Manières de créer des sons
Manières de créer des sons : l'œuvre musicale versus le dispositif musical (expérimental, cybernétique ou complexe)
Résumé
« Créer des sons en musique, c'est engendrer des formes qu'on peut étudier en elles-mêmes de façon immanente, mais c'est aussi mettre en œuvre des dispositifs à travers lesquels le musical est produit et donné à entendre. Le sonore est processus, forme en acte autant que forme achevée et signifiante. » Je propose de réfléchir à deux manières de créer des sons au sein de la musique contemporaine : composer des œuvres musicales ou concevoir des dispositifs musicaux (expérimentaux, cybernétiques ou complexes). En quoi ces activités de création sont-elles si divergentes ? Une telle réflexion est à mon sens nécessaire, notamment lorsqu'il s'agit de saisir l'enjeu de toute une panoplie de propositions artistiques actuelles issues de la révolution menée dans le sillage de John Cage, comme les dispositifs musicaux interactifs, participatifs, collaboratifs, électroniques, numériques, en réseau, distribués, virtuels, cybernétiques, complexes, etc.
Plan
Texte intégral
Avant-propos
L’idée d’une révolution artistique exprimée à maintes reprises par les compositeurs expérimentaux américains repose sur un bouleversement radical dans leur façon de concevoir l’activité créatrice. Au lendemain de la seconde guerre mondiale, alors que les compositeurs européens d’avant-garde continuaient à perpétuer une certaine tradition de la création musicale – ceci malgré leur tentative de tabula rasa destinée à promouvoir une musique nouvelle –, les artistes expérimentaux américains rejetaient la notion même d'œuvre musicale, tout en revendiquant un autre mode de production du sonore basé sur l'action. La scène musicale est alors marquée par d'intenses débats de la part des compositeurs, notamment après la conférence donnée par John Cage à Darmstadt en 1958, intitulée Composition as Process. Je propose d'analyser la manière de créer des sons dans la musique expérimentale américaine par rapport à celle de l'avant-garde européenne des années cinquante. Je présenterai ensuite brièvement deux catégories de dispositifs musicaux, les dispositifs musicaux cybernétiques interactifs et les premiers dispositifs de musique en réseau complexes.
De l'œuvre au dispositif
Pour les compositeurs européens d'avant-garde des années cinquante, la préoccupation essentielle réside dans la réalisation d'une œuvre musicale. Il s'agit d’élaborer une œuvre en organisant les sons selon un principe constructif qui est le sérialisme généralisé 1 :
« La composition d’une œuvre musicale, chez Boulez ou chez Barraqué, répond toujours à un souci très précis d’expression et d’unité constructives de l’objet. Le musicien agit ici un peu à la manière d’un architecte qui décide des lois de construction auxquelles l’édifice musical devra se conformer : quelles que soient ses caractéristiques spécifiques, l’objet créé devra toujours se plier à l’ordonnance des combinaisons abstraites que lui impose son créateur. »2
Les artistes de la musique expérimentale américaine cherchent au contraire à se libérer de la nécessité de créer une œuvre musicale en tant qu'objet artistique :
« Les compositeurs expérimentaux ne se préoccupent généralement pas d’administrer un objet temporel défini dont les éléments constitutifs, la structure et les interconnexions sont calculés et organisés à l’avance, mais s’enthousiasment à l’idée d’esquisser les grandes lignes d’une situation au cours de laquelle des sons peuvent intervenir, un procédé générateur d’action (sonore ou autre), un champ délimité par certaines règles de composition. »3
Dans son ouvrage De Schönberg à Cage, Essai sur la notion d’espace sonore dans la musique contemporaine (1981), Francis Bayer utilise à plusieurs reprises le terme dispositif pour évoquer la musique cagienne :
1° : « La plupart du temps, la tâche du compositeur consiste essentiellement à définir les règles d’un dispositif à la fois souple et précis qui doit rendre possible la manifestation d’un événement musical dont ni l’auteur, ni les interprètes, ni les auditeurs ne peuvent prévoir à l’avance ce qu’il sera. »4
2° : « Si donc Cage n’est pas un “compositeur”, au sens traditionnel du terme, il n’est pas non plus un décompositeur : sa démarche vise essentiellement à mettre en place un dispositif particulier destiné à rendre possible – et seulement possible – l’apparition de tel ou tel événement sonore (ou silencieux) dont la nature spécifique et l’émergence effective demeureront toutefois à jamais imprévisibles. »5
3° : « D’une façon générale, la démarche compositionnelle de John Cage consiste essentiellement à mettre en place un dispositif de production et à définir un cadre de réalisation possible pour un événement musical qui pourra ou non se produire. »6
Je propose sur cette base de définir le dispositif expérimental comme un moyen mis en œuvre par le créateur pour occasionner un événement musical dont l'issue est inconnue.
Dans un premier temps, les artistes expérimentaux américains ont principalement proposé des dispositifs avec l'intention de détourner les outils habituellement utilisés dans la musique classique, comme le “piano préparé” (1938) de Cage. La partition constitue aussi un moyen de subversion : elle n'est plus destinée à représenter l'objet temporel que le public doit entendre, mais indique les actions que le performer doit réaliser. Elle peut se réduire à une forme purement textuelle, comme la partition de la deuxième pièce pour piano d’Incidental Music de Georges Brecht :
« 2. Blocs en bois. Un seul bloc est placé à l’intérieur du piano. Un bloc est placé sur ce bloc, puis un troisième sur le deuxième, et ainsi de suite, un par un, jusqu’à ce que finalement un bloc tombe de la colonne. »7
La partition peut également se présenter sous forme graphique ou, comme 4’33” de Cage, ne rien contenir si ce n’est le cadre formé par les titres et les sous-titres. Ce dispositif témoigne, selon Nyman, du bouleversement radical des méthodes et des fonctions de la notation apporté par la musique expérimentale :
« Une partition ne peut plus “représenter” les sons au moyen de symboles dédiés que nous nommons solfège, des symboles qui sont lus par un interprète, lequel fait de son mieux pour “reproduire” aussi fidèlement que possible des sons que le compositeur a initialement “entendus” et notés. »8
4'33" se présente sous la forme d’une représentation au cours de laquelle un instrumentiste, qui se trouve sur une scène devant un public, ne joue rien pendant une durée qu’il a lui-même déterminée. Il s’agit d'une représentation sans objet. Le sens est porté ailleurs, vers les événements qui peuvent surgir dans la salle au cours de la performance.
La musique expérimentale se révèle alors comme un véritable espacecréatif dans lequel « composer signifie seulement suggérer à l’interprète la possibilité objectivement réelle d’une action – c’est-à-dire ouvrir un espace de jeu. »9
I . De la poïesis à la praxis
Je propose d'éclairer l'opposition entre l’activité créatrice du compositeur qui élabore une œuvre comme objettemporel et celle de l'artiste qui conçoit un dispositif destiné à déclencher une action dont l’issue est inconnue, à travers les catégories de l’œuvre et de l’action énoncées par Hannah Arendt dansCondition de l'homme moderne (1958).
Dans cet ouvrage, Arendt identifie une opposition fondamentale dans la tradition occidentale entre d'une part, la vita contemplativa qui est “penser l’éternité”, l'éternité ne se dévoilant aux mortels que si tous les mouvements humains, toutes les activités sont parfaitement au repos ; et d'autre part, la vita activa, la vie humaine en tant qu’activement engagée à faire quelque chose.
La philosophe distingue trois types d’activité au sein de la vita activa : le travail est l’activité cyclique de l’animal laborans qui permet de subvenir aux besoins de la vie ; l’œuvre est l'activité de l’homo faber qui construit un monde artificiel d’objets ; l’action est l'activité qui permet à l’homme de se manifester dans le monde parmi les autres hommes.
À travers sa volonté de renverser la hiérarchie entre la vita contemplativa – qui a toujours maintenu au cours de l’histoire occidentale une place privilégiée – et la vita activa, la philosophe met en évidence ce qui est essentiel à l’homme lorsqu’il travaille, œuvre ou agit.
Arendt apporte, à mon sens, des outils conceptuels essentiels pour penser la création artistique contemporaine en tant qu'activité. La philosophe s’appuie sur la distinction qu’Aristote avait posée entre poïesis et praxis dans Éthique de Nicomaque pour établir une différence fondamentale entre l’œuvre et l’action.
