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L'interprétation
L’interprétation spatiale. Essai de formalisation méthodologique
Résumé
La relation acoustique et musicale à l’espace architectural est ancienne : Grecs anciens, Moyen Âge roman, Renaissance par exemple en ont tiré divers partis. La composition électroacoustique sur support (acousmatique), par son choix délibéré du « rien à voir » et de l’acousmonium (orchestre de haut-parleurs) comme instrument d’interprétation spatialisée est par excellence le laboratoire de recherche sur l’espace comme élément musical tant au moment de la composition que comme agent principal d’interprétation.
Cette pratique particulière de l’interprétation et de la connaissance du répertoire acousmatique permet de définir quatre catégories d’espace : l’espace ambiophonique plonge l’auditeur dans un « bain » sonore ; l’espace source, au contraire, localise les sons ; l’espace géométrie structure une œuvre en plans et volumes. Ces trois catégories concernent le plus souvent des pièces multiphoniques. La quatrième, l’espace illusion, fait, consciemment ou non, l’objet des œuvres en format stéréophonique, qui crée l’illusion de la profondeur de champ sur l’écran de deux haut-parleurs. Les cinq éléments de Tao d’Annette Vande Gorne explorent ces différentes catégories.
Quelques exemples, schémas et explications, montrent comment sont conçus divers systèmes de spatialisation et tout particulièrement l’acousmonium tel qu’il fut réalisé par François Bayle en 1974.
L’interprétation d’une œuvre acousmatique tend à enchaîner diverses figures spatiales qui renforcent l’écriture de l’œuvre, mettent en relief les figures existantes ou en créent de nouvelles. Les œuvres stéréophoniques laissent d’ailleurs plus de liberté de choix à l’interprète. Quinze figures sont répertoriées, avec leur fonction musicale. Selon le caractère de chaque pièce, on peut, par un travail spatial différent, mettre l’accent sur tel ou tel aspect de l’écriture : icônicité, mouvement, démixage de la polyphonie, phrasé et variations, subjectivité, matière. On constate donc le rôle important du « spatialisateur » et la nécessité de sa présence active en concert. Un nouveau métier musical naît sous nos yeux, qui peut avoir de multiples autres applications. La question de la spatialisation automatisée est également évoquée. Dix-neuf instruments de spatialisation, simples ou complexes, mobiles ou non, sont répertoriés. L’écriture spatiale des œuvres multiphoniques utilise également ces figures. Quelques logiciels sont dédiés à cette fonction, mais c’est le contrôle multicanal qui est indispensable en studio.
Enfin, le figuralisme, par le jeu avec des figures spatiales, semble une voie royale pour justifier l’espace comme élément qui renforce l’expressivité de l’œuvre musicale et ainsi lui donner sens. La suite Vox Alia d’Annette Vande Gorne, octophonique, a été composée dans l’esprit baroque des affects, traduits par des configurations et figures spatiales.
Plan
Texte intégral
Philosophies de l'utilisation musicale de l'espace
A) Acoustique et espace
En Occident, les premières utilisations de l'espace comme paramètre musical ont peut-être été réalisées dans certaines abbayes romanes. L'acoustique de l'église de l'abbaye du Thoronet, par exemple, amplifie les premiers harmoniques. Le CD enregistré dans ce lieu par David Hykes et un ensemble de voix masculines le démontre1.
L'Antiquité grecque a vu s’ériger des lieux dont les caractères acoustiques ont été étudiés et utilisés en tant que tels. Dans le tombeau d'Agamemnon, à Mycènes, dont la coupole est parabolique, on peut chuchoter à l'intérieur, tourné vers un mur, et être compris d'une personne située au point opposé, le long du mur, à 25 mètres. L'oreille de Denys, tyran de Syracuse, permet d'écouter à travers un conduit creusé dans la roche ce qui se trame dix mètres plus bas. Le pavage du théâtre grec de Lyon Ferrière, resté intact, aide les acteurs à se déplacer en conservant le même caractère acoustique d'émission vocale (marqué par le même type de pierre au sol) ou à en changer selon les besoins de l'action dramatique. La mise en scène tient compte de l'acoustique (selon de longues expériences personnelles d'émission vocale dans ce lieu). Le théâtre réalisé par le Palladio à Vicence, première scène « à l'italienne » qui accentue l'illusion de profondeur par un plancher en pente ascendante vers le fond et par un décor architectural en oblique vers un point de fuite central, amplifie aussi la sensation d'éloignement par un rendu acoustique de la voix de plus en plus étouffé, réduit.
En fait, parler de l'espace, c'est parler de l'interaction entre les caractéristiques acoustiques d'un lieu, sa disposition géographique, la configuration choisie pour les haut-parleurs dans le lieu, et l'espace déjà inscrit sur le support, ses plans de profondeur de champ, et les trajets sonores.
L'acoustique idéale d'un lieu pour une bonne spatialisation est semi-sourde, légèrement sèche ou totalement en champ ouvert. Les concerts que j'ai pu réaliser en plein air (un jardin) et sur une place à ciel ouvert délimitée par au moins trois façades restent parmi mes meilleures expériences. Une acoustique par trop réverbérante brouille tous les mouvements et plans sonores.
B) Catégories d'espace
1) L'espace ambiophonique
À l'image de l'athanor dans lequel se réalise la réaction alchimique, il s'agit d'un espace dans lequel on ne peut déterminer d'où viennent les sons, l'auditeur baignant dans une ambiance diffuse. C'est son écoute qui réalise le « mixage » de l'ensemble des évènements donnés à entendre.
