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Du rite au jeu

Holger Schmid

Du jeu au rite ? Amphion et sa musique au XXe siècle

Résumé

La présente étude situe Amphion, mélodrame de Paul Valéry, au centre d’une réflexion critique sur le statut de l’œuvre d’art à l’âge contemporain. Jeu sur le mythe, mythe sur le jeu réunissant musique, danse et architecture, le paradigme d’un spectacle de rite ou « liturgie » pose d’abord le problème de son échec, en tant que fait incontestable de la réception, avant de conduire à une analyse approfondie de son antonyme, le divertissement. En passant par la question de la fugue chez Arthur Honegger, auteur de la musique d’Amphion, et sans renoncer à frôler cet autre emblème d’une aspiration au « rite » qu’est le Sacre du printemps, nous procédons à quelques hypothèses relatives à la musique et au théâtre du moment 1930, ainsi qu’au rapport entre la « liturgie » artistique et le problème du christianisme, pour revenir à l’unicité du mélodrame valéryen.

Abstract

This study places Paul Valéry’s melodrama Amphion at the heart of a critical reflection upon the status of the work of art within the context of the 20th century. As a play on myth or else a myth on play embodying the unity of music, dance and architecture, this model of a ritual or “liturgical” theatre first raises the issue of its failure, seen as an obvious fact of its reception, before moving on to a more thorough analysis of rite’s antonym, divertissement. After looking into the use which Amphion composer Arthur Honegger makes of the fugue, followed by a brief digression via that other prototype which is the Rite of Spring, we proffer some conjectures as to music and theatre around 1930 within the more general horizon of “liturgical” paradigms and the situation of Christianity, to emphasize anew the singularity of Valéry’s melodrama.

Texte intégral

Dans une conférence donnée en 19541, le critique Robert Kemp fit l’éloge de Paul Valéry pour un double mérite : d’une part, celui de nous avoir libéré de « l’Allemagne » (c’est-à-dire de Richard Wagner), d’autre part, celui d’avoir sauvé la poésie française des attaques du surréalisme. Une telle remarque, dans son simplisme désarmant (et même d’un paradoxe criant), peut néanmoins nous mettre sur une piste intéressante quant à la situation de l’art au xxe siècle, et ce précisément par rapport à la thématique du jeu et du rite. Mettons pour cela l’accent sur son premier versant, lequel soulève le  problème du théâtre. Le phénomène théâtral, historiquement issu, on nous l’a dit à l’école, d’une sphère d’événements rituels ou « sacrés », pour évoluer ensuite vers sa forme sécularisée ou esthétique de pur et simple « jeu », ne semble-t-il pas à lui seul établir, entre nos deux termes, un rapport de succession temporelle, tel que l’implique déjà la formule « de A à B », un processus allant du rite au jeu ? En revanche, il n’en est pas moins notoire que le xxe siècle est marqué par la tendance d’un archaïsme qu’on a coutume de désigner, tant bien que mal, par des noms comme « primitivisme », dans la mesure surtout où il s’agit d’un recours, soit pour la forme soit pour le fond, aux mythes de l’Antiquité. Comment alors éviter de parler, dans de tels cas, d’un effort de « retour à l’origine », en procédant à rebours : « du jeu au rite », comme semblerait l’impliquer la notion même de primitivisme ?  Or, c’est dans cet horizon qu’il convient d’envisager les questions que nous paraît soulever le mélodrame Amphion de Paul Valéry. Il y va d’un théâtre où l’aspect du « rite » assume, selon les intentions expresses du poète, la forme artistique d’un spectacle « liturgique ». Mais quel rapport y a-t-il avec la dimension théorique, ce « système » que propose l’auteur des Cahiers, emblème d’une modernité radicale ? En tout cas, la conception d’un tel espace ou événement  liturgique s’avère indissociable du rôle de la musique.

I. Le drame d’Amphion comme réflexion sur le jeu

Les circonstances extérieures sont vite rappelées : vers 1927-28, Ida Rubinstein se détache des Ballets russes pour créer un genre de spectacles autre que celui qu’avaient inventé les troupes de Diaghilev, notamment depuis l’événement, paradigmatique aux yeux de beaucoup et dont on vient de célébrer le centenaire, le Sacre du printemps. Ici, en plus des rapports entre danse, espace et sonorité, révolutionnés par les Ballets russes d’après l’opinion reçue, la nouvelle exigence pour déterminer les rapports entre musique et scène devient le maniement du verbe : danseuse et déclamatrice à la fois, voilà la personnalité artistique de la patronne. Le poème d’Amphion proposé par Valéry à la demande d’Ida Rubinstein en 1929, est mis en musique par Arthur Honegger ; la présentation aura lieu, deux ans plus tard, à l’Opéra de Paris2.