Sur ce point, je voudrais montrer que l’activité des compositeurs de l'avant-garde européenne se présente comme poïesis alors que celle des artistes de la musique expérimentale américaine se révèle comme praxis.
La poïesis : œuvrer de façon isolée
Selon Arendt, l'homme qui œuvre de ses mains, l’homo faber qui ouvrage, fabrique l’infinie variété des objets dont la somme constitue l’artifice humain. L’artiste qui œuvre, participe au même titre que l’artisan à l’édification d’un monde d’objets :
« Les œuvres d’art sont des objets de pensée, mais elles n’en sont pas moins des objets. […] La réification qui a lieu dans l’écriture, la peinture, le modelage ou la composition est évidemment liée à la pensée qui l’a précédée, mais ce qui fait de la pensée une réalité, ce qui fabrique des objets de pensée, c’est le même ouvrage qui, grâce à l’instrument primordial des mains humaines, construit les autres objets durables de l’artifice humain. »10
Selon Arendt, l'isolement est la condition essentielle de l’œuvre en tant qu’activité humaine. De même, la composition est une activité qui se réalise dans l'isolement. Les propos récents de Pascal Dusapin (né en 1955) témoignent de cette tradition :
« Dans mon atelier, je suis comme tous les compositeurs, dans un état de solitude exceptionnelle, dans un mode de représentation apparemment idéal, mais qui en définitive véhicule une grande souffrance, parce que le corps n’y participe jamais. »11
D'après Arendt, il n'est rien de plus étranger ni même de plus nuisible à l'artisanat que le travail en équipe. La seule compagnie qui naisse directement de l'artisanat vient de ce que le maître peut avoir besoin d'aide ou désirer instruire autrui dans son art.
Pour un artiste tel que Boulez, la transmission de maître à élève et la notion de métier sont essentielles à l'activité compositionnelle. Pierre Boulez rejette de façon catégorique toute forme de dilettantisme :
« Le mot métier a bien souvent une implication, une connotation sinon péjorative, du moins solidement prosaïque, triviale, opposée à la poésie de l’invention, à l’élévation de l’idée. La plupart du temps, l’équivalence en serait, au mieux : mal nécessaire. Ce qui amène souvent, par le biais d’une utopie apparemment aventureuse, à vouloir s’en passer. »12
C’est pourtant l’aventure dans laquelle se sont lancés les artistes expérimentaux américains, abandonnant les concepts d'œuvre et de poïesis, ignorant la condition d'isolement du créateur et la notion de transmission du métier de compositeur.
La praxis : agir au sein de la pluralité
L’activité créatrice expérimentale américaine ne relève pas de la poïesis. Lorsque l'artiste propose un dispositif expérimental, il cherche à rendre possible une action dont l'issue est inconnue. Le performer, celui qui accomplit une action, remplace l'interprète d'une œuvre musicale.
Or, selon Arendt, l'action est la sphère où l’être humain agit en s’exposant au milieu des autres :
« L’action, en tant que distincte de la fabrication, n’est jamais possible dans l’isolement ; être isolé, c’est être privé de la faculté d’agir. L’action et la parole veulent être entourées de la présence d’autrui de même que la fabrication a besoin de la présence de la nature pour y trouver ses matériaux et d’un monde pour y placer ses produits. La fabrication est entourée par le monde, elle est constamment en contact avec lui : l’action et la parole sont entourées par le réseau des actes et du langage d’autrui, et constamment en contact avec ce réseau. »13
La condition essentielle de l’action est la présence de l'autre. Comme l'évoque Robert Ashley, la présence d’individus – et non plus l'existence d'un matériau pour composer l'œuvre –,est la condition sine qua non de la création musicale expérimentale :
« L’influence de Cage sur la musique contemporaine, sur les “musiciens”, est telle que la métaphore toute entière de la musique pourrait changer au point que – le temps étant prépondérant comme définition de la musique – le résultat ultime serait une musique qui n’exigerait rien nécessairement si ce n’est la présence d’individus. »14
II . De la création d’une œuvre unique et achevée à l’esthétique du non finito
Selon Arendt, ce qui distingue l’œuvre des autres activités humaines réside dans le fait que la fabrication d’un objet est entièrement déterminée par les catégories de la fin et des moyens :
« L’objet fabriqué est une fin en ce double sens que le processus de production s’y achève. […]. Avoir un commencement précis, une fin précise et prévisible, voilà ce qui caractérise la fabrication qui, par ce seul signe, se distingue de toutes les autres activités humaines. Le travail, pris dans le mouvement cyclique du processus vital corporel, n’a ni commencement ni fin. L’action, comme nous le verrons, si elle peut avoir un commencement défini, n’a jamais de fin prévisible. »15
L’homo faber produit un objet achevé dont il est le seul maître :
« L’homo faber est bien seigneur et maître, non seulement parce qu’il est ou s’est fait maître de la nature, mais surtout parce qu’il est maître de soi et de ses actes. Cela n’est vrai ni de l’animal laborans, soumis à la nécessité de sa vie, ni de l’homme d’action, toujours dépendant de ses semblables. »16
De même, la composition est une activité dirigée vers une finalité qui est l’œuvre musicale en tant qu’objet unique et achevé. Selon Boulez, la composition « vise à un produit fini, achevé, obéissant à une trajectoire. »17
Or, à partir de la fin des années cinquante, les compositeurs européens, influencés par les expérimentations musicales américaines, ont commencé à composer des œuvres ouvertes pour tenter l’aventure de la liberté. Pourtant, comme l'exprime Francis Bayer, même lorsque les compositeurs proposent les œuvres ouvertes – Pierre Boulez et le hasard dirigé ; Karlheinz Stockhausen et la forme multivalente ; Witold Lutoslawski et l’aléatoire contrôlé ; Iannis Xenakis et la réduction stochastique du hasard ; André Boucourechliev et l’œuvre mobile18 – les œuvres restent sous le contrôle du compositeur :
« Tout se passe comme si le souci de préserver à tout prix la notion d’œuvre, que l’on retrouve chez les musiciens européens, les empêchait de courir pleinement l’aventure de la liberté, comme si l’attachement traditionnel au caractère statique des musiques formelles ou formalisées ne pouvait être transgressé et constituait de ce fait un obstacle insurmontable à l’établissement d’une musique véritablement dynamique. […] L’idéal classique d’un discours musical ordonné et contrôlé semble en effet continuer à peser lourdement sur la conception générale de la forme que se font les compositeurs européens, même lorsqu’il s’agit pour eux de promouvoir des formes mobiles, plus souples et plus libres que les formes traditionnelles. »19
L’abandon de la maîtrise est incompatible avec l’œuvre en tant qu’activité humaine. Boulez considère le pur hasard comme un ennemi absolu de l’authenticité de l’œuvre. Dans sa Troisième Sonate pour piano (1957), par exemple, le hasard véritable n’a pas de place :
« Boulez refuse de se laisser déposséder de son œuvre ; il tient à en rester le créateur, le maître et le possesseur, ce en quoi il se montre attaché à la conception traditionnelle de la création artistique. Dans son cas, comme dans celui de la plupart des autres compositeurs, le lien existentiel qui unit l’homme à l’œuvre n’est pas rompu ; dès lors, le hasard, la contingence, l’aléatoire, constituent des éléments trop subversifs et trop menaçants pour l’intégrité de “l’œuvre” pour qu’on puisse leur réserver une place à part entière. »20
John Cage désavoue l'idée européenne d’œuvre ouverte et n’y voit que « du vin nouveau dans de vieilles outres. »21 Dans une œuvre ouverte, le rôle de l'interprète est d'actualiser un objet musical virtuel. Pour André Boucourechliev (1925-1997), par exemple, la série des Archipels (I à IV) composée entre 1967 et 1970, est un réseau de structures variables que l’interprète actualise à partir d’un réservoir d'éléments rigoureusement établis :
« En somme dans une structure d’Archipel, j’essaie de rédiger la virtualité ; non pas tous les possibles, mais de prévoir ce que sera le comportement d’une structure livrée à un interprète libre et responsable. »22
Gilles Deleuze pose ainsi la distinction entre le possible et le virtuel :
« […] le possible s'oppose au réel ; le processus du possible est donc une “réalisation”. Le virtuel, au contraire, ne s'oppose pas au réel ; il possède une pleine réalité par lui-même. Son processus est l'actualisation. »23
Dans l'œuvre ouverte, l'interprète doit actualiser ce qui existe déjà virtuellement. Pour les artistes expérimentaux américains, le performer, à travers sa praxis, doit ouvrir un possible qui n'est pas encore inscrit dans le réel. L'action permet de créer de la nouveauté. Ce processus se décompose selon Arendt en deux phases essentielles :
« On dirait que chaque action était divisée en deux parties, le commencement fait par une personne seule et l’achèvement auquel plusieurs personnes peuvent participer en “portant”, en “terminant” l’entreprise, en allant jusqu’au bout. »24
Le commencement de l’action signifie la possibilité pour une personne de faire naître quelque chose d'entièrement nouveau :
« Le fait que l’homme est capable d’action signifie que de sa part on peut s’attendre à l’inattendu, qu’il est en mesure d’accomplir ce qui est infiniment improbable. »25
La seconde phase de l’action consiste à laisser l’action initiée s’accomplir d’elle-même au sein de la pluralité en s’ouvrant à ce qui n’est pas encore, autrement dit au possible.
