Dans le champ artistique, les pratiques à plusieurs ont suscité ces dernières années de très nombreuses publications en France et à l’étranger. Alors que, dans les années 1990, on pouvait constater une forme d’attirance parfois naïve pour ces pratiques, parées bien souvent de nombreuses vertus, on constate aujourd’hui la présence stimulante d’interprétations plus nuancées de ces entreprises de collaboration et de leurs formes variées (co-création, co-production, coopération, etc.).
Deleuze et Guattari ont inauguré en philosophie une très étrange forme de partenariat : avec L’Anti-OEdipe, le texte annule la figure traditionnelle de l’auteur au profit d’une prolifération anonyme et rhizomatique inédite. Le succès remporté par les travaux cosignés Deleuze et Guattari auprès des créateurs (et les nombreux usages qu’ils ont inspirés, notamment dans le domaine artistique), doit être pensé en rapport direct avec cette conception du travail comme pragmatique de la rencontre.
Cet article souhaite mettre en commun plusieurs questionnements issus d’observations, de participations observantes et de pratiques du faire art ensemble dans le champ de l’art contemporain. Quatre cas sont étudiés : l’Association pour l’Agencement des Activités (Grenoble, France), Doings or Not (Estonie), Drive-In (Corée-France) et Idoine (Lyon, France). Ces différentes expériences ont un enjeu commun, celui de la communauté temporaire fondée sur les affinités électives. Ces quelques exemples de manières d’oeuvrer à plusieurs amènent ainsi plusieurs problématiques : l’agencement de singularités, le partage du sensible, la constitution de réseaux, la mise en commun de rythmes et d’espaces partagés, la recherche de la justesse. L’envie et le plaisir, moteurs de ces expériences, sont mis à l’épreuve du réel mais en restent le fondement.
Cet article revient sur l’expérience cinématographique collaborative de Michelangelo Pistoletto avec dix réalisateurs de la scène indépendante italienne qui créèrent chacun un film performatif, centré sur l’artiste, dans le cadre de son exposition à la galerie l’Attico à Rome en 1968. Si la disparition de cinq d’entre eux explique leur méconnaissance, cet essai offre une vision inédite de leurs contenus grâce à des témoignages recueillis par l’auteure de cet article auprès de Michelangelo Pistoletto, de Maria Pioppi et de Renato Dogliani. L’intensité créative de ces réalisations est sensible dans les films, lesquels forment un ensemble aux proximités esthétiques, thématiques, scénographiques et dramaturgiques manifestes.
Analyse et mise en perspective de deux phases de création collective de Dario Fo au sein de la compagnie Parenti-Fo-Durano (1953-1954) et du collectif Nuova Scena (août 1968 – octobre 1970). Recherche des différences et points communs éventuellement généralisables.
Cet article vise à cerner les différents niveaux de créations qui peuvent être partagés, que ce soit en situation d’atelier de pratique artistique au cinéma ou dans le cadre de la réalisation d’un film documentaire, par les méthodes qu’ils offrent et les interactions qu’ils suscitent, afin de proposer de nouvelles représentations de l’espace public.
Collaborer, co-créer, oeuvrer à plusieurs sont autant d’occasions de mutualisations, de tentatives de transformations de nos relations généralisées de compétition ou encore de mises à l’épreuve du confort de nos autorités. Mais comment travailler à plusieurs, quand ce plusieurs implique des statuts – juridiques, administratifs… – asymétriques ? Comment travailler à plusieurs, depuis les institutions universitaires et de l’art, quand une partie des personnes impliquées ne sont pas reconnues dans l’économie de la coopération par ces institutions ? Ce texte pose ces questions à partir d’une série de résidences de recherche et de création organisées à Grenoble depuis 2013 où ont tenté de travailler ensemble salariées, fonctionnaires de l’université, artistes intermitten.t.es, personnes exclues du droit du travail en raison de leur statut de demandeur·e·s d’asile ou parce que « sans papiers ». Ces résidences ont suscité des malaises, des ratés, des difficultés, à partir desquels nous proposons de penser une transformation de nos pratiques.