On peut établir une analogie avec les églises byzantines : celles-ci comportent des coupoles couvertes de tessères d'or qui redistribuent de manière égale le peu de lumière ambiante sur l'ensemble de l'église, sans qu'aucune source ne soit localisable2.
Pour une diffusion en ambiophonie, on entoure le public de haut-parleurs identiques avec une relative équidistance entre eux de sorte qu'il n'y ait pas de trou acoustique. L'englobement se fait sur tous les plans, et c'est alors la sphère qui est le modèle idéal, ou sur un seul : le cercle. Les systèmes dolby ou THX au cinéma peuvent être aussi rangés dans cette catégorie : trois canaux différents à l'écran mais les côtés et l’arrière se partagent une seule ou deux voies.
Quelques exemples
La sphère construite pour Karlheinz Stockhausen à l'exposition universelle d'Osaka en 1970 prévoyait une paroi intérieure couverte de haut-parleurs sur les 360° et de haut en bas. Le public se tenait sur une passerelle suspendue au centre de la sphère. Cette situation d'écoute correspond à l'éthique cosmogonique qui sous-tend la pensée et l'œuvre de Karlheinz Stockhausen. On sent le projet d'unir, de rassembler les êtres dans un rituel, de les amener à une communion spirituelle qui les attire vers une certaine vision de la beauté.
Le Pavillon Philips construit par le Corbusier pour l'exposition universelle de Bruxelles en 1958 était en réalité la matérialisation d’une forme (en « surfaces gauches ou paraboloïdes hyperboliques ») imaginée par lannis Xenakis, qui faisait à l'époque partie de son équipe. Le graphique de cette structure servit d'abord d'épure pour la composition, toute en glissandi, de Metastasis avant de devenir le plan de base du pavillon. Sur les murs courbes intérieurs, 425 haut-parleurs traçaient des « routes de sons »3à partir de trois pistes pour le Poème électronique de Varèse et le Concret P.H. de Xénakis.
Léo Küpper, compositeur belge, étudie la perception angulaire du son et diffuse les 64 sorties de son synthétiseur analogique (construction personnelle) sur 104 haut-parleurs disposés mathématiquement sur une coupole qui entoure et surplombe le public. L'auditeur est plongé dans un bain sonore venant de toutes les directions, dont il se construit une perception globale4.
Léo Küpper a également inventé le Kinéphone. Il s’agit d’un clavier : chaque touche agit comme un potentiomètre sur chaque haut-parleur dont l'amplitude varie selon la force du jeu (la vélocité). Ce système de commande permet une grande vitesse dans les trajets spatiaux, mais il demande un toucher de pianiste virtuose.
2) L'espace source
Opposé au précédent, ce type d'espace localise avec précision la source du son, qui peut être mono, bi ou multipiste (mais pas stéréophonique). Ce sont les mouvements et repérages du son qui importent. On peut aussi vouloir faire ressentir les différences de couleur, de puissance des haut-parleurs.
Pierre Henry fut sans doute le premier à explorer les possibilités musicales de cette philosophie de l'espace, tant au stade de la composition5 qu'à celui du concert. Dans ce cadre il oppose souvent les canaux et les voies gauche/droite, se servant de la géographie du lieu pour l'organiser.
Quelques exemples
Une façade d'école recouverte de haut-parleurs. Tous les haut-parleurs sont sur un seul plan, en largeur et sur plusieurs étages en hauteur. Les canaux gauches sont à gauche de la porte centrale, les canaux droits, à droite6. Cette disposition permet des mouvements en masse ou pointillistes verticaux, obliques ou en contraction-expansion7.
Une salle arrondie avec un dôme et une fosse est divisée par une médiane qui partage la gauche de la droite, y compris le dôme. Outre les haut-parleurs sur scène, une paire de gros haut-parleurs occupe le fond de la fosse, une autre crée un lointain arrière dans le couloir à l'extérieur de la salle.
L'ergonomie de la console reflète cet axe de symétrie virtuel autour duquel sont réparties les voies gauche-droite allant de l'extrême au centre ou du plus éloigné au plus proche (cf. Figure 1).
Figure 1 Dispositif de P. Henry pour la création d' Histoires naturelles, Paris, Radio France, salle Olivier Messiaen, 1991
Aujourd'hui, l'utilisation la plus fréquente de l'espace source est la multiphonie8 à partir d'un multipiste. Il s'agit de placer des sons ayant des transitoires d'attaque assez marqués pour les localiser, si brefs soient-ils. La composition devient alors celle d'un environnement pointilliste, jouant avec les masses, les phrasés ponctuels et les variations de densités9. Les dialogues multiples et superpositions de séquences confiées aux mêmes haut-parleurs sont une autre esthétique de l'espace source, qui met en évidence les personnages sonores ou les contrepoints.
Fait également partie de l'espace source tout ce qui est mouvement, trajet audible dans l'espace externe, donc généré par l'interprète, ou écrit par le compositeur sur le support multipiste (espace interne). Comme la langue d'Ésope, le mouvement en lui-même peut être la pire ou la meilleure des choses. En effet, il m'a toujours semblé inutile de tenter de sauver une musique pauvre, sans énergie interne en lui appliquant des mouvements, des agitations externes. Le mouvement devient alors une ornementation non intégrée, non justifiée par la structure musicale ou le phrasé. Ceci n'est pas sans rappeler la peur du vide qui fit ajouter quantité d'ornements divers sur les valeurs trop longues dans les œuvres pour clavecin en France, au xviiie siècle. Il en est de même de l'écriture sonore en format multipiste, qui peut facilement, grâce aux logiciels de mixage et plug-ins de traitements numériques, multiplier les trajets entre les différentes pistes.
