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Entretiens

Jean-Marc Warszawski

Entretien avec Laurent Cuniot

Texte intégral

Jean-Marc Warszawski :

- Le sigle TM+ a-t-il une signification particulière ?

Laurent Cuniot1 :

- Oui, il a une signification qui tient à l'histoire de l'ensemble, ce qui est un peu compliqué et long à détailler. Pour éviter cela, on a trouvé une formule : « Territoires Musicaux ».

- TM+ est présenté comme un ensemble orchestral de musiques d'aujourd'hui. Comment définissez-vous cette musique ? Est-ce une question de dates, par exemple, les compositeurs d'après 1945 ? Ou y a-t-il des critères esthétiques, disons, généraux, pour ne pas entrer dans la question des écoles particulières ?

- La définition recouvre forcément les deux choses. J'estime qu'il y a un répertoire contemporain qui part des années 1945-1950. Il est immense, très large et varié. C'est un atout important pour les ensembles instrumentaux car on peut construire des programmes extrêmement riches, avec maintenant, cinquante années de musique. Il y a aussi, évidemment, la question de l'invention et de la qualité du langage des œuvres. Une œuvre contemporaine, c'est à la fois une œuvre qui s'inscrit dans la période contemporaine, et qui est soucieuse de préoccupations qui ont été portées par les Avant-Gardes des années cinquante. De fait, on est toujours dans un processus d'invention, de composition, qui reflète vraiment le monde d'aujourd'hui, et non pas dans un processus nostalgique. Même si TM+ est très ouvert en termes d'esthétique, les compositeurs, d'horizons extrêmement différents, qu'on y côtoie, ont comme point commun d'être portés par le langage musical d'aujourd'hui.

- Vous pensez donc que 1945 est une date charnière, et qu'on ne pourrait pas placer le début des esthétiques contemporaines aux années 1880-1910 ? Je pense particulièrement à Charles Ives, et aux premières pièces atonales de Schönberg, en 1907, année des « Demoiselles d'Avignon » de Picasso. Ne peut-on placer ce basculement, l'abandon de la tonalité classique, à l'époque du « Modern Style » ?

- Tout à fait. Ce que je considère être le répertoire de l'ensemble, je le fais partir des années 1906. Pour moi, la date c'est la première « Symphonie de chambre » de Schönberg, qui, dans sa configuration pour quinze instruments, a défini ce qu'est l'ensemble moderne d'aujourd'hui. En allant plus loin, la seconde École de Vienne, notamment l'œuvre de Schönberg, est à un ensemble comme TM+, ce qu'est la première École de Vienne, Haydn, Mozart, Beethoven, à l'orchestre classique, en termes de base de répertoires et de façonnage du son, qui fondent l'identité de l'ensemble. Évidemment, à l'intérieur de cela, il y a des catégories quelque peu différentes. Ce qu'on appelle la musique contemporaine est la musique qui a émergé de l'Avant-Garde des années 1950. Il y a les grands classiques du xxe siècle, à partir de 1906, et le répertoire familier, pour ce qui nous concerne, depuis 1950.

- Des œuvres qu'on classe aujourd'hui comme « néo tonales », ou de compositeurs comme Arvo Pärt ou, très différent, Thierry Escaich, auraient-elles le profil pour intégrer votre répertoire ?

- Il suffit de les écouter pour s'apercevoir que non. Ce qui m'intéresse, dans les générations de compositeurs qui ont aujourd'hui entre 25 et 40 ou 50 ans, quelle que soit leur orientation esthétique, est de voir comment ces compositeurs ont su intégrer tous les acquis de l'Avant-Garde, les dépasser d'une certaine façon, en termes de préoccupation de langage, pour retrouver une qualité de communication et d'impact sur le public. Cette démarche est particulièrement significative dans les jeunes générations. Une jeune génération m'a beaucoup intéressé, je l'ai beaucoup jouée, et je pense avoir aidé avec l'ensemble, à la faire émerger. Je pense à Alexandros Markeas, Bruno Mantovani, Régis Campo, et d'autres. Il sont complètement nourris du travail fourni par les Avant-Gardes des années 1950, et en même temps, ils ont su digérer tout cela, trouver un style personnel, très original, avec une véritable préoccupation, qui paraît nouvelle par rapport au regard dela radicalité qui pouvait exister à une certaine époque. Il s'agit de retrouver un lien de communication assez spontané avec le public. C'est un aspect important aujourd'hui pour développer la diffusion de la musique contemporaine.

