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Richard Skryzak

L’Ovni ou la poule ?

Objet Vidéo Non Identifié, Richard Skryzak. Vidéo, son, couleur, 1’, 2015

L’événement est un classique du genre.

C’est même l’un des exemples les plus fameux de toute l’histoire de l’apparition des OVNI en France. Il se déroule le 10 septembre 1954 à Quarouble, petit village près de Valenciennes dans le Nord. Ce soir-là, Marius Dewilde, qui habite près d’une voie ferrée isolée dans les bois, entend un bruit inhabituel. Il s’en inquiète, sort de chez lui et tombe nez à nez avec des petits hommes en scaphandre. Il court raconter son histoire au commissariat le plus proche. La presse s’empare de l’affaire qui va défrayer la chronique. Les scientifiques viennent de partout étudier le phénomène. Les actualités Pathé lui consacrent un reportage qui sera diffusé à la télé. Même la CIA rédige une brève note…

Mais les Martiens n’en restent pas là. Ils reviennent une seconde fois et décident cette fois-ci de repartir en emmenant une poule avec eux.

Le problème n’est pas de savoir si les OVNI existent ou pas. Comme pour Dieu, la question risque de rester sans réponse. Mais supposons un instant que les choses se soient réellement déroulées comme Marius Dewilde les a décrites. Dès lors la seule question qui compte est celle-ci : pourquoi les Martiens ont-ils choisi de repartir avec une poule ? En quoi l’animal pouvait-il les intéresser à ce point ?

On ne peut qu’émettre quelques hypothèses.

Ils ont dû choisir la poule en premier lieu par goût de la provocation. En effet préférer l’animal à l’humain, et qui plus est un animal considéré en général par le même humain comme étant l’un des plus bêtes, s’en saisir comme gage du monde, comme témoignage du passage sur terre, voilà qui d’emblée vise à ébranler la conception anthropocentrique et dominatrice de l’espèce humaine sur les autres. Les Martiens, qui sont des êtres d’une autre intelligence, ne s’y sont pas trompés.

De plus, travaillés sûrement par les mêmes questions philosophiques et existentielles que nous, ils n’étaient pas sans deviner l’importance symbolique qui colle au volatile dans la civilisation occidentale. Associée à la fécondité et à la maternité, la poule joue en effet un rôle de psychopompe dans beaucoup de rituels initiatiques et divinatoires. Jésus lui-même s'est comparé à elle en s'adressant à Jérusalem : « Combien de fois j'ai voulu rassembler tes enfants comme une poule rassemble ses poussins sous ses ailes... et vous n'avez pas voulu. » Cet animal est également investi d’une fonction économique en servant par exemple de monnaie d'échange dans la Gascogne médiévale. Et ne lit-on pas que cet animal protecteur et nourricier forme une des diverses figures allégoriques de la grammaire, dans la symbolique des arts libéraux ?

Mais qui dit poule dit œuf.

Et même mouillée, la poule continue de pondre…

De l’alchimie au bouddhisme, poule et œuf évoquent les étapes initiatrices et successives que l’être doit franchir pour s’accomplir spirituellement. Cette quête d’une dimension universelle commune aux Celtes, aux Grecs, aux Egyptiens ou aux Chinois ne pouvait que séduire nos amis Martiens.

Autre hypothèse, les extra-terrestres raffolent des œufs. A la coque. Brouillés. En omelette. Sur le plat. Surtout sur le plat. La raison en est à la fois simple et évidente : la ressemblance avec leur engin spatial n’aura échappé à personne.

Mais si la vérité était ailleurs ?

Il suffit peut-être, en effet, de regarder les choses autrement. Si l’on y réfléchit bien, cet événement pourrait parfaitement s’assimiler à un happening qui  présenterait pour le coup tous les signes d’une création artistique. Y sont convoqués objet, lumière, sculpture, dessin, son, land art, in situ, performance, installation, photo, vidéo. Dans un reportage télévisé, Marius Dewilde dessine à la craie sur un tableau. Sur une photo de presse, on le voit portant une traverse en bois qui ressemble à une sculpture minimale. Il utilise les medias pour se faire connaître, il convoque l’imaginaire et le récit fictionnel.

Or, c’est quoi un artiste ?

Ca peut être quelqu’un qui voit ce que les autres ne voient pas. Quelqu’un qui a des visions, qui a vu quelque chose d’inouï, d’incroyable, et qui veut en rendre compte à ses contemporains sous la forme de ce qu’on appelle communément une œuvre d’art. Envisagée sous cet angle, l’aventure de Marius Dewilde arbore tous les traits d’une authentique expérience esthétique.

Alors Marius Dewilde, imposteur ou créateur génial ? Fabulateur ou génie de la communication ? Précurseur de Warhol pour le quart d’heure de célébrité et véritable prophète du Village Global ? Finalement ce sont ces mêmes interrogations qui reviennent quand on examine quelques-uns de nos plus fameux artistes contemporains.

Coïncidence, vous avez dit ?

Marius Dewilde a les mêmes initiales que Marcel Duchamp. Soit.

Et si l’OVNI n’était rien d’autre que le ready-made absolu ?

Car après tout il en va des OVNI comme des tableaux, ce sont les Regardeurs qui les font.

Publié en Février 2016

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