Mais si l'on considère l'expression musicale d'un point de vue énergétique, les trajets peuvent alors renforcer l'énergie interne du son. L’histoire de la musique occidentale est peuplée d’œuvres qui font la part belle à l’agogie même comme facteur d'expression (pensons à Monteverdi et son stile concitato, au figuralisme, particulièrement dans l'œuvre de Jean-Sébastien Bach, à Berlioz, à la majorité des poèmes symphoniques) puis facteur de structuration (Stravinski et son Sacre, Pacific 231 d’Honegger, Scelsi ... ).
Si tant est que l'on me pardonne un exemple banal, une circumduction autour du public ou d'un pivot quelconque soulignera aux oreilles de tous le mouvement rotatif d'une toupie (« i.son »10), d'un tourbillon (« di.son »), d'une répétition (écriture). Ou bien encore, les circonvolutions buissonnières d'un « souffle serpentin » dans un lieu donné préciseront son caractère capricieux.
Enfin, l'application à un son de caractère neutre et abstrait d'un mouvement spatial en balancement lui donnera une signification particulière, celle d'une berceuse par exemple. Il faut peut-être rappeler ici combien temps, espace et mouvement sont liés : une rotation lente ou rapide ne génère pas la même signification, et si elle passe progressivement à un tempo plus rapide, elle change de forme et devient spirale.
Cet espace mouvement, s'il n'est pas gratuit, aurait donc surtout une fonction ornementale ou métaphorique à l'appui expressif des sons eux-mêmes auxquels il offre un support spatial. Au xixe siècle, le timbre et la ligne mélodique entretenaient le même rapport.
3) L'espace géométrie
Si l'on considère l'espace d'un point de vue structurel, on peut l'imaginer comme le lieu d'intersection de lignes et de plans différents, comme surface ou volume entrecoupé de lignes bissectrices, obliques, verticales, transversales, etc. À partir de sources multiples (multipiste), penser le sonore en termes de composition de l'espace mono, bi, quadri, triple stéréo, double quadri, octophonique… avec tous les jeux de combinaisons possibles, appliqués à une seule chaîne acoustique ou à plusieurs d'entre elles, simultanément ou par séquences, en plans rapprochés ou éloignés, c'est donner à l'espace le statut de paramètre du son équivalent aux quatre autres11. Le mouvement fait partie de la forme lorsqu'il devient figure, répétition, transition, rupture, déclenchement, etc. Ici, l'espace géométrie n'est donc pas un support, c'est un objet musical réel et abstrait qui conduit l'écoute et structure la perception par son évolution dans le temps.
L'espace organisé, contrôlé, nécessite de prévoir un schéma de principe du dispositif de diffusion en fonction duquel on choisira les configurations spatiales à inscrire sur le support comme, par exemple, dans le cadre des sonorisations de lieux spécifiques ou d'installations. Une trop grande complexité (en nombre de pistes, de variations possibles à la spatialisation) nuira à la transparence de l'architecture.
L'agencement à priori, l'écriture de l'espace pour lui-même à partir de points sources multiphoniques génère une pensée musicale stabilisatrice qui lie l'espace à la forme, donc une fois encore, au temps.
4) L'espace Illusion
Il s'agit de l'illusion de la profondeur de champ par la stéréophonie, qui, si elle est respectée d'un bout à l'autre de la chaîne de production, sera projetée sur les « écrans de phase » des haut-parleurs. Le son n'est plus un objet réel mais une image, une représentation. Nous entrons dans l'univers des médiatisations, celui de la photo, du cinéma, de la vidéo, de la radio...
Il y a donc création de perspectives, de plans de profondeur qui seront démultipliés, mis en relief par de multiples écrans de phases (paires de haut-parleurs), par leur disposition étagée au moins en placement proche, médian, lointain et en calibre de largeur au moins très large, moyen et très fin. On pourra jouer des différents registres de calibre sur un seul plan ou en volume pour renforcer le centre d'un écran de phase large (statique) ou, dynamiquement, pour opérer un mouvement de dilatation ou de contraction.
La direction des haut-parleurs par rapport au public précise ou non les contours, les bords d'attaque des sons (comme en photographie) selon qu'ils convergent l'un vers l'autre et vers le centre du cône de présence du public, ou, au contraire, divergent selon qu'ils projettent le son en direct (dans le cas de haut-parleurs directifs) – les « projecteurs » – ou encore qu’ils irradient le son vers des surfaces réfléchissantes, en indirect – les « radiateurs ».
La couleur, la réponse spectrale des transducteurs (du grave au suraigu), joue aussi un rôle. On les divise en cinq familles : les graves, appelés « contrebasses » (10 à 400Hz) en stéréo très large qui couvre tout le champ de la salle, ou au centre s’il n’y a qu’un « subwoofer » ; les médium « creux » (250 à 1000Hz) appelés à remplir l’espace ; les médium « clairs » (400 à 3000Hz) responsables du maximum d’audibilité du message, et particulièrement de la voix humaine ; les médiums « brillants » (3000 à 8000Hz) qui renforcent la présence, la vie microscopique des êtres sonores ; enfin, un groupe démultiplié de haut-parleurs suraigus (8000 à 16000 Hz) qui en précise les bords d’attaque.
On se servira de petits haut-parleurs aigus pour préciser les contours en présence dans le public. On utilisera les trompettes suraiguës pour mieux localiser un ensemble placé loin. Les graves sont diffus. Des haut-parleurs de piètre qualité (médium creux) joueront sans problème un rôle de masse diffuse (cf. Figure 2).
