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Le dialogue des arts
À la recherche du temps perdu : de Wagner à Schönberg
Résumé
On a souvent fait le parallèle entre la composition musicale, notamment wagnérienne, et À la recherche du temps perdu de Proust. Mais si la culture musicale de Proust, les goûts de Proust, les compositeurs cités dans son œuvre, compositeurs au reste utilisés pour construire l’œuvre de Vinteuil,inclinent à opérer le transfert, le compositeur fictif et la « petite phrase » de sa sonate sont là pour illustrer autre chose qu’une structure transférable, l’œuvre de Vinteuil étant là pour diriger l’enjeu du roman : l’œuvre future.
Or, certains commentateurs ont valorisé la place essentielle accordée au fragment dans le roman : de la fragmentation même de celui-ci par sa génétique, à la place prépondérante qui lui est offerte comme thématique sous-jacente, en particulier dans sa confrontation à la succession et à l’unité. Rôle primordial donc, qui fait retour sur les arts « du temps » et la discussion d’un art fragmentaire (de la facettisation à l’ébauche) comme d’un temps-espace, lequel est également l’enjeu de la réception de l’art qui s’aborde très souvent en termes visuels chez Proust, jusqu’à provoquer la frustration du héros du roman, et la prise de conscience de ses lacunes qui l’ont empêché de créer lui-même : l’impossibilité de synthétiser les arts ; l’impossibilité d’aimer totalement une œuvre qui ne se présente que fragmentairement ;l’impossibilité d’être le génie dont la vision englobe la totalité de l’œuvre en tant que volume.
Texte intégral
Faut-il, pour forcer l’image de ce que l’on a nommé « l’architecture musicale » de À la recherche du temps perdu, s’engourdir de la comparaison multidécennale à la Tétralogie2 ?
La négation d’une telle interprétation s’est aussi levée3, alors que ladite interprétation est explicitement appelée par Thomas Mann qui a reconnu avoir suivi la technique du Leitmotiv wagnérien, les idées et les thèmes jouant le même rôle que les motifs musicaux dans Tonio Krüger, Les Buddenbrok et Der Zauberberg – autre roman du temps – puisque qu’avec Proust, le résultat romanesque doit ce transfert malheureux à des procédés littéraires usuels (métaphores, thèmes et personnages réapparaissant, formules itératives). Par ailleurs, la correspondance de Proust nous apprend que la comparaison qu’il fit entre la poésie de Anna de Noailles et les opéras de Wagner reposait sur l’idée de forme organique et non de Leitmotiv4, terme qu’il écarte dans La Recherche au profit de « thèmes insistants et fugaces qui visitent un acte, ne s’éloignent que pour revenir, et parfois lointains, assoupis, presque détachés, sont à d’autres moments, tout en restant vagues, si pressants et si proches, si internes, si organiques, si viscéraux »5. Certes, les motifs et les personnages proustiens demeurent tout en subissant des transformations – phénomène que Proust rapporte à propos du nom des Guermantes qui, « à tous les moments de sa durée […], considéré comme un ensemble de tous les noms qu’il admettait en lui, subissait des déperditions, recrutait des éléments nouveaux »6 – par le biais de duplications, d’interpolations, de changements d’angles de vue en des distances proches ou éloignées dans le temps du raconter, procédés à certains égards comparables au Leitmotiv, mais qui relèvent d’un type de répétition définie par Proust comme intégrale, que F. Decarsin rapproche des phénomènes de différenciation thématique alliée à une différenciation de texture, répétition « n’altérant pas l’essentiel