Dans la musique expérimentale, le dispositif est destiné à réaliser des actions dont les résultats sonores sont à chaque fois inédits. Rien n'existe déjà virtuellement :
« Chaque exécution d’une même partition sera différente de toutes les précédentes : le souci du compositeur n’est plus de surveiller la conformité des exécutions à l’archétype-étalon dont il a été le seul à décider, mais de garantir au contraire l’imprévisibilité et le renouvellement incessant de la chair sonore, de la matière musicale elle-même. »26
La création musicale est fondée sur le pouvoir d’agir, c’est-à-dire de déclencher un processus irréversible susceptible d’engendrer une infinité de possibilités :
« […] l’action, bien qu’elle puisse, pour ainsi dire, venir de nulle part, agit dans un medium où toute réaction devient réaction en chaîne et où tout processus est cause de processus nouveaux. L’action agissant sur des êtres qui sont personnellement capables d’actions, la réaction, outre qu’elle est une réponse, est toujours une action nouvelle qui créé à son tour et affecte autrui. […] ; l’acte le plus modeste dans les circonstances les plus bornées porte en germe la même infinitude, parce qu’un seul fait, parfois un seul mot, suffit à changer toutes les combinaisons de circonstances. »27
Dans la musique expérimentale américaine, la forme musicale n'est pas le résultat d'une élaboration dirigée vers une fin qui est l'œuvre, mais la conséquence d'une succession d'événements qui adviennent au cours de l'action :
« La succession (omnidirectionnelle) est la procédure souveraine, en opposition à la progression (directionnelle) des autres formes de la musique artistique post-Renaissance. »28
Sans possibilité de limitations, la musique expérimentale s'affranchit de toute forme prédéfinie. Daniel Charles propose de qualifier cette émancipation de la forme que l’on retrouve chez Cage, l’esthétique du non finito :
« Lorsque Cage demande […] que la musique redevienne action et que l’œuvre soit comprise non seulement comme superflue, mais comme le superflu, il oppose à l’idéal de l’achèvement, simple source de soulagement pour le créateur solitaire ; la joie d’une communion et d’une absorption dans l’ouverture immémoriale sur la profusion du monde. »29
III . Du temps idéalisé de l’œuvre au moment unique de l'être ensemble
Selon Arendt, le rôle le plus important de l'œuvre en tant qu'activité est de construire un monde artificiel d'objets afin d’offrir aux mortels un séjour plus durable et plus stable qu’eux-mêmes. L’homme, à travers la permanence des objets qu’il fabrique, créé un monde qui transcende le cycle de la vie humaine. Les œuvres artistiques sont les objets qui possèdent la plus grande permanence :
« En raison de leur éminente permanence, les œuvres d’art sont de tous les objets tangibles les plus intensément du-monde ; […] leur durabilité est-elle d'un ordre plus élevé que celle dont tous les objets ont besoin afin d’exister ; elle peut atteindre à la permanence à travers les siècles. »30
Malgré leur permanence, les objets artistiques sont périssables et ne peuvent pas prétendre à une durée absolue. Ils n’en sont pas moins reliés à l'idée de l'éternel. En effet, d'après Arendt, l'œuvre est le résultat d’un processus de réification qui se réalise à partir d'un modèle abstrait :
« L’œuvre factuelle de fabrication s’exécute sous la conduite d’un modèle conformément auquel l’objet est construit. Ce modèle peut être une image que contemplent les yeux de l’esprit ou un plan dans lequel une œuvre a déjà fourni à l’image un essai de matérialisation. Dans les deux cas, ce qui guide l'œuvre de fabrication est extérieur au fabricateur et précède le processus factuel de l'œuvre, […]. »31
Ce processus de réification émane du développement en Occident de l’idea platonicienne :
« L’idée éternelle unique dominant une multitude de choses périssables tire sa plausibilité dans la doctrine de Platon de la permanence et de l’unicité du modèle d’après lequel un grand nombre d’objets périssables peuvent être fabriqués. »32
Le rapport entre l'œuvre et l'idée est fondamental pour les compositeurs de tradition européenne. Boulez, par exemple, même s'il affirme que l'idée en soi, musicalement, n'existe pas, considère le couple idée-réalisation comme essentiel. Selon lui, l’œuvre se réalise à partir d’une confrontation entre l’idée et le matériau :
« Si nous nous attachons à suivre la démarche de l’invention qui va du projet initial à l’achèvement de l’œuvre, nous constatons en général que le concept s’affronte au matériau, et pour arriver à l’action même d’écrire, le concept doit mettre en forme d’un côté l’idée – les familles d’idées –, de l’autre le matériau – les types de matériaux. »33
Selon Arendt, l’idée ne disparaît pas une fois l’œuvre achevée, mais « survit intacte, présente, en quelque sorte, pour se prêter à une poursuite indéfinie de la fabrication. »34L’œuvre propose toujours une facette neuve et non répétitive du modèle. Boulez avait conscience de ce pouvoir infini de la multiplication de l’Idée :
« L’Idée naissant et renaissant de la Réalisation, voilà une des démarches essentielles du compositeur. Et je parle ici de la démarche primordiale. Mais dans le détail du cheminement, de la révélation de l’Idée à elle-même au moyen de la réalisation, l’influence se manifeste à chaque instant de l’invention. Pour réaliser, pour surmonter le difficile barrage que la réalisation oppose à l’Idée, l’Idée est obligée de se multiplier, de se réinventer à chaque obstacle, de trouver un grand nombre de solutions locales qui, agglomérées, constitueront la solution globale. L'Idée heurtée à la difficulté de réalisation prolifère pour englober la réalisation et la forcer à s'accomplir, à s'achever. »35
L’idée possède selon Boulez un caractère paradoxal qui la rend à jamais hors d’atteinte :
« Si nous essayons de refaire le chemin qui mène de l’idée à sa réalisation, nous n’appréhenderons jamais le motif profond : il est brûlé par la réalisation ; il est brûlé, il a donc disparu en tant que tel pour devenir une œuvre. »36
Le chemin qui mène de l'idée à la réalisation s'accompagne en effet d'un moment d’imprévisibilité d’où surgit la nouveauté. Pour Adorno, cette zone d’indétermination entre l’inaccessible et le réalisé constitue l’énigme des œuvres d'art :
« Toute œuvre est un rébus, mais de telle manière que l'on en reste à l'énigme agaçante, à la déroute préétablie de celui qui les regarde. »37
Le processus de réification de l'Idée se situe entre la vita contemplativa (Idée) et la vita activa (Réalisation). Pour Boulez, le compositeur doit entièrement assumer cette dualité :
« […] c’est à notre mystère profond que nous renvoie toujours cette dualité de l’Idée et de la Réalisation, dualité dont nous devons assumer les deux pôles si nous voulons qu’invention, sens et expression coïncident. Les multiples chemins qui vont de l’Idée à la Réalisation, ou qui y renvoient, sont les chemins mêmes de l’invention. Grâce à eux notre invention prend un sens concret, correspond à l’expression de l’univers poétique qui est notre but, notre achèvement. »38
La musique expérimentale américaine va s’opposer de façon radicale au processus de réification de l'idée. Cage recours d'abord à des opérations de hasard (Music of Changes, 1951). Il se tournera ensuite vers la création musicale comme praxis :
« Quelle est la nature d'une action expérimentale ? Il s'agit simplement d'une action dont l'issue est inconnue. Elle sert si l'on a décidé que les sons allaient venir par eux-mêmes, plutôt que d'être exploités pour exprimer des sentiments ou des idées d'ordre. Parmi les résultats de ces actions qui ne sont pas prévues, les actions résultant d'opérations de hasard sont utiles. Toutefois, il me semble que la composition qui implique que ce que ce l'on fait, lors d'une performance, soit indéterminé est plus essentielle que la composition réalisée par le biais d'opérations de hasard. »39
L'un des enjeux primordial du renversement de la composition comme poïesis vers la création musicale comme praxis, réside dans la conception du temps musical. Dans la composition, le temps musical correspond, par le biais de l’écriture, à celui de l'idée abstraite. Ainsi, dans la musique d'avant-garde européenne, même si le temps n’est plus structuré selon la logique discursive de la tonalité, le principe d’un temps construit et abstrait est maintenu.