Figure 2
Toutes les combinaisons de placement, calibre, directivité et couleur donnent à chaque paire ou groupe un rôle musical différent, à l'image d'une orchestration : solistes (paire de références, souvent en focale étroite et convergente), masse (distribution de haut-parleurs en réflexion, sur une grande aire), stéréo de référence (calibre large, toutes les fréquences), contrebasses (grave), effet (stéréo verticale, plafond, présence dans le public) etc.
La distribution sur la console se fait par paire, en respectant à la fois le placement et le rôle musical des écrans (cf. Figure 3).
Figure 3
Cet instrument de projection conçu pour renforcer l'espace existant sur le support (l’espace interne) et atteindre l'imaginaire et l'émotion de l'auditeur fut mis au point par François Bayle en 1974, qui le nomma « acousmonium », dernière étape de la production acousmatique9. L'acousmonium du GRM12 compte en 2002 plus de 80 haut-parleurs.
C'est donc un instrument de perception, de mise en scène, de mise en relief plutôt que de mise en espace. La projection acousmatique doit, pour mieux laisser le champ libre à l'imaginaire de chacun, avoir lieu dans une semi-pénombre, le noir complet, ou un univers coloré statique qui permette à l'attention de se développer en « cinéma intérieur ».
C) TAO et espace
J’ai tenté, dans une œuvre en cinq parties, TAO, dont quatre sont en format stéréo, et le cinquième, Terre, en 8 pistes, d’explorer différents types d’espace, allant de l’ambiophonie (Métal) à sa fonction de projection perceptive (Eau), dramatique (Feu) et narrative (Bois) jusqu’à l’espace mouvement et l’espace pointilliste dans Terre, avec une préférence, dans ce dernier élément, pour l’espace géométrie.
Spatialisation de TAO13
1. Eau (1984)
Quatre ou six haut-parleurs suffisent à une projectionplane, qui privilégie les couples stéréophoniques et découpe l'œuvre en secteurs géographiques. L'eau changeante se livre à ma perception devant moi, immobile.
2. Feu (1985)
Perspective et mobilité en cinémascope : sur un minimum de 12 haut-parleurs disposés en majorité de manière frontale, jouer sur les plans en profondeur existants, en créer d'autres, créer des mouvements en largeur.
Ne pas hésiter à renforcer les dynamiques.
3. Bois (1986)
Bois se joue en mouvements rapides, riches, foisonnants, en brassage. Tout bouge, sauf les icônes.
Un dispositif relativement complexe d'un minimum de 12 haut-parleurs me paraît donc indispensable.
4. Métal (1983)
Spatialisation « ambiophonique » : installer le public dans une ambiance méditative, de contemplation intérieure, par une diffusion quasi immobile sur un dispositif plutôt en cercle de 12 ou 16 haut-parleurs.
Les haut-parleurs sont ici des radiateurs (terme repris dans ce sens à F.Bayle) de vibrations venant de partout et de nulle part.
5. Terre (1991)
La version 8-pistes nécessite un minimum de 12 ou 16 haut-parleurs disposés en deux groupes, l'un frontal (pistes 5-8) et l'autre autour du public (pistes 1-4) dans une salle à l'italienne, ou l'un en couronne intérieure face au public et l'autre entourant le public disposé en cercle dans un lieu qui le permette ou en extérieur (cf. Figure 4).
Figure 4 Schéma de Terre, version 8 pistes, en extérieur : pistes et placement de principe des haut-parleurs lors de la création complète du TAO dans les jardins de la Villa Gillet, GMVL (Groupe de Musique Vivante Lyon) le 5 Juillet 1991
Figures d'espace
L’interprétation des œuvres stéréo à la console de spatialisation14
1. Le fondu enchaîné
Passage lent ou imperceptible entre deux paires ou groupes de haut-parleurs. Le geste doit veiller à ne pas creuser de « trou » acoustique. Commencer à monter les potentiomètres des haut-parleurs à enchaîner avant de descendre les premiers, et trouver un point d'équilibre.
Fonction musicale : renforcer un fondu enchaîné existant sur le support. Changer de plan en profondeur ou de calibre. Tracer un trajet par fondus enchaînés successifs si, par exemple, ce son évoque un objet mobile (bille, voiture, avion, etc.).
2. Le démasquage
Sorte de fondu enchaîné à l'envers puisqu'à partir d'une masse donnée, on fait entendre la paire ou le groupe voulu en diminuant l'amplitude ou en supprimant les autres haut-parleurs. Le geste peut être doux, imperceptible, ou brutal, en utilisant les « mutes »15 par exemple.
Fonction musicale : renforcer un démasquage existant sur le support. Changer de plan en profondeur ou de calibre. Imposer au son un trajet par démasquages successifs si, par exemple, ce son évoque un objet mobile (bille, voiture, avion, etc.) et que la situation spatiale de départ est un tutti ou une masse englobant le public.
3. L'accentuation
Mettre en évidence une localisation précise (les solistes par exemple) ou un groupe formant un espace particulier, un volume, un nouveau calibre, simplement en augmentant un peu l'amplitude des haut-parleurs choisis, sans modifier les autres. L'amplitude de départ (la base) est importante car elle conditionne le niveau général. On la règle à partir de la stéréo de référence (aussi appelée « les principaux »).
Fonction musicale : cette façon de procéder peut s'appliquer à un moment précis de l'œuvre ou à une stratégie générale de projection, auquel cas on ouvre légèrement l'ensemble des potentiomètres principaux (on s'assure ainsi une base) puis on accentue quelques points selon la structure, les sections de l'œuvre, l'effet voulu sur la perception de l'auditeur. C'est la stratégie générale de François Bayle. L'accentuation est un moyen souple, léger et détendu de jouer sur la console.