Pour son premier projet de réalisation théâtrale et scénique, Paul Valéry reprend des réflexions qui le hantent depuis plusieurs décennies, à partir des débats autour d’un théâtre « liturgique » qui a longtemps préoccupé Mallarmé. Un ballet Orphée, envisagé avec Debussy pendant un moment, n’aboutit pas. Comme en témoigne encore le texte « Paradoxe de l’architecte », le poète y faisait déjà le lien entre le chant « orphique » et l’architecture, ralliant dès lors les deux arts non mimétiques auxquels le projet ultérieur allait joindre le rôle (mimétique ou non ?) de la parole déclamée3. Or, le choix du mythe d’Amphion, et de l’intrigue qui en découle, permet de présenter sur scène précisément la structure et l’ensemble des paramètres artistiques de ce « théâtre » : l’origine ou la genèse commune de la musique et de l’architecture pour l’homme, dans le jeu de la lyre. C’est là l’histoire d’Amphion, homme qui reçoit d’Apollon son instrument, sous le jeu duquel se dresse la ville de Thèbes. S’y réduit tout le « drame » de la fondation : nulle Eurydice comme chez Orphée ; révélée par Apollon, l’essence commune de la musique et de l’architecture reste résolument visée dans une concentration extraordinaire. Qui plus est, Valéry obtient une rigueur encore plus ciblée en éliminant le jumeau Zéthos4 (le pendant, polaire, du travail manuel « poïétique ») ainsi qu’en remplaçant, comme objet de la construction, le fameux mur aux sept portes par le temple d’Apollon : l’édification de celui-ci devient donc une réponse symétrique au don de l’instrument. En même temps que le temple s’érige, est fondée la ville qu’on verra surgir à l’arrière-plan et dont l’existence se concrétise dans l’« Hymne au Soleil »5.

Voilà la teneur cultuelle ou « liturgique » du thème du jeu, à laquelle doit correspondre la forme sensible du « théâtre » ;  nous le verrons dans un instant, l’enjeu est ici précisément la qualité de « rite » qui doit constituer également la forme et le fond du jeu. Retenons à présent que la pièce Amphion réalise, d’une manière singulièrement réflexive de soi, une pensée du jeu, voire toute une théorie du jeu qui se concrétise dans le processus théâtral lui-même. Or, étant donné que cette théorie a en même temps l’air de se trouver articulée dans la réflexion théorique au sens plus étroit (disons, pour être bref, celle des Cahiers), la question est de savoir si nous devons y voir purement et simplement une exemplification de la notoire doctrine du processus créateur de Valéry (allant de pair avec l’idée selon laquelle tous les poèmes n’expriment que l’allégorie de leur propre création, par « l’esprit »). Dans ce cas, comment comprendre le fait paradoxal que le poète nous enjoint de récuser l’auteur comme exégète de son œuvre ? Or, c’est précisément la « scène liturgique » qui contient, tel un nœud, le faisceau de ces problèmes que constitue le don de la musique par Apollon et les Muses. Dès lors, le caractère « liturgique » et la spécificité de la référence aux Grecs vont ici coïncider. En revanche, la « scène liturgique » que le poète désigne ainsi expressément sera à rapprocher de ce problème spécifique qui surgit à l’apogée dramatique qu’est la construction du temple par la lyre, autrement dit, le rapport entre musique et architecture. Est alors constitué l’endroit où apparaît, d’abord pour l’auteur lui-même, la question d’un échec artistique d’Amphion dans sa réalisation théâtrale, tandis que la nature et l’étendue de cet échec resteront à caractériser.

II. Drame liturgique ou ballet russe ?

La représentation de sa pièce fut pour Valéry une déception. Au lieu de la cérémonie liturgique, « presque religieuse », qu’il attendait, il assista, à en croire sa propre parole, à un ballet russe. Une opposition semble se dessiner concernant le « jeu » ; mais que faut-il entendre par là ?

Une première observation s’impose. Comme le poète est très soucieux toujours de souligner sa parfaite satisfaction à l’égard de la musique d’Arthur Honegger, on se sent d’emblée amené à chercher du côté de la réalisation scénique, les facteurs responsables de cet échec (dont la nature et l’étendue restent cependant à préciser6). En effet, à comparer le dessin de la scène fait par Valéry lui-même avec le croquis d’Alexandre Benois, on ne peut qu’être frappé par le contraste entre une vision abstraite, « symboliste », et un espace de coulisses plutôt de style naturaliste. Est-ce donc un simple cas de rechute dans un traditionalisme scénique, un manque de radicalité ? Ou encore, s’agit-il du conflit entre stylisation « symboliste » et réalisme ? Toujours est-il que Valéry indique, par exemple, des arbres identifiables comme chêne, hêtres et châtaigniers ; néanmoins, le lecteur du livret est forcément conduit à envisager un espace fort stylisé, géométrique peut-être, corrélat sans doute précisément de la qualité hiératique qu’implique le terme de « liturgique ».

Mais par delà le simple problème du décor, le style général des gestes et mouvements (dont nous ne savons presque rien) aurait pu pécher par une tendance par trop réaliste, au vu des conceptions du poète. En même temps, le soupçon porte aussi sur d’éventuelles insuffisances au plan de la déclamation des parties récitées, dans les monologues (trop) longs et peut-être ressentis par le public comme monotones. Là, cependant, l’échec théâtral pourrait à vrai dire indiquer une insuffisance de la pièce même, voire de la conception de ce « drame » tout entière7.