- Cela est évident à l'oreille, lorsque qu'on écoute les compositeurs dont vous parlez. Ne pourrait-on pas rattacher ce nouveau souci à l'explosion des années 1970, avec les rapprochements qu'on a connus entre divers genres de musique ?

- Non. J'ai pu l'observer en tant que professeur de « composition et nouvelles technologies » au Conservatoire de Paris, où j'ai enseigné pendant plus de vingt ans. J'ai vécu l'évolution des jeunes compositeurs, la manière dont ils se situaient par rapport au répertoire, et par rapport à l'évolution de la musique elle-même, et je trouve que c'est un phénomène beaucoup plus récent, et je le daterais plutôt des années 1990. C'est une espèce de boucle qui vient de s'achever, ouverte à la fin du xixe  siècle et début du xxe siècle, jusqu'à la seconde.

Avant-Garde, dont on peut dire qu'elle a été portée par l'École spectrale, avec des compositeurs comme Tristan Murail, Gérard Grisey ou Hugues Dufourt. Cette révolution, au sens propre comme au sens figuré, est accomplie, et les jeunes compositeurs ont aujourd'hui une démarche un peu différente. Elle n'est pas, comme pour leurs aînés, de se poser la question du renouvellement du langage qui a été profondément renouvelé. Ils le reçoivent aujourd'hui en héritage. Grâce à la maturité de ce ou ces langages, donnés en héritage, ils peuvent se préoccuper à nouveau des questions de l'expression et de la communication. C'est un phénomène qu'on observe depuis relativement peu de temps, y compris dans les discours, dans la manière de revendiquer ouvertement la séduction, sans être taxé de néo-classicisme ou de vulgarité. Il fut un temps où la séduction ou la communication semblaient suspectes, car on était dans les exigences du renouvellement du langage. Depuis peu de temps, on en est sorti, et grâce à ce réseau de contraintes qui a été reconstitué, les compositeurs sont d'autant plus libres. Ils peuvent trouver un lien direct avec le public, ce qui est, pour nous, ensembles instrumentaux et interprètes, un atout important, pour toucher un public nouveau et plus large.

- Donc, comme au temps de Monteverdi, nous sommes dans une « seconda prattica » ?

- S'il y avait un parallèle à faire, je le ferais volontiers.

- Comment concevez-vous les programmes de vos concerts ? Quelles sont les envies, quelles sont les contraintes ? Un concert est-il une création en soi ?

- En effet. Une des identités de l'ensemble, au niveau des programmes, c'est une réflexion sur les liens entre présent et passé. Cela est, selon les saisons, plus ou moins apparent, mais une des orientations principales est de réfléchir à la relation intime et dépendante des œuvres d'hier par rapport aux œuvres d'aujourd'hui. Au fond, il y a l'idée de redonner aux œuvres du passé, une vitalité, et les faire entendre comme si elles avaient été composées la veille. C'est un propos que je renverse souvent, car je pense que l'avenir de la musique classique passe par la musique contemporaine. Des confrontations réellement bien pensées, qui valorisent chacune des œuvres, permettent de donner une vie nouvelle permanente, à l'écoute des œuvres du passé. Ce travail est conduit par l'Ensemble depuis des années, avec l'idée que chaque programme doit être une proposition, presque comme une composition. Il doit être un voyage de l'écoute pour l'auditeur, qui va le mener dans des paysages très différents, qui vont mutuellement se renforcer. Il faut que chaque œuvre permette d'entendre celle qui est avant ou après, celle qui est autour, au mieux. Qu'aucune ne s'étouffe, au contraire que chacune se valorise, que le choix de leurs caractéristiques, de leurs rythmes, de leurs couleurs, de leur énergie, permette de nourrir l'écoute de l'auditeur. De la première à la dernière minute du concert, on doit être dans un parcours cohérent, inventif, qui donne envie d'entendre l'œuvre qui va suivre.