L'œuvre Momente (1962-64/69) de Karlheinz Stockhausen (1928-2007) est un exemple révélateur :
« J’ai essayé que tout ce qui se passe dans ces états et processus ne prenne donc pas, à partir d’un début donné, un cours déterminé jusqu’à une fin fatale, qu’un moment ne soit pas seulement la conséquence de ce qui le précède et la cause de ce qui va suivre, donc une particule d’une durée mesurée, mais de composer des états et processus dans lesquels la concentration sur le présent, sur chaque moment présent, fasse quasiment des tranches verticales, qui pénètrent transversalement la conception horizontale du temps, jusqu’à l’intemporalité, que j’appelle éternité, qui ne commence pas à la fin du temps mais qui est à rejoindre en chaque moment. »40
Comme le remarquent Dominique et Jean-Yves Bosseur, cette approche est basée sur un temps idéalisé :
« Dans la musique dramatique, le “temps musical” est conçu comme un temps artificiel qui se surajouterait au temps du quotidien, transcendant le temps banal de la métricité. Dans la perspective d’une musique momentanée, devrait se produire un renversement de cette conception ; en tant que saisie d’un noyau événementiel, le moment favoriserait une compréhension du temps musical comme existence immanente au temps qui se manifeste. Or, lorsque K. Stockhausen fait appel à la notion d’éternité, de “présent absolu”, ne se retrouve-t-il pas du même coup projeté dans le domaine de la transcendance ? »41
Le moment de Stockhausen se présente comme le résultat d’une volonté de maîtrise sur le temps, spécifique des compositeurs de l'avant-garde européenne :
« Et ce qui dans la musique expérimentale (une pièce de Feldman, par exemple) était quasiment un acte de vie, que vous deviez écouter à l’instant près, a été transformé par Stockhausen en fait structurant (Moment mis en forme) où les moments ne sont pas entendus tels qu’ils arrivent mais tels qu’ils ont été structurés (pour arriver). »42
Dans la musique expérimentale américaine, le temps musical s’inscrit directement dans l'immanence de l'action. Les compositeurs expérimentaux américains privilégient le temps réel et le caractère unique du moment :
« Les procédés engendrent des configurations momentanées qui sitôt survenues appartiennent déjà au passé : le compositeur expérimental s’intéresse non pas au caractère unique de la permanence mais au caractère unique du moment. […] Au contraire, le compositeur d’avant-garde veut figer le moment, afin de rendre son caractère unique non naturel, une possession jalousement gardée. »43
Pour Cage, le temps musical est celui de la présence partagée :
« Qu’il n’y ait plus d’ordre séquentiel préalable, prédéterminé, à respecter, cela ne vise pas à donner nécessairement à l’auditoire le sentiment d’une suspension du temps, mais à éviter que le compositeur communique à l’interprète le secret d’une détermination du temps de laquelle le public serait évincé. Nous sommes tous, Cage, Tudor et le public, “dans” le même temps : ce temps, nous l’occupons en commun. »44
Cage s’oppose à la notion d'un temps musical idéalisé. Pour lui, le temps correspond à être ensemble dans le temps présent :
« CONTEMPORARY MUSIC IS NOT THE MUSIC OF THE FUTURE
NOR THE MUSIC OF THE PAST BUT SIMPLY
MUSIC PRESENT WITH US : THIS MOMENT, NOW,
THIS NOW MOMENT. »45
Le temps de l'être ensemble est le temps réel, immédiat et insaisissable. C'est le temps de l'action au cours duquel un réseau de personnes peuvent expérimenter des histoires :
« C’est à cause de ce réseau déjà existant des relations humaines, avec ses innombrables conflits de volontés et d’intentions, que l’action n’atteint presque jamais son but ; mais c’est aussi à cause de ce médium, dans lequel il n’y a de réel que l’action, qu’elle “produit” intentionnellement ou non des histoires, aussi naturellement que la fabrication produit des objets. »46
L'histoire peut être réifiée pour laisser une trace tangible dans le monde et rester dans la mémoire des hommes :
« Il se peut alors que ces histoires soient consignées dans des documents et des monuments, qu’elles soient visibles en objets ou en œuvres d’art, qu’elles soient contées et racontées et incarnées en toutes sortes de matériaux. Elles-mêmes, dans leur réalité vivante, diffèrent totalement de ces réifications. »47
Dans la musique expérimentale américaine, la réification n'est pas une nécessité. Pour Cage, l'enregistrement n'a pas plus de valeur qu'une carte postale ; elle donne connaissance d'une chose qui est arrivée, alors que l'action était une non-connaissance de quelque chose qui n'était pas encore arrivée. La réification garde la trace d'une histoire vraie et vécue, celle de son héros :
« La distinction entre une histoire vraie et une histoire inventée est précisément que cette dernière a été “fabriquée” ou “forgée”, tandis que l'autre n'a pas été faite du tout. L’histoire vraie dans laquelle nous sommes engagés tant que nous vivons n’a pas d’auteur, visible ni invisible, parce qu’elle n’est pas fabriquée. Le seul “quelqu'un” qu'elle révèle, c'est son héros, et c’est le seul médium dans lequel la manifestation originellement intangible d’un “qui” unique et distinct peut devenir tangible ex post facto par l’action et la parole. »48
La musique expérimentale américaine est le résultat d'une performance qui correspond à une histoire vécue. Le sens musical n'apparaît qu'à la fin.
IV. De l'espace public comme lieu de représentation de l'œuvre à celui de monde commun et partagé
La musique en tant qu'art ne peut exister qu'au sein d'un espace public. Je propose de distinguer deux catégories : l'espace public de représentation de l'œuvre musicale et l'espace public dans lequel une action est possible, celui d'un monde commun et partagé.
L'espace public comme lieu de représentation de l'œuvre
Selon Arendt, le mot “public” désigne deux phénomènes liés l’un à l’autre mais non absolument identique :
« Il signifie d’abord que tout ce qui paraît en public peut être vu et entendu de tous, jouit de la plus grande publicité possible. Pour nous l’apparence – ce qui est vu et entendu par autrui comme par nous-mêmes – constitue la réalité. » 49
La notion d’espace public contribue en premier lieu à faire la distinction entre les choses qui doivent être montrées au public et celles qui doivent rester cachées au sein de la sphère privée :
Figure 1 : Représentation de la première acception du terme public
Espace public et espace privé ne sont pas cloisonnés de façon étanche. Ce qui relève du domaine public peut pénétrer à l’intérieur même de la sphère privée. Certaines choses peuvent également s'échapper de la sphère privée et atteindre le domaine public :
« Comparées à la réalité que confèrent la vue et l’ouïe, les plus grandes forces de la vie intime – les passions, les pensées, les plaisirs des sens – mènent une vague existence d’ombres tant qu’elles ne sont pas transformées (arrachées au privé, désindividualisées pour ainsi dire) en objets dignes de paraître en public. C’est la transformation qui se produit d’ordinaire dans le récit et généralement dans la transposition artistique des expériences individuelles. Mais cette transfiguration n’exige pas nécessairement les ressources de l’art. » 50
Une œuvre musicale classique est en principe élaborée dans l'isolement ou dans le cadre d'un atelier. L'œuvre est cependant contrainte de convoquer un espace public sans lequel elle ne pourrait exister. La salle de concert est le lieu public idéal de la représentation de l’œuvre musicale. C'est le lieu où l’œuvre apparaît au public. Le dispositif scénique, qui se caractérise par la disposition frontale de la scène par rapport au public, permet de poser l’œuvre face au sujet qui la contemple.