Voilà en effet ce qui pourrait constituer une première réaction de bon sens : y voir conception en soi anachronique et obsolète, dans le recours au mythe grec, la glorification d’une harmonie néo-classique et, précisément, l’ambition d’un spectacle en cérémonie « rituelle » ou liturgique ? Dans ce cas, la réserve due au caractère de « ballet russe » ne serait que le symptôme d’un manque de légitimité artistique plus profond et, si l’on peut dire, principiel. L’anamnèse ou la réflexion ne devrait donc pas négliger cet horizon plus général de la situation au xxe et de son art.

L’objection propre de Valéry ne saurait cependant résider dans un tel malaise du bon sens psychologique ou réaliste – qui s’attend toujours à du « naturel », et pour qui l’intention (mais symboliste ou néo-classique ?) prend facilement un aspect suranné ou académique. Valéry, en plus d’être l’auteur de la pièce, avait par ailleurs lui-même étudié la déclamation avec Mme Rubinstein (il ne pouvait donc être surpris). Comment dès lors interpréter cet « échec » de l’Amphion, et quelle profondeur lui accorder ? En quoi consiste-t-il ? Quelle « esthétique » employer, et avec quels critères de légitimité artistiques ? Ensuite, comment situer le problème de la musique dans la formule « du jeu au rite ? ». Nous montrerons par la suite que, s’il y a en effet un décalage décisif, ce n’est point Honegger personnellement qui en est coupable.

III. Spécificité d’Amphion

La spécificité du projet valéryen se révèle clairement dans l’indication de deux modifications significatives apportées par le poète au mythe classique. D’abord, le poète supprime le jumeau Zéthos, complémentaire du jeu d’Amphion, c’est-à-dire le travail (ce qui nous intéressera en vue de la théorie de l’auteur des Cahiers) « poïétique » de la construction : c’est ainsi que se précise « le jeu ». Ensuite, au lieu du fameux mur aux sept portes, Amphion doit construire le temple d’Apollon, ainsi que celui-ci l’exige (même si on voit après coup que la ville de Thèbes s’est érigée en même temps, donc la cité) : ainsi se précise « le rite », ou ce que Valéry envisage comme le caractère artistique dit « liturgique ». Le livret souligne donc ces deux aspects de la révélation d’Apollon : le don de la lyre (avec la genèse de la musique même, institution et puis destitution du chanteur) et l’injonction de construire « le temple que j’ai construit moi-même ». Si l’action entière mérite ainsi d’être appelée « liturgique », le livret nomme ainsi, au sens plus étroit, la scène centrale où Amphion, endormi, reçoit l’inspiration et le don de l’instrument, par les Muses.

C’est donc en jouant (de l’instrument, cadeau d’Apollon) qu’Amphion construit l’édifice. S’il semble s’agir là d’une évidente exemplification de la fameuse théorie « poïétique » de l’auteur, laquelle consiste à faire une œuvre d’art du processus créateur lui-même, il n’en jaillit pas moins des contradictions. Amphion serait-il alors le symbole – ou l’allégorie – de l’esprit humain créateur ? Remarquons qu’avec Zéthos, c’est précisément l’aspect célébrissime de « l’exercice » qui demeure absent, cette envie de continuer toujours de travailler, tout en ne se contentant jamais d’un état de l’œuvre atteint. En même temps, si ni l’action d’Amphion constructeur ni celle des futurs citoyens thébains autour du temple ne relèvent de la poiesis, le corrélat aristotélicien de la praxis semble s’imposer. C’est là que le caractère du jeu recoupe celui de la « liturgie » ; autrement dit, le concept de liturgie formule le rapport entre jeu et rite. A cet endroit, l’événement « liturgique » se trouve être en contradiction avec la théorie fermement anti-inspiration de Paul Valéry ; l’intrigue, le « fond » de l’histoire d’Amphion, pure révélation ou inspiration8, s’avère être en unité parfaite avec l’implication de la présentation artistique du mélodrame, sa « forme ». L’inquiétude quant à cette contradiction se lève cependant si l’on se souvient de l’élément capital de la réflexion artistique de Paul Valéry, à savoir la principielle incompétence, la non autorité de l’auteur dans le jugement de son propre travail. C’est donc là le point d’Archimède de notre réflexion, à poursuivre afin de soulever la question du malaise de Valéry face à ce « ballet russe », et de ses raisons profondes. La dimension qui nous intéresse est alors celle qui ne consiste pas à exemplifier la théorie de l’auteur des Cahiers ; celle qui, en outre, nous permettra de mieux comprendre l’enjeu de l’évocation des Grecs, en contraste avec le recours au christianisme qu’incarne, en tant que « liturgique », la musique d’Arthur Honegger.