Cette approche n'est pas nécessairement liée à une thématique. La construction d'un programme peut naître à partir de l'envie de monter telle symphonie de chambre de Schönberg, ou le « Kammerkonzert » de Berg, ou une création de 15 ou 16 instruments de Manoury, et d'envisager comment on va pouvoir mettre en place tout un réseau de pièces qui vont se nourrir et créer une forme musicale qui restera vivante de la première à la dernière minute. Ce ne sont pas des programmes didactiques, ce ne sont pas des programmes thématiques, ou cela est rarement le cas. Par contre, pour communiquer autour du programme, je trouve toujours un titre, et une espèce de point d'accroche qui permettent à l'auditeur d'avoir au moins un résuméde l'esprit du programme.

- Peut-on avoir un regard contemporain sur la musique baroque ? Est-ce, comme le pense Harnoncourt, de la musique historique ? Y a-t-il reconstruction de la musique du passé ou réappropriation ?

- Ce qui est important est la réappropriation. Mais je pense que tout le travail mené par les musiciens baroques est absolument formidable. Ils ont permis de repenser les questions de style, de phrasé, de son, d'articulation, alors qu'on était figé dans des habitudes fixées au xixe  siècle. Ils ont vraiment décapé et renouvelé une approche stylistique à travers ces musiques. Il est important aujourd'hui, de conduire cette réflexion stylistique sur la musique contemporaine. Le manque d'esprit critique sur l'interprétation des musiques d'aujourd'hui est un travers de nos habitudes musicales. Lors des créations d'œuvres, on valorise toujours le compositeur, ce qui est, certes, le plus important. Mais il y a une approche qui doit être instruite, nourrie, car on n'interprète pas les musiques contemporaines avec les mêmes styles que la musique classique. Il y a des questions de phrasé, d'articulation qui sont propres à la musique contemporaine. En ce sens, le voisinage avec la musique ancienne est intéressant car dans des champs esthétiques complètement différents, il y a la même préoccupation d'inventer une interprétation en phase avec la musique en question, en prenant du recul, avec l'héritage du xixe siècle, qui est toujours l'héritage de base dans la formation des instrumentistes et des chanteurs.

- Avez-vous des relations privilégiées avec des compositeurs, dont vous suivez la production et l'évolution dans la durée ?

- Il y a ceux que j'ai cités et qui ont été mes élèves au Conservatoire dans les années 1990. Beaucoup de ces jeunes compositeurs ont commencé avec TM+. Mantovani, que j'ai suivi de très près, a écrit ses toutes premières œuvres pour l'Ensemble. Alexandros Markeas, Régis Campo, Thierry Pécou. Ils forment une jeune école qui est proche de l'Ensemble. Il y a aussi des compositeurs qui sont plus de ma génération et que j'aime beaucoup, et dont le travail accompagne régulièrement les programmes de l'Ensemble. Philippe Hurel, Philippe Leroux, Philippe Fénelon. Encore un « Philippe », avec Philippe Manoury, auquel nous allons consacrer un portrait cette année. Le spectre des intérêts de l'Ensemble est large, avec y compris les grandes figures de l'Avant-Garde. Un certain nombre des œuvres de Pierre Boulez sont à notre répertoire. Nous avons eu l'occasion de monter les « Improvisations sur Mallarmé », pour le concert-anniversaire de ses quatre-vingts ans. Nous avons noué une relation de travail très forte avec Jonathan Harvey, qui est un des compositeurs que j'admire le plus. Nous avons inscrit plusieurs de ses œuvres à notre répertoire, et nous espérons continuer ce compagnonnage avec, à mon, avis, l'un des compositeurs les plus importants d'aujourd'hui.