L’étude d’un processus artistique collaboratif à base d’archive mis en place en milieu fermé permet d’interroger le geste artistique lorsqu’il se développe dans une logique de création partagée. L’analyse des modalités d’écriture et des méthodes de création questionne les transformations rendues possibles entre le dedans et le dehors autant sur le plan individuel que sociétal.
Le jazz est une musique métisse. S’y entremêlent ainsi des sources « savantes » et « populaires » issues de différentes régions du monde.
Métissant les cultures, le jazz en métisse aussi, sur le plan technique, les processus de création ainsi que le rapport à l’auctorialité des productions (auctorialité individuelle et exclusive dans la musique « savante » européenne, collective et partagée dans de nombreuses pratiques musicales « populaires » européennes et extra-européennes).
Le modèle d’auctorialité individuelle et exclusive (qui est aussi un modèle de représentation sociale) issu de la culture « savante » européenne s’est imposé au jazz, aussi bien en droit de l’édition que dans l’imaginaire collectif et jusque dans celui des musiciens eux-mêmes, alors que la réalité est bien différente.
Miles Davis représente un archétype de ce problème d’auctorialité. Sa production sur près de cinq décennies met en évidence une typologie diversifiée du travail collaboratif mais son rapport à l’auctorialité dénote une appropriation individuelle exacerbée de la création collective radicalisant en cela une attitude cependant habituelle en jazz.
En observant l’incidence de la création collective pour une même pièce supposée (identifiée par son titre et son « thème »), en replaçant le rapport du jazz à l’auctorialité exclusive dans le paysage social et politique de l’Amérique raciste, on questionnera la raison profonde d’un tel rapport ambivalent au collectif.
Ce texte examine, à partir d’actions du Laboratoire de la contre-performance, collectif d’artistes et chercheur·e·s, la manière dont le féminin et l’autorité plurielle peuvent déjouer les règles de l’art. La spectacularisation de rituels de partage ainsi que la mise en scène de corps féminins subalternes y apparaissent comme des stratégies paradoxales d’empowerment. Le geste performatif est pensé dans sa dimension collective, en lien avec la survivance de mythes, comme outil de transmission de subjectivités féminines dissidentes.
L'objet de cet article est d’étudier les nouveaux régimes de collaboration entre artistes et scientifiques à partir de l’analyse du projet que l’artiste Delphine Lermite a effectué avec Laurent Grisoni, chercheur au laboratoire MINT/ CRIStAL. En s'appuyant sur le tableau de Caspar David Friedrich Voyageur contemplant une mer de nuages (1818), l'artiste et le laboratoire ont réalisé une installation artistique complexe qui met en jeu la mise en spectacle du paysage. Ce projet répond à un appel d'offre dont l'étude fait apparaître qu'il conditionne pour une part les modalités de la production collaborative et engage l’artiste et le laboratoire à développer des activités dites « innovantes » dans le contexte de la société de la connaissance.
La question des pratiques collectives en architecture fait aujourd’hui l’objet de discussions et de débats que certains architectes et critiques de l’architecture moderne tentaient déjà de formuler, de théoriser, ou de développer dans leurs propres travaux entre la fin des années 50 et le début des années 60. Dans le cadre de cet article, il s’agit de mettre en évidence le développement de positions et dispositifs critiques, notamment ceux liés à la « forme ouverte », qui ont amené tout une lignée d’architectes, issus de contextes différents, à renouveler les pratiques de l’architecture en tentant d’intégrer, dans le processus de conception de l’œuvre, la question de l’élaboration collective du « projet ».
Entretien public réalisé par Bérénice Béquet, Aneffel Kadik, Véronique Goudinoux et Claire Walkowski le 13 novembre 2014 à l’université de Lille, Villeneuve d’Ascq.
Entretien public réalisé par Roxane Camus, Antoine Griffit, Véronique Goudinoux et Caroline Lamarque (université Lille 3) effectué le 28 novembre 2014 à la Maison Européenne des Sciences de l’Homme et de la Société, Lille.