4. Le scintillement
Rapides opérations d'accentuation (et retour) en cascade dans une masse donnée. Jeu aléatoire. Jeu sur l'amplitude dans le cadre de l'acousmonium, jeu sur le spectre (par filtrage) dans le cadre du Cybernéphone de l'IMEB (1973, Christian Clozier). Pour assurer la continuité, garder par ailleurs des voies ouvertes et fixes.
Fonction musicale : équivalent spatial du tremolo, faire vivre « de l'intérieur » une masse épaisse et lisse en y creusant, ou en accentuant de légères fragmentations dynamiques ou spectrales. Mettre en évidence un moment d'écriture par micro montage, ou pointilliste (granulaire).
5. L'oscillation
Alternance rapide et régulière entre deux enceintes ou deux groupes d'enceintes, alternance dynamique ou spectrale. L'effet de « vibrillation » donné par une régularité très rapide n'est possible que sur une console automatisée. Un LFO16 pourrait servir de commande.
Fonction musicale : équivalent spatial du trille, agitation préparant une explosion, un éclatement, ou au contraire, faisant vivre un reflux, une attente.
6. Le balancement
Alternance lente et gestuelle entre deux enceintes ou deux groupes d'enceintes, alternance dynamique ou spectrale.
Fonction musicale : mise en évidence d'une écriture en dialogue, délimitation de bornes spatiales, berceuse.
7. La vague
Trajet aller-retour qui parcourt, par fondus enchaînés ou démasquages successifs, une série d'enceintes en ligne, par exemple de l’arrière scène vers l'avant scène, tous les côtés, l'arrière-salle et retour.
Fonction musicale : effet de masse mouvante et unidirectionnalité prévisible. Ce mouvement a l'avantage de rejoindre un archétype agogique connu.
8. La rotation
Trajet circulaire entre quatre haut-parleurs sur scène ou, plus souvent, autour du public, par un geste de légère accentuation de chaque point par fondu enchaîné successif.
Fonction musicale : mise en évidence d'une rotation interne du son (il faut alors suivre ce rythme de mouvement interne), création de mouvements pour, par exemple, donner un sens d'enfermement.
9. La spirale
Trajet circulaire sur lequel est appliquée une accélération ou décélération, dont le point d'aboutissement serait ailleurs.
Fonction musicale : préparation, annonce, trajet orienté vers un but ou conclusif.
10. Le rebond
Saut rapide d'un point de l'espace à un autre, d'un groupe à un autre, d'un soliste à un groupe (et vice-versa), par un geste d'alternance rapide à la console ou par un jeu de « mute ». Le rebond est d'autant mieux perçu quand ses deux pôles sont éloignés.
Fonction musicale : (re)lancement sur un son déclencheur. Parvenir dans une autre zone spatiale sans transition.
11. L'insertion/rupture
Dans un espace déjà établi dans une durée suffisamment longue, passage brutal ou superposition (par « démute ») d'un espace de caractère et/ou calibre différent.
Exemple : dans une masse large et diffuse, insérer un solo (calibre étroit) directionnel.
Fonction musicale : figure de rhétorique, mise en évidence de l'écriture en insert sur le support, accentuation. La rupture peut servir de déviation brutale et contrastée vers un autre état.
12. L'apparition/disparition
Irruption/fermeture non préparée d'un état spatial différent, superposé ou suivant le précédent. L'utilisation des « mutes » est la meilleure façon de procéder.
Fonction musicale : surprise, « magie », réveil de l'écoute.
13. L'explosion
Passage brutal d'un espace resserré ou directionnel à un espace large et environnemental, non diffus.
Fonction musicale : mise en relief d'une masse éruptive, d'une morphologie caractéristique et énergétique.
14. L'accumulation
Addition successive de plans et/ou calibres les uns sur les autres pour arriver à un tutti spatial.
Fonction musicale : mise en relief d'une matière sonore corpusculaire (grains) ou grossissement progressif d'une trame.
15. L'envahissement
Accumulation rapide, trajet accumulatif orienté vers le public.
Fonction musicale : comme « l'arrivée du train en gare de Montparnasse » des frères Lumière, effet d'agression subjectif.
Objet et but d’une spatialisation
Éléments mis en évidence par une interprétation spatialisée
Selon le caractère de chaque pièce, on peut, par un travail spatial différent, mettre l’accent sur tel ou tel aspect de l’écriture.
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L’image, l’icônicité : l’image « phonographiée » est observée, comprise et recadrée, agrandie selon les justes dimensions que propose son contenu. On ne donnera pas le même relief, le même calibre à un paysage sonore extérieur qu’à un portrait d’un personnage vocal ou à une représentation sonore d’un intérieur.
Exemple : Jean-Marc Duchenne, Feuillets d’Album(1995).
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Le mouvement : l’énergie, le mouvement inhérent à la nature d’une séquence sonore ou d’une trame, sera d’autant plus apparent qu’il sera traduit par un mouvement spatial corrélé et de même nature.
Exemple : Mario Rodrigue, Le voyageur (1993) (Mouvements de vagues).
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Le « démixage » de l’écriture contrapuntique : l’écriture du mixage est « détricotée », après son analyse, par un placement spatial spécifique aux types de sons. Selon que l’écriture donne plus d’importance à tel ou tel élément sonore, on fera ressortir d’un ensemble telle ou telle autre paire de haut-parleurs.
Exemple : Denis Dufour, Terra Incognita (1998).