Au cours des années cinquante, les compositeurs européens d’avant-garde ont opéré un changement radical à l’égard de la salle de concert :
« Pour beaucoup de compositeurs contemporains […], la question de la réalisation effective de l’œuvre musicale dans la salle de concert ou dans tout autre lieu approprié est un problème d’importance primordiale. Karlheinz Stockhausen va même jusqu’à parler à ce sujet d’une “nouvelle dimension pour l’expérience musicale”. Il s’agit le plus souvent de savoir comment utiliser au mieux les ressources acoustiques et le volume particulier du lieu de l’audition (en distribuant par exemple divers groupes instrumentaux en différents endroits de la salle) en vue d’obtenir des effets sonores spécifiques. »51
Dans Gruppen (1955-57) pour trois orchestres de Karlheinz Stockhausen, Doubles (1957-58) pour orchestre de Pierre Boulez et Terrêtektorh (1965-66) pour 88 musiciens éparpillés dans le public de Iannis Xenakis, par exemple, les spectateurs sont conviés à une écoute multidirectionnelle qui s’oppose à l’écoute frontale classique. Francis Bayer évoque trois principaux types d’effets sonores développés par les compositeurs de l’avant-garde : le relief, l’ubiquité et la mobilité52.
Or, la volonté de la part des compositeurs d’avant-garde de s’affranchir du schéma traditionnel de la salle de concert ne suscite pas de modification réelle dans le rapport fondamental objet-sujet :
« La possibilité d’obtenir des effets spatiaux (notamment la mobilité du son), de convier l’auditeur à une écoute multidirectionnelle a aboli les rapports frontaux entre spectateurs et exécutants qui régissent le concert traditionnel. Cependant, on peut se demander si l’éclatement spatial du concert et la mise en place des conditions spécifiques de diffusion et d’écoute ont réussi à susciter chez l’auditeur la nécessité de prendre en charge sa propre expérience auditive, de s’affranchir de son comportement passif. Même si de telles manifestations sollicitent une nouvelle perception et une compréhension active, ne perpétuent-elles pas en effet l’opposition traditionnelle sujet (auditeur) – objet (œuvre interprétée), à travers les rapports implicites qu’elles maintiennent avec la logique et le contexte du concert traditionnel ? »53
L’espace public comme monde commun et partagé
Lors de l’exécution de la pièce 4’33” de Cage à Woodstock en 1952, les portes de la salle de concert étaient restées ouvertes. Cette remarque anodine annonce une nouvelle conception de l’espace public. Plus tard, dans Variation IV (1963), Cage indique dans l'introduction à la partition que : « “La production sonore peut être comprise seulement en tant qu’ouverture des portes”. »54 La partition consiste en un transparent sur lequel sont inscrits trois cercles et neuf points. Le performer découpe la feuille en gardant deux cercles et sept points et suit à la consigne suivante :
« “Placez un des cercles n’importe où sur le plan ; faites tomber l’autre cercle et les points sur le plan ou en dehors. Prenant le premier cercle comme centre, tracez des lignes (droites) jusqu’à chaque point. Le second cercle agit seulement lorsqu’une (ou plusieurs) des lignes ainsi produites le coupe ou lui est tangente.” »55
Ce dispositif détermine la localisation de l'émission sonore :
« Cage insiste sur les notions d’intérieur et d’extérieur, se préoccupe non des sons, mais des lieux dans lesquels ils seront produits ; ainsi, pour une réalisation dans un espace théâtral, il indique que les événements sonores doivent survenir à l’extérieur de cet espace, sauf si la ligne représentant le parcours de l’instrumentiste rencontre le deuxième cercle jeté sur le plan du lieu de l’action. »56
En 1966, Max Neuhaus (1939-2009) propose Listen à un petit groupe d’auditeurs qui s’attendent à un concert de type traditionnel. La performance se présente comme un concert-promenade à travers différents quartiers de New York.
N'ayant plus d'œuvre à représenter, les acteurs de la musique expérimentale américaine ont progressivement évacué la nécessité de la salle de concert comme lieu de représentation publique. Comment, dans ce cas, concevoir l'espace public qui permet à l'art musical d'exister ?
Arendt propose une seconde acception du mot public en posant une distinction entre :
1° : L'espace privé comme territoire, lieu géographique délimité par une clôture :
« À l’origine, être propriétaire signifiait, ni plus ni moins, avoir sa place en un certain lieu du monde […] Ce bien privé était sacré comme l’étaient les choses secrètes […]. »57
2° : L’espace public comme réseau de relations humaines médiatisées par un monde d’objets :
« En second lieu, le mot “public” désigne le monde lui-même en ce qu’il nous est commun à tous […] Cependant, ce monde n’est pas identique à la Terre ou à la nature, en tant que cadre du mouvement des hommes et condition générale de la vie. Il est lié aux productions humaines, aux objets fabriqués de main d’homme, ainsi qu’aux relations qui existent entre les habitants de ce monde fait par l’homme. Vivre ensemble dans le monde : c’est dire essentiellement qu’un monde d’objets se tient entre ceux qui l’ont en commun, comme une table est située entre ceux qui s’assoient autour d’elle ; le monde, comme tout entre-deux, relie et sépare en même temps les hommes. »58
La représentation suivante permet d’appréhender cette opposition fondamentale :
Figure 2: Représentation de la seconde acception du terme public
Dans la musique expérimentale américaine, l’espace public n’est pas le lieu de représentation de l'œuvre musicale, mais un espace dans lequel l'action au sein de la pluralité est possible. Il s'agit du lieu du politique :
« De toutes les activités humaines nécessaires existant dans les sociétés humaines, deux seulement passaient pour politique et pour constituer ce qu’Aristote nommait bios politikos ; à savoir l’action (praxis) et la parole (lexis) […]. »59
Selon Arendt, c'est en partageant un monde commun dans lequel les relations entre les hommes sont possibles que l'existence peut être considérée comme véritablement humaine :
« Vivre une vie entièrement privée, c’est avant tout être privé de choses essentielles à une vie véritablement humaine : être privé de la réalité qui provient de ce que l’on est vu et entendu par autrui, être privé d’une relation “objective” avec les autres, qui provient de ce que l’on est relié aux autres et séparés d’eux par l’intermédiaire d’un monde d’objets commun, être privé de la possibilité d’accomplir quelque chose de plus permanent que la vie. La privation tient à l’absence des autres ; en ce qui les concerne l’homme privé n’apparaît point, c’est donc comme s’il n’existait pas. »60
Dans la musique expérimentale américaine, l'art devient le lieu du politique. L'espace public est celui qui permet de vivre une expérience humaine et collective :
« L’art n'est pas un objet fabriqué par une personne mais un procédé mis en mouvement par un groupe de personnes. L'art est socialisé. Ce n'est pas quelqu'un qui dit quelque chose, mais des gens qui font des choses, donnant à tous (y compris aux participants) l'opportunité de vivre des expériences qu'ils n'auraient pu vivre autrement. »61
Les dispositifs musicaux expérimentaux, cybernétiques et complexes
Le nombre des dispositifs artistiques actuels est considérable, et ceci dans tous les domaines de l'art (musique, arts visuels, multimédia, danse, cinéma, etc.). Même si ces dispositifs sont très variés, il est quand même possible d'imaginer différentes stratégies afin de les distinguer. Certains dispositifs musicaux, comme je l'ai évoqué en faisant référence à la musique expérimentale américaine, sont basés sur l'utilisation détournée d'outils issus de la musique classique occidentale, comme l'instrument (le “piano préparé” de Cage), la partition (4'33” de Cage) ou la salle de concert (Variation IV de Cage). De nombreux dispositifs ont également été conçus à partir des nouvelles technologies, notamment les dispositifs électroniques au sein de la Live Electronic Music, les dispositifs numériques au sein de la Live Computer Music et les dispositifs en réseau au sein de la Live Network Computer Music.62
En dehors de la technologie utilisée, une autre voie consiste à distinguer les dispositifs selon le type de praxis qu'ils impliquent. À mon sens, la musique expérimentale a évolué d'une praxis comme indétermination absolue de l'action, vers une praxis comme art de la gouverne d'une machine cybernétique et une praxis comme art de piloter ensemble les composants d'un système complexe. Je propose d'éclairer ces points à travers deux exemples.