d’un état retrouvé dans sa complétude. Mais cette puissance du retour souligne surtout l’ambiguïté temporelle liée à la périodicité »7. Proust a d’ailleurs retenu pour son compositeur fictif Vinteuil le procédé cyclique de Franck8. L’écrivain connaît aussi cette façon de faire acquérir un rôle de premier plan à un personnage secondaire, qui équivaudrait à développer tardivement dans une œuvre un thème passé inaperçu, comme il le dit de Beethoven lorsque ce dernier annonce un motif qui anticipe sur le thème à développer, ainsi que les longues préparations sur lesquelles Proust attire également l’attention, « ces phrases interrogatives de Beethoven, répétées indéfiniment, à intervalles égaux, et destinées, avec un luxe exagéré de préparations, à amener un nouveau motif, un changement de ton, une rentrée »9. L’écrivain ne fait-il pas d’ailleurs de lui-même la comparaison entre les hésitations qui ouvrent les pièces de Schumann et les retardements des débuts de certaines nouvelles de Balzac10 ? Mais doit-on poser une analogie de structure entre le roman et les écritures beethovéniennes ou schumaniennes sans s’abandonner au risque de l’argument artificiel ? De même les longues phrases proustiennes, leurs délais explicatifs ont permis aux commentateurs de Proust de les relier à ses propres commentaires sur « les phrases au long col sinueux et démesuré de Chopin, si libres, si flexibles, si tactiles, qui commencent par chercher et essayer leur place en dehors et bien loin de la direction de leur départ » avant de revenir délibérément « vous frapper au cœur »11. Or, si la phrase proustienne donne à voir un motif en énumérant ses facettes par des adjectifs disparates et propulse la lecture vers le surgissement du sens complet du passage entrevu au travers de ces éclairs descriptifs en enfilade, la segmentation en résultant, « forme exacte sous laquelle l’écrivain se représente la fragmentation du temps et la ligne du successif »12, est irréductible à l’écriture musicale telle que Proust la connaît, organique, déductive.
Il faut donc se garder de confondre la culture musicale de Proust – sa connaissance évidente de certains phénomènes d’écriture, des particularités de style, et des œuvres, malgré son défaut de savoirs approfondis en matière de technique musicale – et une volonté supposée de sa part d’imiter les dits procédés, même s’il peut sembler manifeste qu’il y ait une similitude entre les moyens mis en œuvre par les compositeurs pour pallier les limites que la mémoire et la perception imposent à un art essentiellement temporel et le roman de Proust dont le dessein est de révéler la « grande Figure du Temps ».
Partant, il est donc aisé de considérer que Proust, pour répondre à des impératifs semblables, a utilisé des dispositifs voisins pour assurer une unité à ce vaste ensemble, écartant toute notion occulte d’influence13, puisque les rapports entre ces deux domaines s’inscrivent dans la plus grande hétérogénéité, de même que chaque « profil » d’artiste est unique14, ce que notait déjà l’auteur avec la « preuve de l’existence irréductiblement individuelle de l’âme » qu’est la « patrie inconnue » oubliée par l’artiste, mais « différente de celle d’où viendra […] un autre grand artiste » ; « patrie » intérieure donc, qui se concrétise par ces phrases reconnaissables sous leurs déguisements, mais dont les musicographes ne pourraient trouver l’apparentement, la généalogie, dans les œuvres d’autres compositeurs, seulement pour des raisons accessoires, des ressemblances extérieures15.
Tout est dit, par l’auteur lui-même.