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Le phrasé et les variations : la structure de l’œuvre, son phrasé, son rythme, ses variations sont rendus explicites par une intériorisation de l’interprète qui « revit » l’œuvre, la joue, yeux fermés, comme s’il l’avait lui-même composée. C’est la modalité acousmatique appliquée à l’interprétation.
Exemple : François Bayle, Vibrations composées (1973).
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La subjectivité : souvent, dans les œuvres avec texte par exemple, il s’agit de faire ressentir à l’auditeur de quelle situation intérieure parle le personnage. Sorte de caméra subjective, c’est par le dosage entre différents points d’espace, définis et fixes que l’espace intérieur (souvent renforcé par le ton de la voix quand il y a un texte) se différencie très clairement.
Exemple : Pierre Henry, Apocalypse de Jean : Mer de verre, harpe de Dieu (1968).
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La matière : la rugosité, le grain, ou la fluidité, la densité, la masse des matières sera renforcée par la proximité, l’éloignement, le nombre de haut-parleurs.
Exemple : Bernard Parmegiani, Capture éphémère (1967).
Un nouveau métier : l’interprète spatialisateur
La projection stéréophonique en concert des images de sons sur les écrans de phase que sont les paires de haut-parleurs, est sans aucun doute la forme d’interprétation spatiale la plus souple, variée, libre, qui soit. Cela suppose une pratique expérimentée ou un apprentissage de ce nouveau métier d’interprète, trop souvent laissé à l’arbitraire des compositeurs eux-mêmes quand ils ne l’ont pas suffisamment exercé.
Il faut une connaissance mémorisée de l’œuvre éventuellement aidée par sa transcription graphique, et une bonne expérience de la réponse de chaque paire de haut-parleurs dans l’acoustique du lieu. L’acte d’interprétation commence d’ailleurs par la conception du dispositif sonore et son placement, l’orientation et le rôle donné à chaque haut-parleur, l’attribution ergonomique de ceux-ci aux potentiomètres de la console. L’interprète se familiarise alors avec le dispositif et mémorise la configuration de la console pour acquérir des réflexes gestuels vifs et sûrs.
Ensuite, la répétition tiendra compte et mettra en évidence l’espace interne de l’œuvre, les mouvements, accentuera les vitesses, clarifiera les plans en profondeur de champ. J’attribue encore d’autres fonctions à la spatialisation, tant dans le cadre de l’interprétation proprement dite en concert, que dans le cadre de la composition multiphonique en studio : il s’agit de clarifier pour l’auditeur la structure de l’œuvre, ses sections, en attribuant à chacune, par exemple, une configuration spatiale différente. On jouera alors des figures spatiales dans les limites de chaque configuration. Il s’agit aussi de renforcer la perception des jeux avec la mémoire en revenant sur la même configuration ou localisation spatiale avec la reprise de sons signaux ou de séquences identiques en divers moments de la composition.
Les œuvres multipistes, dont l’écriture spatiale est déjà définie, laissent de facto moins de liberté, de fluidité à l’interprétation en concert. Il s’agit alors de configurer dans le lieu les démultiplications des pistes sur un dispositif dont le nombre de haut-parleurs est plus grand que le nombre de pistes, et d’en jouer, variant les combinaisons de groupes, en veillant à ce que toutes les pistes soient toujours audibles : indiquer, dans ce dessein, le numéro de piste sous chaque voie de la console de projection.
Ce ne sont là que quelques aspects du métier d’interprète spatialisateur qui répond, comme toute autre discipline instrumentale, au couple compétence/performance : la connaissance technique de son instrument, la connaissance analytique et mémorisée de l’œuvre, et le désir de la transmettre en suivant le « feeling » du moment, l’émotion vécue au concert.
Faut-il automatiser, fixer une interprétation spatialisée ?
La démarche acousmatique, qui conçoit la musique sous forme d’i.sons17 fixés sur un support-mémoire, suppose une démarche identique quant à l’interprétation : les outils numériques permettent de mémoriser et retravailler une spatialisation en un lieu donné. Cela, certes, est en parfaite cohérence avec le projet esthétique dont fait partie l’acousmatique : on va jusqu’au bout d’une même démarche de fixation du son, et de sa spatialisation. Cependant, nous continuons à penser, et expérimenter en concert, que la présence physique et agissante d’un interprète sert de catalyseur de l’écoute, de référence rassurante pour un événement qui est vécu hic et nunc par un public dont l’attention reste en éveil. Son attitude physique supporte cette attention. De plus, un interprète adapte l’amplitude générale à l’acoustique du lieu modifiée par la présence absorbante des corps humains, et il adapte la vitesse des mouvements, des changements de plans, et d’une façon plus générale la prise de risques aux réactions, à l’écoute qu’il pressent de la part du public. Enfin, un concert est un moment magique, un rituel rassembleur qui, comme tout rituel, appelle la présence d’un officiant.
Les instruments actuels (2002) de projection
1. Mobiles
Le Gmébaphone, devenu aujourd’hui le Cybernéphone (cf. Figure 5), de l’IMEB (C. Clozier), France.
L’Acousmonium du GRM (F. Bayle), France.
La machine acousmatique du GMVL (B. Fort et X.Garcia), France.
Les Coupoles (L. Küpper), Belgique.
Le Beast de l’université de Birmingham (Jonty Harrison), Grande-Bretagne.
L’Acousmonium de M&R (A.Vande Gorne), Belgique.
L’Acoustigloo du GMVL (B. Fort), France.
L’Acousmonium Motus (D. Dufour), France.
Le Système Acousma (B. Bocca), France.
Le Système du CRM de Rome, Italie.