IV. La musique d’Honegger et le divertissement : du bruit primordial à la fugue

Dans ses remarques relatives à la musique d’Amphion, le poète s’évertue incontestablement à rester élogieux vis-à-vis du grand musicien qui, selon lui (en sa qualité de profane) avait brillamment résolu le problème difficile de présenter, resserrée dans l’espace de quelques instants, la genèse complète de la musique : jusqu’à ce sommet où le jeu de la lyre crée miraculeusement le temple d’Apollon, en même temps que la totalité de la cité de Thèbes. Naissant à partir d’un bruit, présumé archaïque ou primordial, la musique va se déployant rapidement vers un maximum de « constructivité ». Or, si l’on souhaite creuser le problème du malaise valéryen quant au « ballet russe » jusqu’à l’hypothèse selon laquelle la musique y est pour quelque chose, il faudra passer outre le discours théorique du poète lui-même (fût-il l’auteur des Cahiers). La question qui se pose est donc celle-ci : la musique d’Honegger – ou plutôt la constellation historique qu’elle exemplifie – serait-elle innocente du résultat aporétique, de ce fameux « échec » du projet d’Amphion9? Si le jeu sur le jeu qu’est la pièce de Valéry devait être en proie à une incongruité fondamentale quant à la fonction de la musique scénique, architecturale et, par conséquent, « liturgique »,  nous aurions retrouvé le noyau de la question du « rite » au vingtième siècle. Il y va, d’une part, d’une constitution « ludique » de la musique ; d’autre part, d’une certaine phase historique du christianisme. Les deux facteurs ensemble définissent le contour du rapport aux Grecs et à leurs mythes dans les efforts artistiques notamment des années vingt : Amphion se situe entre Œdipe, Apollon Musagète et Perséphone, fruits du désir occasionnel, chez Stravinsky, de traiter des « sujets classiques ».

Comment cerner l’enjeu ? Qu’il nous soit permis de nous concentrer sur l’aspect emblématique, à savoir le choix par le compositeur de la fugue pour accompagner l’acte de construction. Inutile de le souligner, un tel recours à la forme pérenne de la polyphonie occidentale, chrétienne, se situe en pleine époque des débats sur un « retour à Bach »10. Cela étant, c’est la décision autonome du musicien qui établit cette tension avec la pièce valéryenne. Notre but sera seulement d’analyser un peu plus loin les implications de ce choix.

Commençons par une remarque naïve. Le compositeur d’Antigone n’écrit point autrement quand il s’agit de composer Jeanne d’Arc ; la différence des sujets n’apporte nullement l’exigence d’une différence du « style » musical, selon la doctrine de l’aptum traditionnelle. Au contraire, la marque de l’époque, sa fierté même, est son pluralisme, ou mieux ce qu’on appelle la dissolution des frontières des anciens genres11, ce qui n’est rien d’autre que le geste anti-wagnérien qui s’élève contre le sérieux hiératique de la fameuse œuvre d’art totale, tout en recourant à l’attitude artisanale du « jeu », paradigme du néo-classicisme. Ce pluralisme signifie qu’on se trouve sur le plan du jeu, du « divertissement » (c’est ainsi que Stravinsky lève l’embarras terminologique, entre opéra et oratorio, pour définir les Noces). Or, si l’esthétique du Groupe des Six, Cocteau à l’appui, exemplifie parfaitement cette posture, Honegger n’y adhère pourtant pas sans réserve, étant encore à moitié un enfant du romantisme allemand, comme il est communément admis12. En revanche, il n’est pas moins vrai que même beaucoup plus tard, s’agissant de répondre aux horreurs de la Seconde Guerre mondiale, le style tardif d’Honegger travaille encore avec les mêmes moyens musicaux que ceux qui avaient précédemment servi à évoquer une locomotive ou un match de rugby (fier précisément d’avoir combattu l’« aura », l’ambition hiératique du  xixe siècle). Ainsi retrouvons-nous le concept du « liturgique » : nonobstant toute évolution stylistique, dans sa seconde symphonie de 1946, qui porte justement le titre Symphonie liturgique, le compositeur suisse, employant toujours le même « style » (il n’en a pas d’autre), a cette fois recours aux paroles du Requiem chrétien, contrepartie évidente de la fugue qu’il avait employée pour manifester l’événement mythique par excellence, la construction du temple d’Apollon dans Amphion. Notre thèse serait alors que c’est précisément dans ce soi-disant pluralisme ludique de la musique que réside le côté « ballet russe » qui avait inquiété Paul Valéry. En d’autres termes, c’est le trait constitutif du néo-classicisme, celui de « faire de la musique sur de la musique », qui  gêne la compatibilité avec le jeu sur le jeu, « liturgique », de Valéry. Ajoutons seulement qu’en effet ce trait, qui correspond à une certaine situation du christianisme, est plus ancien que ne le laisse penser un notoire reproche d’Adorno, puisqu’il relève de l’époque de Mendelssohn et de Rossini.

S’il fallait donc affirmer que « la poésie sur la poésie » qu’incarne le jeu d’Amphion est incompatible avec l’ironie objective de cette « musique sur la musique », nous toucherions à un point capital, dans la mesure où la « réflexivité », souvent revendiquée comme marque spécifique et légitimatrice de l’art (moderne et) contemporain semble précisément faire une œuvre d’art du processus créateur, comme il arrive justement à Valéry de le postuler13. La contradiction serait alors – en plus du conflit entre mythe grec et forme artistique chrétienne – à repérer dans l’aspiration de produire un espace-événement liturgique par les moyens, scéniques autant que musicaux, du divertissement. La formule du malaise, quant à la liturgie à l’époque de la fin des années vingt, réside donc dans un double conflit, dont les branches se constituent pour ainsi dire en chiasme : d’un côté,  les liturgies chrétienne (fugue, polyphonie, requiem) et grecque (introuvable) sont incompatibles ; d’un autre côté, les paradigmes de la liturgie et du divertissement le sont également. Ou encore, par rapport notamment aux « sujets classiques », Valéry n’est pas Cocteau.

