’encontre de ce que nous n’avons de cesse de défendre, à savoir un esprit critique et une recherche dont la valeur ne se mesure pas à ses répercussions financières. Ce futur projet de loi est une remise en question violente des fondements de l’université qui ne peuvent se dissoudre dans une simple gestion administrative et financière. Ceci est plus particulièrement vrai dans les sciences humaines et pour certaines disciplines, comme les arts, qui ont tout à craindre d’une telle orientation. En effet, comment, dans une logique de rentabilité, et de mise en concurrence, résister ? Nous sommes déjà sous-dotés, en termes d’enseignant·e·s chercheur·e·s, et faisons maintenant depuis des années, les frais de politiques budgétaires restrictives.
Notre inquiétude est grande face à ce tournant annoncé qui ne ferait que renforcer cette inégalité et menacerait même notre existence. Dans un contexte où les charges administratives pèsent toujours plus sur des équipes titulaires restreintes, gérant un nombre exponentiel de personnes précaires, nous ne pouvons être encore davantage fragilisé·e·s.
Cette inquiétude rejoint également celle engendrée par la réforme des retraites (« compensations salariales » et fragilisation des statuts par les primes différenciées) et par la loi PACTE qui touche déjà les personnels administratifs.
Motion du Conseil de la faculté des humanités du 6 février 2020.
Le Conseil de la Faculté des Humanités de l'Université de Lille, ayant pris connaissance des rapports des groupes de travail constitués pour préparer le projet de loi de programmation pluriannuelle de la recherche, partage la vive inquiétude manifestée par les différentes motions adoptées au sein des départements et laboratoires de la Faculté et des assemblées générales d'étudiants et de personnels (...)
Les termes « chills », « thrills » et « frisson » utilisés dans le texte d’origine n’ont pas de définition claire, même en anglais (cf. section « Chills, thrills, and frisson » dans le texte d’origine). Ils constituent une gradation allant d’une réponse psychophysiologique légère, « chills », à une réaction plus intense, « frisson ». Dans le même temps, ils ne trouvent pas d’équivalents terme à terme en français. Nous avons donc décidé de les conserver tels quels dans la traduction de la section « Chills, thrills, and frisson ». Et dans la mesure où, après cette section, les termes tendent à prendre un sens générique (au sens de frisson en français) et à englober tous les phénomènes de « chills », de « thrills », ou encore de chair de poule, etc., nous avons décidé d’opter pour l’utilisation du terme « frisson » dans le reste de l’article.
Résumé
La musique a une capacité unique à susciter des réponses émotionnelles et psychophysiologiques intenses. Ces moments – appelés « chills », « thrills », « frissons », etc. – sont aussi bien sujets à l’introspection et au débat philosophique, qu’à l’étude scientifique de la perception et de la cognition musicales. Cet article, qui intègre une littérature pluridisciplinaire existante, tente de définir un modèle qui soit compréhensible, vérifiable et écologiquement valide, pour rendre compte de moments psychophysiologiques transcendants en musique.
Après son traditionnel "Panorama" – exposition contenant les oeuvres produites par les élèves de l’école – le Fresnoy Studio national d’art contemporain (Tourcoing) projette les visiteurs dans un futur proche avec sa nouvelle exposition "Fluidités : l’humain qui vient". (...)
Quel autre lieu que le musée d'Art et d'Industrie André-Diligent La Piscine de Roubaix aurait pu clôturer avec autant de puissance symbolique l'itinérance de l'exposition Marcel Gromaire, L'Art de la Force ? (...)