Peut-on alors se pencher sur l’œuvre de Vinteuil, œuvre fictive centrale, et les aventures métamorphiques de la « petite phrase » de sa sonate pour que l’illusion d’une analogie avec le savoir d’un écrivain soit propulsée comme aune de l’interprétation de sa fresque romanesque, quand la multitude des commentaires proustiens sur la musique permet, au mieux, d’entrevoir l’étendue des connaissances, les goûts, au demeurant changeantsavec l’âge16 de l’auteur, même s’il leur doit, ainsi qu’à sa fréquentation de la critique musicale, d’avoir pu élaborer l’œuvre de Vinteuil en amassant divers matériaux hérités de musiciens réels. La petite phrase… à l’origine hybridation « d’une phrase charmante mais enfin médiocre d’une sonate pour piano et violon de Saint-Saëns, musicien que je n’aime pas »17, puis émanation de l’Enchantement du Vendredi saint avant de s’adjoindre des aspects de la Sonate de Franck18, des trémolos grâce au prélude de Lohengrin, et « quelque chose de Schubert » qu’accompagne une pièce pour piano de Fauré19…
On sait que cette construction de l’œuvre du compositeur de Combray à partir de plusieurs sources font que ce morcellement entraîne irrémédiablement une vision approximative ; du Quintette ou de la Symphonie en ré mineur de Franck pour les cloches, au Prélude, fugue et variation du même pour le motif « virginal » et « candide » de la Sonate20, ainsi que les « phrases habituelles, harmonies habituelles », « demi-déesses »21 ; de Schumann la « fixité des composants de l’âme » et le motif de « l’enfant qui dort »22, jusqu’aux opéras de Chabrier. Vision approximative, Vinteuil l’est aussi en vertu de la fusion de deux personnages (le naturaliste Vington, dont la reconnaissance de l’œuvre sera posthume23, et un dénommé Berget, auteur d’une sonate suscitant l’intérêt de Swann qui s’interroge sur la signification de la petite phrase24, personnage figurant dans la première version d’Unamour de Swann, au Cahier 18). En 1913, Vington devient professeur de piano mais l’auteur de la sonate reste un certain Vindeuil. Les corrections suivantes montrent un seul Vinteuil chez qui persiste pourtant un décalage entre celui qui était le modeste vieillard de Combray et le compositeur de la sonate, l’identité à deux faces opposées pouvant donc illustrer les idées trompeuses qu’on puisse se faire du génie, de son labeur, de son univers particulier, de sa (piètre ou triste) vie d’homme. Ce dernier aspect est nettement rendu par les déplacements de matériaux opérés par Proust, certaines sources entrant dans la scène du pianola de La Prisonnière, d’autres étant consacrées à l’audition du septuor chez les Verdurin. On sait donc que la construction de Vinteuil, qui semble métaphoriser certains processus, est moins due à Wagner, à Franck, à Chopin, à Debussy, Fauré, Saint-Saëns, Schumann ou Chabrier, qu’à la génétique même du roman, même si la teneur des commentaires sur l’art est due aux savoirs musicaux de Proust. Or, ils sont ici pour montrer qu’entre différentes œuvres d’un même créateur, se révèle malgré tout un monde inconnu, pourtant toujours semblable à lui-même : le portrait détaillé d’Albertine qui incarne le transitoire, la fugacité, l’insaisissable, le Temps, contraste alors puissamment avec l’idée de permanence entre les œuvres du musicien25, la monotonie dans la diversité, preuve de la « fixité »26 profonde et d’unité de style qu’illustrent dans les ébauches les adjectifs « familier », « habituel », fréquemment rattachés à la notion de phrase (les « phrases types »), ce motif à la fois littéraire et musical qui aide à soutenir la thèse selon laquelle les grands littérateurs, comme Vinteuil, « n’ont jamais fait qu’une seule œuvre, ou plutôt réfracté à travers des milieux divers une même beauté »27, et confirme la musique de Vinteuil comme métaphore du langage littéraire28.
Faut-il alors s’arrêter ici, là où la musique selon Proust est assurément autre chose pour le roman que ce que l’on peut en lire dans les raouts des Verdurin ou les querelles intra-familiales entre les Cambremer29, autre chose que ce que nous en content les correspondances de l’écrivain ou les amours de Swann ?
L’œuvre de Vinteuil est là pour révéler d’autres choses encore, ne serait-ce que par son statut dans la vie de Swann, présence profondément différente de celle qu’elle aura pour le narrateur qui n’aura de cesse de comprendre en quoi l’héritage de Swann lui voile sa propre vocation d’artiste que catalyse l’œuvre de Vinteuil30.