V . Un dispositif cybernétique interactif : Hornpipe pour cor et console cybersonore (1967) de Gordon Mumma
Les premiers dispositifs musicaux cybernétiques interactifs ont été réalisés au sein de la Live Electronic Music. La cybernétique a été initiée par le mathématicien Norbert Wiener (1894-1964) durant la seconde guerre mondiale. Wiener avait conçu une machine capable de s'auto-gouverner selon une finalité précise en s'adaptant aux variations de l'environnement. La machine comporte une entrée, une boîte noire et une sortie. La boîte noire recueille certaines informations à l'entrée à partir de capteurs sur l'environnement. Elle effectue des opérations qui produisent un effet à la sortie en fonction des objectifs assignés à la machine. Cet effet produit à son tour des modifications sur l'environnement qui vont faire varier les données à l'entrée de la boîte noire : c'est la boucle de rétroaction ou feedback.
Figure 3 : Schéma d'une boucle de rétroaction (feedback)
Ce qui fait la spécificité de la machine cybernétique par rapport à une machine classique est la possibilité d'une interaction homme/machine. En effet, la machine cybernétique ne répond pas aux actions de l'utilisateur selon le modèle du geste instrumental (stimuli-réponse), mais selon sa propre finalité :
« L'expression “mécanismes téléologiques” est le titre que les cybernéticiens donnent à leur rencontres fondatrices, et on la retrouve constamment dans leurs écrits ou discours […]. Ce que l'expression “mécanismes téléologiques” entend désigner, c'est la capacité que possèdent certains systèmes matériels “complexes” de mimer, de simuler, par leur comportements, les manifestations de ce que, dans le langage courant, non épuré par l'attitude scientifique, nous appelons une fin, un but, voire une intention ou une finalité. »63
Cette spécificité de la machine cybernétique a été exploitée au sein de la Live Electronic Music au cours des années soixante. Le dispositif Hornpipe pour cor et console cybersonore (1967)de Gordon Mumma, est un exemple représentatif :
Figure 4 : Hornpipe (1967) de Gordon Mumma 64
Pour ce dispositif, le cor est modifié grâce à l'utilisation de différentes anches en lieu et place du traditionnel embouchoir et de coulisses qui permettent au son de s’échapper de diverses parties de l’instrument. L'environnement est préparé : une série de tuyaux disposés à la verticale, contenant chacun un microphone résonnent à différentes fréquences. Plus loin derrière, sont placés des haut-parleurs.La console cybersonore, attachée à la ceinture du corniste, correspond à la boîte noire d'une machine cybernétique :
« La console cybersonore est plus proche du dispositif de feed-back que de transformation, et fonctionne à partir du principe d’interaction entre les sons produits par le cor et l’environnement. Les circuits de la console contrôlent les sonorités du cor au sein de l’espace d’exécution et s’adaptent jusqu’à compléter ces sonorités. »65
Le performer peut maîtriser le jeu du cor, mais ne peut pas contrôler la console cybersonore qui se comporte selon sa propre finalité :
« Pendant le réglage, certains circuits [de la console cybersonore] sont déséquilibrés et cherchent à rétablir leur équilibre ; et, ce faisant, diverses combinaisons se forment et produisent des réactions sonores purement électroniques. Ces réactions, qui résonnent des haut-parleurs, produisent à leur tour trois autres activités sonores – un ensemble cor et sons électroniques, des séquences électroniques en solo composées de longues réactions cybersonores, et des sons électroniques directement issus des sons produits par le cor. »66
La console cybersonore sert de partenaire au corniste. Il y a interaction homme/machine. La machine cybernétique – la console cybersonore – représente la figure de “l'autre”. Wiener posait d'ailleurs l'analogie homme/machine comme fondement de la cybernétique :
« Qu'est-ce que la cybernétique ? Durant de nombreuses années, j'ai étudié les techniques de la transmission. Aussi ai-je été amené à concevoir et à examiner diverses machines dont certaines ont prouvé leur étrange aptitude à imiter le comportement humain, éclairant ainsi quelque peu sa nature. Elles ont même démontré leur extraordinaire capacité de substituer leur comportement au nôtre, en de multiples circonstances où nous sommes relativement lents et inefficaces. »67
La machine acquiert de l'autonomie. Son comportement devient imprévisible. Une sorte de dialogue peut s'instaurer entre le performer (celui qui agit) et la machine cybernétique (figure de l'autre). Le performer peut décider de donner telle ou telle direction à la musique à travers ses actions, mais le résultat est toujours indéterminé. La musique cybernétique interactive peut alors être définie comme art de gouverner la machine cybernétique. La création musicale relève donc d'une praxis qui se réalise sur la base d'une interaction homme/machine.
VI . Les premiers dispositifs de musique en réseau complexes : les dispositifs de la League of Automatic Music Composers (1978-1983)
Les premiers dispositifs complexes ont été réalisés par les pionniers de la musique en réseau à travers la formation de deux collectifs, The League of Automatic Music Composers (1978-1983) et The Hub (1986-1997). Alors que les dispositifs cybernétiques interactifs sont fondés sur l'interaction homme/machine, les dispositifs complexes sont basés sur l'échange d'informations entre les constituants d'un système.
Pour les théoriciens de la complexité, les systèmes sont partout dans la nature. Comme l'évoque Edgar Morin, l'objet n'a plus d'existence en soi, tout ce qui nous entoure est devenu système :
« Hors systèmes, il n'y a que la dispersion particulaire. Notre monde organisé est un archipel de systèmes dans l'océan du désordre. Tout ce qui était objet est devenu système. Tout ce qui était même unité élémentaire, y compris et surtout l'atome, est devenu système. »68
Le second principe de la thermodynamique érigé au dix-neuvième siècle est le fondement du paradigme de la complexité. Le désordre est inscrit dans le réel. Un système représente de l'organisation, de l'ordre qui se manifeste au sein du désordre. Un système se forme dès que des éléments entrent en interaction les uns avec les autres. D'après Edgar Morin, la première cybernétique a évolué de l'art/science de la gouverne vers la complexité (ou seconde cybernétique) qui est l'art/science de piloter ensemble. Or, “piloter ensemble” signifie que des éléments communiquent entre eux pour constituer un système. La notion d'information est fondamentale pour expliquer toute forme d'organisation complexe de la nature. Échanger de l'information, c'est créer de l'organisation communicationnelle. L'information est créatrice.
La musique en réseau de la League of Automatic Music Composers vise la réalisation d'un dispositif musical, dans le prolongement de la musique expérimentale américaine :
« Je pense que cette musique repose très fortement sur une tradition américaine de la création : de l'idée que l'un des moyens de faire de la musique est d'inventer un dispositif qui manifeste un comportement, et que le comportement de ce dispositif est la musique, et que nous sommes libres de circuler et d'écouter différents éléments et de les explorer. Tout comme nous sommes en mesure d'étudier un objet naturel. »69
Or, ce qui est essentiel par rapport au paradigme de la complexité, réside dans la volonté de part des pionniers de la musique en réseau de réaliser des dispositifs qui visent à simuler le comportement d'un système complexe. Cette utopie est réalisée par le biais d'un réseau de micro-ordinateurs dans lequel les échanges d'informations vont créer de l'organisation communicationnelle :
Figure 5 : Performance de la League of Automatic Music Composers à Fort Mason, San Francisco, 1981. De gauche à droite : Tim Perkis, Jim Horton et John Bischoff 70
Dans un dispositif de la League of Automatic Music Composers, chaque performer relie son micro-ordinateur à des périphériques (appareils électroniques, convertisseur numérique/analogique, ou autres) et écrit un programme personnel de synthèse ou de musique algorithmique pour pouvoir produire de la musique de façon individuelle et autonome. Cependant, chaque station est également capable d'échanger de l'information avec une autre station du réseau. Ce point est essentiel. Les programmes écrits par chaque compositeur sont modifiés en vue de permettre des échanges de données entre les ordinateurs :
« En avril 1978, Jim Horton a modifié son programme pour accepter les données concernant les fréquences spécifiques que l'ordinateur de John Bischoff pouvaient transmettre. John Bischoff a lui aussi modifié son programme pour lui permettre d'envoyer ces données à chaque fois qu'il était prêt à produire un son. »71
Au cours d'une performance de musique en réseau de la League, chaque performer produit de la musique depuis sa propre station. Cependant, chaque performer envoie de l'information vers une station, en même temps qu'il reçoit des informations provenant d'une autre station.