V. Convient-il de généraliser ?

Si l’on admet les stations de notre réflexion, à partir du Petrouchka d’Alexandre Benois (la poupée qui se ravive, à l’instar d’Amphion), puis à travers les questions du divertissement jusqu’à la liturgie chrétienne, on constate que nous avons affaire à un état collectif de la musique : tout se passe, bien entendu, à l’intérieur du « néo-classicisme ». Il se confirme derechef, en tout cas, que nous ne sommes nullement en présence d’un problème personnel de l’artiste Honegger, mais qu’il en va plutôt d’une question d’époque. On y retrouve la question du « ballet russe » qui est la nôtre, attendu que c’est notamment dans Stravinsky que s’illustre par excellence l’instance musicale des Ballets russes : inutile de rappeler le lien entre la musique dite dansante du compositeur russe et ce paradigme artistique, incarné par l’œuvre emblématique qu’est le Sacre du printemps et la qualité révolutionnaire qu’on lui reconnaît, manifeste dans le fameux scandale de la première. Au demeurant, une telle réflexion gagne en poids dans la mesure où Valéry et Stravinsky sont souvent vus dans une grande affinité artistique : à commencer par une lettre que le poète lui-même adresse au musicien après Perséphone en 1934 ; nous y reviendrons en poursuivant la question du « liturgique ».

En revanche, insister sur ladite qualité d’une ironie objectivement ludique, si l’on peut dire, c’est renouer avec une lecture qu’avait, le premier, défendue Jacques Rivière dans son fameux article de 1913 : au lieu d’une remise en question de la civilisation occidentale, dit-il, on a bien plutôt affaire à la corroboration de cette dernière par une comédie glaciale, qui permet au public de se moquer, avec la musique du chrétien Stravinsky, des sauvages primitifs, du haut de leur propre supériorité comme on regarde les bêtes au jardin zoologique. Comme l’a signalé Roland Huesca, les relations mécaniques qui règleraient les communautés « primitives » (à l’opposé des sociétés évoluées, en langue durkheimienne), se prêtent à merveille à la musique futuriste de Stravinsky, le « rite » étant donc précisément le jeu du public qui sentait sa curiosité scientifique piquée14. En revanche, afin de réunir christianisme et archaïsme, la seule alternative est d’insister sur leur compatibilité au sein de la pensée eurasiste qui marque la collaboration avec Nicolas Roerich, dont Stravinsky aura ensuite tellement de mal à dégager la musique du Sacre, en la réinterprétant comme pièce de concert15. Reste cependant le nombre impressionnant de 27 personnes blessées à la première (qui douterait d’un rapport de police ?) : les conservateurs du Tout Paris, les dames en grande toilette (« les garces du seizième », aurait crié Florent Schmitt), dans leur indignation sur la chorégraphie de Nijinsky – la musique était inaudible – ont-ils attaqué l’élite d’avant-garde, habilement placée dans un couloir au milieu de la salle, comme dans un stade de football au xxie siècle ? Ce sont eux alors qui ont procuré à cette soirée sa notoriété mythique. En tout cas, Diaghilev (à l’instar de Cocteau) était ravi du scandale qu’il avait savamment mis en scène : «  he was delighted », ainsi que se plaît à répéter Stravinsky, lors d’une visite au Théâtre des Champs-Élysées, après plus de cinquante ans. On le sait, et la réminiscence du vieux Stravinsky le redit, la parfaite paix et même l’adhérence jubilatoire s’étaient répandues dès après la première, bien avant que le Sacre ne fût transformé en pièce de concert. Enfin, dans ce passage du rite au jeu, ce qui intéresse également notre contexte d’un théâtre « liturgique », c’est la suite survenue en 1915. Dans son idée de poursuivre encore plus résolument la transgression et la dissolution des genres, Diaghilev sollicita Stravinsky pour un ballet Liturgiya, dont l’accompagnement devait consister en d’authentiques chants ecclésiastiques russes. Après la composition d’un morceau qui finit par entrer dans Noces, le compositeur aurait cependant refusé, par réticence, à ce qu’on dit, de voir ces chants sacrés profanés sur la scène. Cocteau, lui aussi, avait bien compris ; malgré quelques tensions qui s’étaient produites entre lui et Stravinsky, dues à sa préférence pour le « classique » Satie, nous retrouverons les deux artistes en 1927 avec Œdipus Rex en langue latine, nouveau projet de « sujet classique »16.

Le cœur du problème est atteint aux alentours de 1930, attendu qu’il se manifeste dans le retour des sujets dits classiques (Perséphone suivra en 1934), en même temps que jaillit par ailleurs le renouveau chrétien du compositeur, dont la concrétisation est la Symphonie de psaumes. S’unissent alors ici, dans le voisinage de l’Amphion, les deux composantes qui nous importent dans le présent contexte du « théâtre » : le drame s’appuyant sur le mythe grec (donc le problème du « classicisme », auquel nous reviendrons), ainsi que le recours qui se cristallise dans l’emploi de la fugue (archétype de la musique chrétienne autant que de « la musique elle-même »), l’union de ces composantes se faisant sous le paradigme du divertissement (à l’opposé de la « liturgie », ou plutôt en transformant, volontairement ou non, l’aspiration du rite, « liturgique », en « ballet russe »). Il sera donc utile de compléter notre réflexion par un coup d’œil sur la Symphonie en trois mouvements, pièce qui se présente d’ailleurs comme un pendant de la Symphonie liturgique d’Honegger, après la guerre.