- Que signifie pour un ensemble comme le vôtre, d'être en résidence ?

- Cela signifie tout. D'abord la stabilité. TM+ est en résidence à la Maison de la Musique de Nanterre depuis onze ans maintenant. C'était le projet central de l'Ensemble, c'est-à-dire de pouvoir travailler dans la durée, auprès des publics, des nouveaux publics. Cela permet de construire une saison. La résidence est un élément indispensable à la vie, à la pérennité d'un ensemble, quel qu'il soit.

- Quelque chose à dire de particulier sur la résidence à Nanterre même?

- Tout. J'ai tout à dire sur la résidence à Nanterre, que nous construisons en étroite collaboration avec la direction artistique de la Maison de la musique (Bruno Messina) et le service « Recherche et sensibilisation des publics de la ville » (Isabelle  Broussolle et Gilles Duval). Cela a été le creuset de notre développement artistique et surtout un projet de rencontre de conquête de nouveaux publics. Le travail en résidence offre plusieurs aspects, dont celui de la saison qui est très important sur le plan artistique, pour penser les programmes et construire une identité de travail avec les musiciens de l'Ensemble.

Par ailleurs, il y a toute la construction au niveau de l'action culturelle : la rencontre avec les nouveaux publics, l'insertion dans le tissu social et culturel de la ville. Un projet de résidence comme celui-ci, que nous avons pu construire et qui développe de nombreux aspects, permet d'inscrire la musique contemporaine au cœur de la vie des gens. C'est vraiment une des ambitions de cette résidence.

- Votre direction musicale est-elle, comme dans « Prova d'orchestra » de Federico Fellini, celle d'une autorité indiscutable, ou bien est-elle plus collégiale avec les musiciens ?

- Ce serait plutôt aux musiciens de répondre à cette question. J'essaie d'avoir une autorité indiscutable, sans que cela ne devienne un rapport caricatural, ou un type d'autorité comme l'exige un orchestre symphonique. La relation avec quatre-vingts musiciens est forcément par nature différente de celle d'un chef avec une quinzaine de musiciens ou des groupes plus petits. Les musiciens qui participent à un ensemble comme TM+ sont des musiciens de très haut niveau, très motivés et engagés. La question de la discipline ne se pose pas vraiment. C'est une question de professionnalisme, de concentration, de rythme de travail. C'est extrêmement confortable et enthousiasmant parce que nous pratiquons un type de travail qui permet d'aller très en profondeur dans les œuvres des compositeurs. Ce sont des structures légères qui permettent d'avoir une vraie rencontre avec les compositeurs, une vraie complicité. Il y a à la fois un approfondissement sur le plan du langage du compositeur, mais aussi de sa personnalité. Le fait de travailler sur toute une série avec le compositeur présent, dans le cadre d'échanges fluides et simples, permet d'être en sympathie avec lui et d'aller plus loin dans la compréhension de ce qu'il est et de ce qu'est sa musique.

- TM+ existe depuis plus de vingt ans. Le temps porte-t-il l'Ensemble qui a acquis une personnalité, ou faut-il encore porter le temps à bout de bras ?