Le résultat musical provient des interactions qui se produisent à partir de ces échanges continus d'informations.
La musique complexe résulte des multiples interactions qui se produisent durant la performance :
« La structure non hiérarchique du réseau encourage la multiplicité des points de vue et permet aux parties distinctes du dispositif de fonctionner dans divers modes de production musicale. Cela signifie que la forme de la musique à chaque instant est le résultat de l'enchevêtrement des activités individuelles des parties tout en étant sous l'influence des informations échangées entre les ordinateurs. »72
La nature des échanges d'informations importe peu, seule la communication est essentielle :
« Chaque "station" appartenant à un compositeur jouait sa propre composition, avait son propre matériel de production sonore, et pouvait envoyer et recevoir des informations des autres stations. La signification de cette information pouvait être complètement différente d'un bout à l'autre de l'échange : une indication sur la hauteur d'un compositeur pouvait contrôler le rythme d'un autre compositeur, par exemple. Aucune station ne remplissait une fonction d'exécution, et aucune ne possédait une partition globale. »73
La Leagueof Automatic Music Composers ne propose pas d'œuvres musicales. La musique en réseau des pionniersn'est pas le résultat d'une activité compositionnelle comme poïesis (œuvrer de façon isolée) mais le résultat d'une praxis (agir au sein de la pluralité) comme art de piloter ensemble. Cette praxis implique nécessairement un espace public comme monde commun et partagé. La musique n'est pas le résultat d'une idée musicale pré-établie. Les structures musicales qui surgissent des performances de la League représentent de l'organisation communicationnelle :
« La musique de la League of Automatic Music Composers et du Hub est une musique locale, réalisée par des compositeurs individuels fascinés par les conséquences du partage de l'information au sein d'un réseau. »74
Dans les premiers temps, les membres de la League se contentaient de lancer les programmes et allaient s'asseoir parmi les membres du public. Dans ce genre de création musicale comme praxis, les agents de l'action dans l'espace public sont les micro-ordinateurs eux-mêmes, cet aspect étant sous-tendu par l'utopie cybernétique de l'analogie homme-machine :
« Nous mettions en place les ordinateurs sur une grande table, et comme beaucoup l'avaient remarqué, il n'y a rien de plus ennuyeux que des ordinateurs sur scène. Il fallait souvent 24 heures ou plus pour réaliser toutes les connexions. Nous faisions alors tourner les ordinateurs. Ils commençaient à faire de la musique. Nous nous asseyions derrière (ou même nous allions rejoindre le public) pendant que les ordinateurs – et bien – jammaient les uns avec les autres ! La musique complexe qui en résultait n'était pas celle que nous avions composée et n'était en aucune manière déjà connue. En outre, ce qui était intéressant était le fait que lorsque nous observions ce moment musical après coup, les ordinateurs semblaient avoir eu un rôle d'agent logiciel indépendant leur permettant de créer un ensemble musical, plus vaste et plus intrigant, que chacun d'entre eux. Jim [Horton] aurait dit que le réseau dégage une force de vie. Je ne suis pas assez intelligent pour le savoir. »75
Les compositeurs de la League ont cependant ensuite décidé d'intervenir au cours des performances afin de gouverner la musique vers telle ou telle direction :
« Initialement, nous laissions les ordinateurs en réseau fonctionner d’eux-mêmes dans la performance, sans surveillance, et nous allions dans les coulisses pour écouter avec le public. Après, il semblait plus drôle de faire une performance avec le réseau alors, nous avons commencé à nous asseoir autour d’une grande table de matériels, pour ajuster les paramètres sur-le-champ en essayant de diriger la musique vers telle ou telle direction. »76
Tableau récapitulatif des dispositifs expérimentaux, cybernétiques et complexes
Création musicale fondée sur la praxis |
Musique expérimentale |
Musique cybernétique |
Musique complexe |
Types de praxis |
Praxis comme indétermination absolue de l'action |
Praxis comme art de la gouverne (de la machine cybernétique) |
Praxis comme art de piloter ensemble (les composants d'un système complexe) |
Artistes pionniers américains |
John Cage |
Alvin Lucier et Robert Ashley (feed-back) Gordon Mumma (console cybersonore) |
Deux collectifs : League of Automatic Music Composers et The Hub |
Dispositifs pionniers |
Dispositifs basés sur le détournement des outils de la musique classique européenne (instrument, partition, salle de concert, etc.) |
Dispositifs conçus comme machines cybernétiques au sein de la Live Electronic Music |
Dispositifs conçus comme systèmes complexes au sein de la Live Network Computer Music |
Dates des événements fondateurs |
1938 “Piano préparé” de Cage 1952 4'33” de Cage 1963 Variations IV de Cage |
Dispositif autonome 1955 Tour Spatiodynamique et Cybernétique (1955)77 de Schöffer Dispositif interactif 1967 Console cybersonore de Mumma |
Musique en réseau 1978-1983 The League of Automatic Music Composers 1986-1997 The Hub |
Publié en Décembre 2009
Bibliographie
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Sites web
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Notes
1 Le sérialisme généralisé est l’extension du principe dodécaphonique schönbergien (Méthode de composition avec douze sons n’ayant de rapport qu’entre eux, 1921), à l’ensemble des paramètres musicaux (hauteur, durée, intensité et timbre).
2 Bayer Francis, De Schönberg à Cage, Essai sur la notion d’espace sonore dans la musique contemporaine, Paris, Klincksieck, 1987, p.69.
3 Nyman Michael, Experimental Music : Cage and Beyond, Londres, 1974, traduit par Nathalie Gentili sous le titre Experimental Music, Cage et au-delà, Paris, Éditions Allia, 2005, p.23.
4 Bayer Francis, op. cit., p.183.
5 Id., p.186.
6 Id., p.187.
7 Extrait de la partition d’Incidental Music de Brechttraduite dans Nyman Michael, op. cit. p.48.
8 Nyman Michael, op. cit., p.23.
9 Charles Daniel, Gloses sur John Cage, Paris, Union Générale d’Éditions, 1978, p.16.
10 Arendt Hannah, Condition de l'homme moderne, Paris, Calmann-Lévy, coll. « Pocket Agora », 1983, trad. par Georges Fradier, p.224.
11 Dusapin Pascal, « Composer n’est pas la musique », Causeries sur la musique : entretiens avec des compositeurs, Danielle Cohen-Levinas éd., Paris, L’Harmattan,1999, p.223.
12 Boulez Pierre, Jalons (pour une décennie), Paris, Bourgois, 1989, p.48.
13 Arendt Hannah, op. cit., p.246.
14 Ashley Robert, 1961, cité dans Nyman Michael, op. cit., p.34.
15 Arendt Hannah, op. cit., pp.194-196
16 Id., p.196.
17 Boulez Pierre, op. cit., p.259.
18 Ces catégories sont énoncées par Bayer Francis, op. cit., p.178.
19 Bayer Francis, op. cit., pp.178-179.
20 Id., p.154.
21 Reynold Roger, « Entretien (1961) ; John Cage/Roger Reynold », John Cage, Daniel Charles éd., Revue d’Esthétique, n°13-14-15 nouvelle série, Toulouse, Éditions Privat, 1987-1988, p.399.
22 Boucourechliev André, « Entretien avec François-Bernard Mâche », Les mal entendus : compositeurs des années 70, La Revue Musicale, n°314-315, Paris, Richard Masse, 1978, p.44.