L’essentiel qui unit les deux cas est vite caractérisé : de même que la fugue d’Amphion ne fait qu’illustrer la genèse du temple de Thèbes, la fugue dans le cadre de la Symphonie, parfait modèle de « la musique elle-même » dans tout ce qu’elle peut comporter de connotations au beau milieu de ce « retour à Bach », sert de simple illustration d’une scène que le compositeur en personne révèle être tirée de reportages télévisés : en culminant avec la fin, « en queue de poisson », de l’aventure nazie17. On a donc affaire à un morceau de musique à programme, à l’instar de la  Musique d’accompagnement à une scène cinématographique ou du Bœuf sur le toit. Bien entendu, le programme n’exclut point le notoire caractère de « musique dansante », pas plus que dans Circus Polka ou dans la Passion selon Saint Matthieu devenue musique de ballet.

D’autre part, « liturgique » voulant dire « chrétien » chez Honegger (ce dernier n’a pas d’autre horizon ni d’autre « style » musical à sa disposition pour réagir aux horreurs du Troisième Reich et de la guerre), le problème des exigences que pose le mythe grec ressort d’autant plus vivement. Et le parfait corrélat survient lorsque Cocteau construit son Œdipus Rex traduit en latin et pourvu d’un narrateur « épique » : la réduction analogue du spectacle au « divertissement », au sens précis proposé par le compositeur afin de désigner l’intermédiaire entre opéra et oratorio. Si le moment d’Amphion se situe donc entre Œdipe et Perséphone (1927 et 1934), les deux œuvres de Stravinsky, il n’en est pas moins vrai que nulle des deux ne soulève plus la question du « liturgique » (comme définissant son intime caractère artistique). En revanche, la collaboration entre Gide et Stravinsky avait produit, et fait remarquer des deux côtés, une aporie flagrante18. Ce qui nous ramène à Paul Valéry, ainsi qu’au problème de son propre jugement à l’égard de l’entreprise artistique et musicale de son mythe thébain. Loin d’associer la musique de Stravinsky au malaise de « ballet russe », l’auteur des Cahiers semble prendre ici le parti du compositeur contre Gide, allant jusqu’à souligner une proximité entre Stravinsky et lui-même, dans sa lettre du 2  mai 1934 : « Il me semble, écrit-il, que ce que j’ai cherché parfois par les voies du langage poétique, vous le poursuivez et le joignez dans votre art. Il s’agit d’atteindre la pureté par la volonté.19 » En vérité, nous l’avons vu, c’est le paradigme musical tout entier de Stravinsky et de Honegger qui, du fait de son inéluctable nature de « divertissement », ne saurait faire autrement que créer du « ballet russe ». Paradigme dont la désignation habituelle de « néo-classicisme » ne saisit que le point de départ d’une réflexion plus adéquate20. Encore faudrait-il examiner une éventuelle présence d’éléments appartenant à la sphère théorique du « système » des Cahiers au sein de la conception artistique du mélodrame lui-même, afin de mesurer la prétendue affinité entre Valéry et Stravinsky autant que l’hypothèse d’une contradiction entre la théorie des Cahiers et le niveau de la réalisation de l’œuvre21. Quant à la lettre citée, il saute aux yeux que l’enjeu ne saurait être une simple juxtaposition, suivi d’une mise en parallèle, des intentions ou introspections des deux artistes, le vrai problème étant précisément le rapport entre les deux facteurs, langage poétique et musique, dont le nom traditionnel est celui de « lyrique ». C’est bien là que réside, selon notre analyse, le problème du « ballet russe », obstacle au « liturgique ».

VI. Valéry et le xxe siècle

Tout bien considéré, on pourrait dès lors espérer saisir la profondeur, logique et existentielle, du refus par Valéry lui-même – et ce au sommet de sa propre réflexion artistique – d’accorder au poète une compétence de thématiser son œuvre : ce qui permettrait d’éviter la tentation, pesant héritage de l’esprit positif, de mal situer la notion d’un Valéry « philosophe de l’art ». Tout intéressant qu’il soit, l’extraordinaire effort déployé par l’auteur des Cahiers ne constitue que la toile de fond des illuminations quasi involontaires qui correspondent justement au rejet d’un quelconque privilège dû au créateur quant au jugement porté sur « son » produit.

En revanche, si ledit refus est fondé, la conclusion s’impose d’une manière plus générale, que nous tenons ici la vraie dimension du rejet de l’interview, ou du diktat par l’auteur de l’interprétation de son œuvre érigée en métalangue. Dans cette mesure, l’interview que donne l’artiste serait alors à récuser par principe, et une fois pour toutes – fût-ce même cette méga-interview que constituent les Cahiers, selon leur fonction aujourd’hui, laquelle consiste notamment à supplanter, en le remplaçant, le langage lyrique. Ainsi, en défendant Valéry contre ses spécialistes, sans doute corrigerait-on deux court-circuits à la fois : celui du « philosophe », lequel se produit en lisant les Cahiers, aux dépens de la poésie, comme un traité philosophique22 ; et celui d’un Valéry « néo-classique », donc condamné à rester exclu, du fait de son horizon par trop restreint et un peu suranné, d’une pleine appréciation des vertus et des progrès du théâtre depuis la Seconde guerre mondiale23.