Le Système du CIDM (D. Habault), France.
L’Arbre à sons (Bob Vanderbob), Belgique.
Le Système octophonique de Dirk Veulemans, Belgique.
L’Orchestre de haut-parleurs Miso, (Miguel Azguime), Lisbonne, Portugal.
2. Fixes
L’Audium de San Francisco (California – USA)
L’Espace de projection de l’IRCAM (Paris – France)
Le Tétraèdre de Logos (Gent – Belgique)
Le Grenier d’Orphée (Ohain – Belgique)
Le Studio C du GRM (Paris – France)
Figure 5 Cybernéphone, conçu en 1973 par Christian Clozier, (sous le nom de Gmébaphone)
L’écriture multiphonique de l’espace comme élément musical
Les mêmes figures spatiales se retrouvent évidemment fixées lors de la composition d’une œuvre multiphonique. Elles prennent alors statut non plus de renforcement ou d’interprétation d’une écriture préexistante, mais, considérées comme éléments musicaux en soi, elles sont au cœur même de la recherche compositionnelle, corrélées ou non aux mouvements énergétiques propres des figures sonores18. Cela suppose la présence, dans le studio de composition, d’autant de haut-parleurs de contrôle qu’il y a de canaux de sortie, de préférence mobiles, pour permettre leur configuration géographique réduite aux dimensions du studio, à l’image de ce que le compositeur prévoit en « grandeur nature » en concert.
Les systèmes virtuels d’écriture mémorisée de l’espace sont encore peu nombreux19. Un des plus anciens qui fonctionne en temps réel est le Spatialisateur de l’IRCAM, développé dans l’environnement Max par l’équipe de Olivier Warusfel. Avant cela, le Sysdif, développé par Daniel Habault pour le studio GES de Vierzon (aujourd’hui disparu), ou le système Arion du CRFMW de Liège, matrice modulaire interfacée avec un logiciel développé sur Atari, sont des systèmes temps différé. L’Holophon, développé depuis 1998 par le GMEM (Marseille), lui-même basé sur le logiciel Sigma développé par la société APB de Berlin, permet de préparer les divers mouvements spatiaux reconnus ensuite par le logiciel Pro Tools TDM20.
Quelques studios avec contrôle multicanal (2002)
Studio Charybde de l’IMEB (C. Clozier), Bourges (France).
Studio du CRFMW (J.M. Sullon), Liège (Belgique).
Studio Métamorphoses d’Orphée (A. Vande Gorne), Ohain (Belgique).
Studio de la Tekniesche Universiteit (F. Hein), Berlin (Allemagne).
Studio personnel de Robert Normandeau, Montréal (Canada).
Studio B du GRM, Paris (France).
Studio personnel de François Bayle, Paris (France).
Studio Artem (Todor Todoroff), Bruxelles (Belgique).
Studio arsis-thesis (Dimitri Coppe), Bruxelles (Belgique).
Studio de l’université de Scheffield (Grande-Bretagne).
Studio de la City University de Londres (Simon Emmerson) (Grande-Bretagne).
Studio de la Goldsmith University (K. Norman), Londres (Grande-Bretagne).
Studio du GMEM, Marseille (France).
Studio du GRAME, Lyon (France).
Studio de l’Académie de musique de Soignies (J.L. Poliart, E. Anderson), Belgique.
Studio personnel de Richard Zvonar (USA).
Studio de la HöheSchule de Weimar (R. Minard).
Du figuralisme spatial
En cette nouvelle ère stylistique baroque que nous traversons actuellement, le moment est venu, me semble-t-il, de se préoccuper de questions d’expressivité, d’affect, d’image, de figuration dans les musiques électroacoustiques. Le figuralisme des madrigaux, né du texte, a permis la symbolique figurée dans l’œuvre de J.S. Bach et le développement de l’expressivité mélodique des opéras. L’espace, considéré comme paramètre musical, permet aussi un nouveau figuralisme qui renforce le pouvoir des sons et la capacité de communication des œuvres qui échappent à tout autre code ou processus.
Vox Alia, essai de figuralisme spatial21
Suite en quatre mouvements (qui retrouvent les catégories de vitesse des quatre mouvements de la sonate classique) dotés d’un affect exprimé par le choix des sons, par la géométrie spatiale propre à chacun, et par le type de déplacements sonores.
Toute la matière sonore est dérivée de la voix. L’écriture est en 8 pistes. Cette suite est close par un court hommage à Pierre Schaeffer et à la musique concrète, en stéréo.
1. Giocoso : géométrie spatiale binaire et contrastée.
Forme en deux parties ; la première débute par un cercle tracé peu à peu, qui marque l’aire de jeu. Suivent, sur des matières sonores rythmiques : jeu en rebond spatial gauche-droite tutti ; agrandissement par la réverbération artificielle ; jeux en rebonds obliques ; conclusion en rebond sur une stéréo solo. La deuxième, sur des matières plus fluides, traverse l’espace par des mouvements continus, ponctués de temps à autre par un dialogue, sur les mêmes figures sonores, entre deux localisations opposées. Conclusion avec une répétition en tuilage gauche-droite sur la stéréo arrière22.
Giocoso, deux bandes d’amis qui s’amusent.
2. Amoroso : géométrie en double chœur (deux carrés conjoints) homme-femme. Forme-séquence. Écriture ornementale tant sonore (mélodique) que spatiale. Les mouvements sont vifs, basés sur la rotation cyclique, non synchrone, sur les deux carrés ou sur l’ensemble des pistes. À ceux-ci s’ajoutent, en fonction du phrasé sonore, des mouvements courts et imprévisibles qui se retrouvent ensuite ou se superposent aux rotations.