- Les deux. Au fil des années, l'Ensemble s'est imposé, dans les liens avec les partenaires, avec les collectivités, avec l'État, avec sa diffusion. Il y a une histoire, une forme de solidité, qui n'ont rien à voir avec les toutes premières années de l'Ensemble. Mais en même temps, comme toute formation qui n'est pas institutionnalisée, c'est un combat de chaque instant. On sait que ce qui est considéré comme pérenne, ce sont les institutions symphoniques, les institutions d'opéra, alors que depuis quelques années, j'en ai le sentiment, la vitalité s'est déplacée vers les ensembles, qu'ils soient baroques ou contemporains. Cette réalité est prise en compte par les pouvoirs publics, mais dans une durée limitée, par exemple en liaison avec la personnalité du directeur artistique. Or, ce qui m'importe est d'inscrire le projet TM+, qui est un projet à l'image de l'époque, dans la défense des répertoires, par le fonctionnement lui-même, la souplesse, l'ouverture, le renouvellement. Je voudrais que ces ensembles, comme le nôtre, qui sont à l'image de leur époque, perdurent, au-delà des engagements personnels de telle ou telle personne.

- Vous donnez entre 25 et 35 concerts, en France par an, qui rassemblent, pour ce qui concerne Nanterre, plus de 5000 spectateurs. Êtes-vous satisfait ?

- On n'est jamais satisfait d'un état de public. On travaille continuellement à accroître notre audience. Mais la façon dont le public s'est construit à Nanterre et la fréquentation sont remarquables, c'est un socle très important. Les récentes enquêtes, menées sur tous les spectacles à la Maison de la Musique de Nanterre, montrent que les concerts de TM+, sont une des propositions qui fédèrent le plus de Nanterriens parmi le public. C'est un des résultats de la résidence.

- La culture de masse, déjà pointée par Adorno, n'est-elle pas une illusion ? Une musique qui demande une certaine attention à l'écoute peut-elle remplir des stades ? Cette attention est-elle compatible avec la marchandisation actuelle des biens culturels ?

- Bien sûr, cela ne peut pas devenir une culture de masse, mais peut être plus largement diffusé qu'actuellement. Je pense à l'audience acquise par la danse contemporaine, le cinéma ou le théâtre. La musique contemporaine est en train de la trouver. Aujourd'hui on a les œuvres, un bouillonnement, un vivier exceptionnel. Il y a même peut-être plus de vigueur et de réussites que dans d'autres secteurs artistiques. Et ce, malgré les nombreux préjugés extérieurs à l'encontre de la musique contemporaine. Des ensembles comme TM+ contribuent à faire tomber ces préjugés par des aventures, des propositions artistiques de qualité, servies par des interprètes de haut niveau, et qui rencontrent des publics que nous n'aurions jamais pensé intéresser avec cette musique. Évidemment, nous ne jouons pas dans des salles de 8000 ou 10000 personnes. On ne remplira pas un Zénith. Mais on peut avoir une fréquentation publique dans une salle de 500 places, remplie plusieurs fois par saison, comme c'est le cas à Nanterre, avec une programmation exigeante et inventive, ouverte à tous, préparée par une série d'actions culturelles, qui défrichent et préparent ces rencontres.

- Ne prend-on pas le risque de réduire l'évaluation du travail de création à la fréquentation publique des salles de concert ? N’y a-t-il pas d'autres critères ?

- Il y a d'autres critères, mais une des fonctions du concert est de s'adresser à plus d'auditeurs possiblepar rapport au contexte dans lequel il s'insère. Quand on construit une saison dans un lieu qui comprend deux salles, l'une de cent, l'autre de cinq cents places, on a l'objectif de toucher le plus grand nombre susceptible de répondre présent, soit dans la petite salle, soit dans la grande. Le jugement de la validité d'une œuvre artistique ne s'évalue pas uniquement par rapport à la réception du public, fort heureusement. Sinon, aucun des grands maîtres de la composition n'existerait. En même temps, je crois qu'il est sain de travailler à la communication et à la rencontre avec le public. Les jeunes compositeurs aujourd'hui le ressentent et en manifestent le désir. Il faut donc tenir à la fois les exigences d'une création inventive et de qualité, et trouver les leviers d'une médiation intelligente, engagée, audacieuse, qui permette de porter ces œuvres auprès des publics les plus divers.