Notre réflexion autour des questions soulevées par le mélodrame Amphion, centrée sur l’absence, au xxe siècle, d’un style musical adéquat pour ce jeu subtil de la poésie, de l’architecture et du rôle cosmo-poïétique de la musique, précisément dans la mesure où la pensée artistique se dirige vers un « rite » que Valéry conçoit comme « liturgique », semble permettre un retour à ces observations d’un critique des années cinquante dont nous étions partis. Il s’avère dès lors que les deux problèmes ou mérites évoqués – le théâtre et la spécificité du langage lyrique (selon l’exigence valéryenne) – ne sont en vérité qu’un seul24. De même que le jeu du mélo-drame (dans son intrigue comme dans l’espace de sa réalisation) est à concevoir en termes de l’unité entre poésie et musique que nous appelons depuis toujours « lyrique », de même ce projet entier d’un théâtre liturgique relève toujours encore de la sphère d’une réponse à Wagner, laquelle se définit précisément comme ce qui est subi, en « désespérant » sa volonté, par l’auteur des Cahiers, infidèle disciple de Mallarmé et éphémère ami d’André Breton. Cela doit correspondre au moment suprême du jeu d’Amphion. À mille lieues de toute imitation d’un quelconque modèle wagnérien (s’agissant de renouer avec le mythe grec, et ce en langue française), le lien intime entre poésie « lyrique », danse et architecture semble avoir jeté les bases d’une autre musique que celle dont le xxe siècle a été capable. Valéry l’a-t-il entendue ?

 « Rien n’empêche de supposer que le développement de la musique depuis cent ans n’ait pu se produire en sens inverse – c’est-à-dire en simplifiant, en réduisant le nombre des moyens, – et en accroissant leur délicatesse et leur rendement, – tellement que Mozart paraîtrait à l’horizon de Berlioz et de Stravinsky et Bach au-delà de Wagner – ce que celui-ci a tiré de celui-là étant pris comme pressentiment, recherche de la simplification future qui en réalité vint avant. »25

Publié en Novembre 2015

Bibliographie

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- Id., Œuvres (Bibliothèque de la Pléiade), Vol. 1, Paris, Gallimard, 1957.

Notes

1  Rediffusée sur France Culture en été 2013.

2  Voir en général H. Laurenti, Paul Valéry et le théâtre, Paris, Gallimard, 1974 ; M. Jarrety, Paul Valéry, Paris, Fayard, 2008.

3  P. Valery, Œuvres, éd. J. Hytier (Pléiade), vol. 2, Paris, Gallimard,1960, p. 1403 et s.

4  Dans certaines traditions anciennes, il en est déjà ainsi. ; voir S. David-Guignard, « Bâtir en musique : l’exemple d’ Amphion à Thèbes », dans O. Mortier-Waldschmidt (éd.), Musique et Antiquité, Paris, Les Belles Lettres, 2006, p. 247-266.

5  P. Valéry, Œuvres, éd. J. Hytier (Pléiade), vol. 1, Paris, Gallimard, 1957, p. 166-181.

6  Voir, entre autres, V. Fabbri, Paul Valéry, le poème et la danse, Paris, Hermann, 2009, p. 106-110.

7  Le reproche d’un simple manque d’expérience théâtrale fut soulevé contre Valéry, lors de l’insuccès encore plus cuisant de Sémiramis (1934), par Jacques Copeau, pourtant ami et défenseur de la scène anti-naturaliste d’Adolphe Appia.

8  Embarras qui fait que l’exégèse valéryenne choisit volontiers la lecture du dieu et des Muses comme de simples allégories des facultés créatrices humaines, ainsi qu’il sied à une civilisation avancée.

9  Un critique attribue effectivement la culpabilité d’un « demi-échec » à Honegger, mais en déplorant seulement une trop grande restriction à quelques éléments illustratifs, de la part du compositeur de la plus radicale Antigone de 1921 : R. Piencikowski, « Paul Valéry et la musique de la pensée », in Die klassizistische Moderne in der Musik des 20. Jahrhunderts, H. Danuser. (éd.), Mayence, Schott, 1997, p. 27-34.

10  Voir S. Messing, Neoclassicism in Music. From the Genesis of the Concept through the Schoenberg/Stravinsky Polemic, UMI Research Press, Ann Arbor et Londres, 1988, afin de rappeler également l’enjeu de ces débats dans la structuration de la fameuse opposition entre Stravinsky et Schönberg qui est en train de se profiler : mais nous y trouvons la base commune, partagée par les rivaux, voire le problème du « néo-classicisme » tout court. Plus spécifiquement, H.-J. Hinrichsen., « Schönberg, Bach und der Kontrapunkt. Zur Konstruktion einer Legitimationsfigur », in Autorschaft als historische Konstruktion: Arnold Schönberg, Meyer A., Scheideler U. (éd.), Stuttgart, Metzler, 2001, p. 29-64, ainsi que J. Stenzl, « Igor Strawinskys Manifest von 1924 », in Id., Auf der Suche nach Geschichte(n) der musikalischen Interpretation, Würzburg, Königshausen und Neumann, 2012,  p. 71-92.