Amoroso, amour liane.
3. Innocentemente : espace imprévisible, non ordonné, fusant de toute part.
Forme en miroir, y compris en miroir spatial qui inverse les pistes à partir du centre temporel de la pièce (les événements placés sur les pistes 1-2 avant sont renvoyés sur les pistes 7-8 arrières, 3-4 sur 5-6 ou vice-versa). L’écriture est modélisée par l’idée de jaillissement, par le cri et le rire de l’enfant.
Innocentemente retrouve la temporalité immédiate, contrastée et insaisissable, et la spatialité diffuse, informelle de l'enfance.
4. Furioso : géométrie en lignes longitudinales parallèles.
Furioso éructe sa violence dans un espace linéaire et orienté, avec une énergie montante lente, rythmée, puis explosive, suivie d’une courte détente. L’espace est alors limité à la « scène », en représentation. Puis cette vague reprend et déferle plusieurs fois vers et à travers toute la salle, le public23, pour finir par se fixer, se détendre avec un son de caractère stable sur la stéréo de référence en avant scène.
5. Parola Volante, en stéréo, suit, comme dans les madrigaux, le sens littéral des phrases de Pierre Schaeffer, qui énoncent quelques idées fortes concernant l’écoute diverse de chacun, le mouvement des sons dans l’espace, la réécoute chaque fois renouvelée d’une seconde de son, l’expérience…
Conclusion
La musique acousmatique est sans aucun doute le lieu de toutes les expériences sur la relation son-temps-espace, tant lors de la composition que lors de son interprétation spatialisée, car en perdant le bénéfice d’une génération sonore en direct, elle gagne celui d’une véritable écriture/jeu avec l’espace comme paramètre musical. Le figuralisme, par le jeu avec des figures spatiales, me semble une voie royale pour justifier l’espace comme élément qui renforce l’expressivité de l’œuvre musicale et ainsi lui donner sens.
Figure 6 Système technique de répartition des voies de spatialisation à partir d'un lecteur 2 pistes
Publié en Décembre 2002
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Notes
1 « À l'écoute des vents solaires », The harmonic choir, Ocora C 558607.
2 L'église de Saint-Marc à Venise par exemple.
3 Edgard Varèse, Ecrits, Paris, Christian Bourgeois, 1983.
4 Bruxelles, Château Malou, 1974 ; Rome, Galerie Nationale d'Art Contemporain, 1977 ; Avignon, Chapelle des Pénitents Blancs, 1979 ; Linz, Festival Ars Electronica, 1984.
5 Exemple : Variations pour une porte et un soupir (1963).
6 Aix-en-Provence, concert dans la cour de l’école primaire, 1982.
7 Aix-en-Provence, concert dans le théâtre, 1982.
8 Le standard le plus fréquent, à partir des années 90, est l’octophonie, en raison de l’apparition d’enregistreurs 8 pistes digitaux peu chers (ADAT ou DA 88).
9 Elsa Justel, Pieza en forma de té, Annette Vande Gorne, TAO, Terre, les particules.
10 L’auteur fait ici référence à la terminologie de François Bayle, cf. Musique acousmatique, propositions… …positions –, Paris, Editions Buchet/Chastel – INA, 1993 [NDLR].
11 Hauteur, durée, intensité, timbre [NDLR].
12 Groupe de Recherche Musicale de l’INA, Maison de Radio France, Paris, fondé en 1951 (groupe de musique concrète) par Pierre Schaeffer. C’est le plus ancien studio de musique électroacoustique au monde.
13 Montréal, Diffusion i Media, Empreintes digitales, CD IMED 9311.
14 Dans cette partie, méthodologique et descriptive, les phrases nominales viennent mieux.
15 Commandes permettant d'atténuer ou de supprimer le son [NDLR].
16 LFO : Law Frequency Oscillator [NDLR].
17 En studio, la situation d’écoute pure des haut-parleurs transforme radicalement le rapport du compositeur avec le son : des sons que l’on entend en en oubliant la cause ; des objets sonores qui sont en fait des traces ; des empreintes organisées et libérées d’une écoute explicative ; des « images-de-sons » (i.sons), porteuses de (re)connaissance, de métaphores, de sensations, d’émotions. Le compositeur devient son propre être écoutant, qui se laisse modeler, modéliser par l’œuvre qui le traverse.
18 Cf. l’espace source. Par exemple, Octophonie de Karlheinz Stockhausen, 1992.
19 Ecriture spatiale libre, non inféodée aux formats 5.1 ou 7.1 du cinéma auxquels répondent la plupart des logiciels et consoles de mixage actuels.
20 Logiciel de composition par montage et mixage avec traitements du signal en temps réel et automatisables, logiciel utilisé dans la majorité des studios électroacoustiques institutionnels.
21 La courte analyse qui suit n’aborde que la construction spatiale. Les niveaux sons-traitements-écritures-formes ne sont pas concernés par cet exposé.
22 Le choix de la localisation par rapport au public fait sens pour moi. Devant : la représentation, le récit, le solo. Devant, en arrière plan : l’horizon, le lointain, l’échappée, l’inaccessible (parfois situé en hauteur quand le dispositif le permet). Derrière : la menace, le danger, la disparition, la chute. Sur les côtés : la présence, la stabilité, la persuasion. Dans le public : la proximité, la confidence, le murmure ou le renforcement, l’insistance.
23 Pour augmenter la sensation déferlante, chaque occurrence des sons répétés, de paire en paire de haut-parleurs, est transposé au 1/2 ton supérieur par rapport à la précédente.