- Vous enregistrez un ou deux disques par an. Le disque ne fait-il pas partie des illusions consuméristes, l'illusion d'une perfection du son, sans bruit parasite ? N'est-ce pas là une normalisation du son ?

- Le CD est une normalisation du son, particulièrement pour la musique classique. Il y a une espèce de son moyen, construit par les ingénieurs du son des grandes compagnies discographiques. C'est terrifiant parce que c'est aussi une normalisation du style et de l'approche des œuvres. Nous ne sommes pas dans cette dynamique-là, nos débouchés discographiques sont très difficiles et compliqués quand nous arrivons à les réaliser. Pour nous, c'est presque plus un support de communication, de présentation de l'Ensemble, de trace, de mémorisation, qu'un médium de diffusion. S'il y a une musique à entendre et à découvir en direct, c'est précisément la musique d'aujourd'hui. Quand on découvre quelque chose qui est de l'ordre de l'inouï, il faut la médiation du corps, de l'engagement, de la virtuosité de l'interprète, pour s'en imprégner. Le concert reste la première porte d'entrée pour la musique d'aujourd'hui.

- Vous intervenez dans les quartiers de la ville. Est-ce pour la municipalité la satisfaction d'envoyer l'élite dans la réalité populaire de la cité, ou cela présente-t-il un intérêt pédagogique ou artistique ?

- Lorsque nous avons mis en place cette résidence, il y a 11 ans, personne ne me l'a demandé. Cela a été un vœu de ma partd'accompagner la saison et le projet artistique, par une vraie réflexion de fond sur l'action culturelle. Comment mettre les différents publics, les scolaires, les adultes, les musiciens amateurs, en face des œuvres ? La meilleure manière de le faire est de les mettre en présence des musiciens, et des musiciens d'un très haut niveau, qui font découvrir le répertoire à travers leur virtuosité. Le but n'est pas de transformer les musiciens de TM+ en intervenants scolaires. Nous n'avons jamais, ou rarement, travaillé à ce niveau-là.

Par contre, nous menons régulièrement des projets de création qui impliquent des scolaires qui jouent et se retrouvent dans des conditions de travail aussi professionnelles que celles des musiciens de l'Ensemble. Nous avons initié, en partenariat avec l'Éducation  Nationale, et bien entendu avec les professeurs qui assurent le suivi, des projets de création, demandé à des compositeurs d'écrire pour un cahier des charges très difficile, pour des musiciens professionnels, des musiciens amateurs ou des élèves de collège, et un public complètement novice pour ces musiques-là. Cette démarche nous semble extrêmement formatrice. Elle amène des enfants qui sont souvent en difficulté scolaire à découvrir, par la pratique artistique, ce qu'ils n'arrivent pas à trouver à travers l'enseignement traditionnel. C'est à dire trouver des conditions de concentration, de réussite, d'enthousiasme, dans des exigences professionnelles, dans la confrontation avec les musiciens. Les enfants sont très sensibles à la qualité, au niveau des musiciens – avec lesquels ils travaillent –, à leur capacité à se concentrer ou à écouter les remarques du chef d'orchestre. Il y a une importante dimension pédagogique, non seulement musicale, mais aussi de la vie et de l'apprentissage à travers ces projets de création, auxquels nous tenons beaucoupet dont nous sommes particulièrement fiers. Nous tenons à les développer régulièrement.

[Entretien réalisé et transcrit par Jean-Marc Warszawski le 11 octobre 2007]

Notes

1  Compositeur, directeur musical de l'Ensemble TM+

Pour citer ce document

Jean-Marc Warszawski, «Entretien avec Laurent Cuniot», déméter [En ligne], Textes, Entretiens, mis à jour le : 20/12/2012, URL : http://demeter.revue.univ-lille3.fr/lodel9/index.php?id=212.

Quelques mots à propos de :  Jean-Marc Warszawski

Compositeur, directeur musical de l'Ensemble TM+.