11  Voir, par exemple, V. Scherliess,Igor Strawinsky und seine Zeit, Laaber Verlag, Laaber, 1983, p. 70 et s.

12  Cf. T. Hirsbrunner, « Die Sept pieces brèves (1920) von Arthur Honegger in ihrem musikhistorischen Umfeld », in Die klassizistische Moderne in der Musik des 20. Jahrhunderts, Danuser H. (éd.), Mayence, Schott, 1997, p. 103-114.

13  Nous n’entrerons pas ici dans le débat sur une exégèse qui veut que, dans Amphion, le dieu et les Muses soient de simples allégories des diverses facultés de « notre esprit », conçu à la manière des humanistes florentins : si l’esprit n’existait pas, il faudrait l’inventer. À propos de la Scène liturgique d’Amphion, cf. les belles remarques de H. Holzkamp, Reine Nacht. Dichtung und Traum bei Paul Valéry, Heidelberg, Winter, 1997, p. 156s.

14  Roland Huesca, Triomphes et scandales : La Belle époque des Ballets russes, Paris, Hermann, 2001, p. 101-104. Voir aussi Helmut KIRCHMEYER, Strawinskys russische Ballette, Stuttgart, Reclam, 1974, p. 115, qui insiste sur le message péjoratif notamment de la Danse sacrale, « dans laquelle le compositeur prône la tranquillité de son existence chrétienne sur l’imbécillité mentale païenne ».

15  Cf. l’analyse de Richard Taruskin, « A Myth of the Twentieth Century : The Rite of Spring, the Tradition of the New, and the “Music Itself” », in Id., Defining Russia Musically, Princeton University Press, Princeton et Oxford, 1997, p. 360-388.

16  Cf., dans notre contexte, T. HIRSBRUNNER, « Ritual und Spiel in Igor Strawinskys „Oedipus Rex“ », Schweizerische Musikzeitung, n° 114, 1974, p. 1-5.

17  Voir la brochure de l’Igor Stravinsky Edition (Sony), vol. IV, p. 13L’effet ironique de l’illustration ressort bien, lorsqu’on s’imagine une devise analogue comme « Tarzan don’t like Nazi », apte à résumer la teneur programmatique de la fugue.

18  On sait que Stravinsky méprisait la poésie du livret de Gide.

19  Cité par M. Jarrety, op. cit., p. 899.

20  Voir à nouveau  R. Taruskin, op. cit.

21  Nous pensons à des éléments comme la séparation entre acteurs (sur scène) et chanteurs (dans la fosse) que Valéry, pour des raisons théoriques, intègre à sa conception scénique dans Amphion : séparation qui provient très exactement des « Ballets russes », et que Diaghilev avait, dès 1914, utilisé pour ses « divertissements » : voir V. Scherliess, op. cit., p. 61. Une analyse suffisante de ce modèle (grand cas en est fait par A. Schaeffner, dans un texte de 1924, in Variations sur la musique, Paris, Fayard, 1998, p. 192-213 : « Une nouvelle forme dramatique : les chanteurs dans la “ fosse ” ») devra attendre une autre occasion.  

22  Ainsi, par exemple, P. Signorile, Paul Valéry, philosophe de l’art, Paris, Vrin, 1993.

23  H. Laurenti, Paul Valéry et le théâtre, Paris, Gallimard, 1974, p. 222. Un troisième réductionnisme s’y implique : le remplacement du lyrique, plus la fétichisation de la prose des Cahiers, conduit à une idée de « littérature » qui se tient du côté du roman et du cinéma, repérée précisément dans les énoncés publicitaires de l’auteur (donc sans distance critique). Voir, par exemple, V. Fabbri, op. cit., p. 165 et s.

24  Quant à un « théâtre » pensé à partir de l’architecture (et non de la peinture), la critique des Ballets russes par Edward Gordon Craig est signalée chez A. Levinson, 1929, danse d’aujourd’hui, Arles, Actes Sud, 1990, p. 21. C’est dans ce cadre que la question du « lyrique » pourrait être reprise.

25  P. Valéry, Cahiers (Bibliothèque de la Pléiade), vol. II, éd. J. ROBINSON, Paris, Gallimard, 1974, p. 944.

Pour citer ce document

Holger Schmid, «Du jeu au rite ? Amphion et sa musique au XXe siècle», déméter [En ligne], Du rite au jeu, Articles, Thématiques, Textes, mis à jour le : 28/01/2016, URL : http://demeter.revue.univ-lille3.fr/lodel9/index.php?id=525.

Quelques mots à propos de :  Holger Schmid

Maître de Conférences en Philosophie moderne et contemporaine à l’Université de Lille 3. Il est l’auteur de Nietzsches Gedanke der tragischen Erkenntnis (Wurzbourg, Königshausen und Neumann, 1984) et de Kunst des Hörens ; Orte und Grenzen philosophischer Spracherfahrung (Cologne et Weimar, Böhlau, 1999), ainsi que de nombreux articles portant, entre autres, sur la philosophie de l’art et du langage.