23 Deleuze Gilles, Différence et répétition, Paris, Presses Universitaires de France, Septième édition, 1993, pp.272-273.
24 Arendt Hannah, op. cit., p.247.
25 Id., p.234.
26 Charles Daniel, Gloses sur John Cage, Paris, Union Générale d’Éditions, 1978, p.66.
27 Arendt Hannah, op. cit., pp.248-249.
28 Nyman Michael, op. cit., p.61.
29 Charles Daniel, L’esthétique du non finito, Communication au Congrès International d’Esthétique d’Amsterdam (1964). Repris entre autres dans Gloses sur John Cage, Paris, Union Générale d’Éditions, 1978, p.12.
30 Arendt Hannah, op. cit., p.223.
31 Id., p.192.
32 Id., p.194.
33 Boulez Pierre, op. cit., p.79.
34 Arendt Hannah, op. cit., p.193.
35 Boulez Pierre, op. cit., p.66.
36 Id., p.33.
37 Adorno Theodor, Théorie esthétique, Paris, Klincksieck, 1995,trad. par Marc Jimenez, p.175.
38 Boulez Pierre, op. cit., p.69.
39 Trad. « What is the nature of an experimental action ? It is simply an action the outcome of which is not foreseen. It is therefore very useful if one has decided that sounds are to come into their own, rather than being exploited to express sentiments or ideas of order. Among those actions the outcomes of which are not foreseen, actions resulting from chance operations are useful. However, more essential than composing by means of chance operations, it seems to me now, is composing in such a way that what one does is indeterminate of its performance. » Cage John, « History of Experimental Music in the United States », Silence : Lectures and Writings, Cambridge, MIT Press, 1967, p.69.
40 Stockhausen Karlheinz, « La musique et ses problèmes contemporains », Cahiers Renaud-Barrault, Paris, Julliard, 1963. Cité dans Bosseur Dominique et Jean-Yves, Révolutions musicales, La musique contemporaine depuis 1945, Paris, Minerve, Quatrième édition revue et complétée, 1993, p.53.
41 Bosseur Dominique et Jean-Yves, Révolutions musicales, op. cit., p.54.
42 Nyman Michael, op. cit., p.59.
43 Id., pp. 29-30.
44 Charles Daniel, Gloses sur John Cage, op. cit., p.31.
45 Cage John, « Composition as process », Silence : Lectures and Writings, Cambridge, MIT Press, 1967, p.43.
46 Arendt Hannah, op. cit., p.241.
47 Ibid.
48 Id., p.244.
49 Id., p .89.
50 Id., pp.89-90.
51 Bayer Francis, op. cit., p.13.
52 Le relief est obtenu par la dissociation du complexe sonore et une diffusion à partir de différents endroits de la salle ; l’ubiquité intervient quand différents instruments ou groupes instrumentaux sont dispersés dans la salle et entendus simultanément ; la mobilité vise la circulation des sons d’un instrument ou groupe instrumental à l’autre.
53 Bruzaud Radosveta, « Les enjeux du concert dans les années soixante », Le concert : Enjeux, fonctions, modalités, Françoise Escal & François Nicolas éds., Paris, L’harmattan,2000, pp.167-168.
54 John Cage, cité dans Bosseur Jean-Yves, John Cage, Paris, Minerve, 1993, p.55.
55 Id., p.54.
56 Bosseur Jean-Yves, Id., pp.54-55.
57 Arendt Hannah, op. cit., pp.102-103.
58 Id., p.92.
59 Id., p.62.
60 Id., p.99.
61 Cage cité par Nyman Michael, op. cit., p.198.
62 J'ai réalisé un historique de la Live Electronic Music à la Live Computer Music et Live Network Computer music – respectivement : musique électronique vivante, musique numérique vivante et musique en réseau – dans Baranski Sandrine, Thèse de Doctorat : La musique en réseau, une musique de la complexité ?
63 Dupuy Jean-Pierre, « L'esprit mécanisé par lui-même », La philosophie cognitive, Elisabeth Pacherie & Joëlle Proust éds., Paris, Éditions MSH, 2004, p.93.
64 Photographie de Jumay Chu, issue du site web de l'EMS via
65 Nyman Michael, op. cit., pp.156-157.
66 Nyman Michael, op. cit., p.157.
67 Wiener Norbert, Cybernétique et société, L’usage humain des êtres humains, Paris, Union Générale d'Éditions, 1971, pp.27-28. Je souligne.
68 Morin Edgar, La Méthode, Tome 1, La nature de la nature, Paris, Seuil, 1977, p.99.
69 Trad. : « I feel this music is sitting very strongly in an American tradition of invention : of the idea that one way of making music is to invent a system that behaves, and that the behavior of this system is the music, and that we're free to move and listen to different elements and explore it. Just as we're able to explore a natural object. »Tim Perkis inHorton Jim, « The History of Experimental Music in Northern California », disponible via http://www.o-art.org/history/Computer/Hub/renga/PaperRenga.html
70 Brown Chris, Bischoff John, « Computer Network Music Bands : A History of The League of Automatic Music Composers and The Hub », At a Distance, Precursors to Art and Activism on the Internet, Annmarie Chandler & Norie Neumark éds., Cambridge, The MIT Press, 2005, Photographie de Peter Abramowitsch, p.379.
71 Trad. : « In April 1978 Jim Horton modified his program so as to accept data regarding the specific frequencies that John Bischoff's computer was putting out. John Bischoff altered his program to enable it to send that data each time it was ready to produce a tone. » Bischoff John, Gold Rich et Horton Jim, « Music for an Interactive Network of Microcomputers », Computer Music Journal, Vol.II, n°3,1978, p.25.
72 Trad. : « The non-hierarchical structure of the network encourages multiplicity of viewpoints and allows separate parts in the system to function in a variety of musical modes. This means that the moment-to-moment form the music takes is the combined result of the overlapping individual activities of the parts with the coordinating influence of the data exchanged between the computers. » Bischoff John, Gold Rich et Horton Jim, « Music for an Interactive Network of Microcomputers », in op. cit., pp.28-29.
73 Trad. : « Each player's “station” played its own composition, had its own sound-making equipment, and would send and receive information to and from the others. The meaning of this information might be completely different on one end of the exchange and the other : a pitch indication from one player might be controlling the rhythm of the other, for example. No one station would fulfill an executive function, or have an overall score. » The League of Automatic Music Composers (1978-1983), disque compact,New World Records, 2007, 80671-2, texte du livret, p.12.
74 Trad. : « The music of the League of Automatic Music Composers and The Hub was a local music, made by individual composers fascinated by the musical implications of musicians sharing information in a network. »Brown Chris, Bischoff John, « Computer Network Music Bands : A History of The League of Automatic Music Composers and The Hub », in op. cit., p.389.
75 Trad. : « We would set up the computers on a long table, and as many other have discovered, there is nothing more boring than computers on stage. It would often take 24 hours or more to make all the connections work. We would then turn the computers on. They would start making music. We would sit back (or even move to the audience) as the computers – well – jammed with each other ! The resultting, complex music was none that we had composed in any previously known manner of speaking. Furthermore, and interestingly as we look back on this musical moment, the computers were acting as independent sofware agents creating a musical totality larger, and more intriguing, than themselves. Jim would argue that they embodied a life force. I'm not smart enough to know. » Gold Rich, The Plenitude, Creativity, Innovation, and Making Stuff, Cambridge, MIT Press, 2007, p.29. Je souligne.
76 Trad. : « Initially, we let the networked stations run on their own in performance, unattended, and retired to the sidelines to listen along with the audience. After a while it seemed more fun to perform along with the network, so we began to sit around our large table of gear, adjusting parameters on the fly in an attempt to nudge the music this way or that. » Brown Chris, Bischoff John, « Computer Network Music Bands : A History of The League of Automatic Music Composers and The Hub », inop. cit., pp.380-381.
77 La tour Spatiodynamique et Cybernétique de Schöffer a été réalisée après la lecture par l'artiste du livre de Norbert Wiener intitulé Cybernétique et société (1948). Ce projet français est pionnier dans la musique cybernétique mais ne s'inscrit pas au sein de la Live Electronic Music américaine. Il s'agit d'un dispositif autonome (interaction machine/environnement) et non pas interactif (interaction homme/machine).