Car, au départ, la Sonate de celui-ci est entendue par Swann qui en goûte « la qualité matérielle des sons sécrétés par les instruments » puis distingue qualitativement les deux parties ; la ligne de violon, « mince, résistante, dense et directrice » et « la masse de la partie de piano, multiforme, indivise, plane et entrechoquée comme la mauve »31, avant de tenter de recueillir ce qui passe (phrase ou harmonie), malgré ses lacunes de connaissances musicales qui sont peut-être à l’origine de cette « impression aussi confuse, une de ces impressions qui sont peut-être pourtant les seules purement musicales, inétendues, entièrement originales, irréductibles à tout autre ordre d’impressions »32. En matière de méconnaissance du langage musical, le narrateur et Swann se ressemblent. Cependant, l’esthète du faubourg Saint-Germain enveloppera la petite phrase d’une aura amoureuse : propulsée « hymne national »33 de son amour pour Odette, la petite phrase, « dansante, pastorale, intercalée, épisodique, appartenant à un autre monde », sera le siège de son désenchantement : elle semble connaître la vanité de ce bonheur dont elle montre la voie, et reste pour Swann un souvenir de sa liaison avec une vulgaire cocotte qui, par caprice, l’a empêché de connaître autre chose de la Sonate. Ainsi, l’obéissance idolâtre à l’amour est un obstacle dirimant à l’appréhension de l’œuvre d’art, la petite phrase ductile et plastique n’ayant été qu’une sorte de zone privilégiée, indicible et intime, qui avait rempli l’existence hors les contingences du quotidien, ajoutant là où l’amour décevait34. Et Swann de regretter finalement ce fossé qui le sépare de la signification véritable de la petite phrase, qui n’a que faire de ses amours malheureuses. Après avoir subi les affres de la recollection intégrale de « ses souvenirs du temps où Odette était éprise de lui »35 (« les refrains oubliés du bonheur ») lors d’une ultime écoute (involontaire, lors d’une soirée) de la Sonate, la petite phrase, devenue un « être surnaturel et pur qui passe en déroulant son message invisible », une « déesse protectrice » avec un « corps harmonieux et fuyant »36 qui habite la solitude de Swann débarrassé de cet amour, arbore désormais un caractère plus universel : l’égocentrisme de l’amour déçu tend à externiser l’intérêt vers le compositeur et son œuvre, car cette nouvelle audition fait découvrir des nouveautés inaperçues, ce dont se souviendra aussi le narrateur : la musique l’aide « à descendre » en lui-même, à y découvrir du nouveau alors que la variété avait en vain été cherchée dans la vie, dans le voyage37. L’univers et le langage propre à chaque artiste nous permettent de connaître cette diversité à être, qui se concrétise au sein de l’œuvre même.
De là naissent d’autres lumières. Des phrases qui étaient demeurées inaperçues, « devenaient d’éblouissantes architectures ; et certaines devenaient des amies, que j’avais à peine distinguées, qui au mieux m’avaient paru laides »38. Les beautés qu’on découvre le plus tôt sont aussi celles dont on se fatigue le plus vite39 avait tantôt dit le narrateur. Et puis il y a cette révélation que d’autres phrases, « distinctes la première fois, mais que je n’avais pas alors reconnues là, je les identifiais maintenant avec des phrases des autres œuvres »40. Cette « transmutation » de la déception au premier contact d’un chef-d’œuvre peut s’expliquer par « un affaiblissement de l’impression initiale, ou à l’effort nécessaire pour dégager la vérité. Deux hypothèses qui se représentent pour toutes les questions importantes, les questions de la réalité de l’Art, de la Réalité : cette musique me semblait quelque chose de plus vrai que tous les livres connus »41 car elle seule reproduit l’inexprimable et l’ivresse procurée par des impressions de la vie, mieux que ne le fait leur analyse recomposée sous forme d’idées. Désormais soulagée de sa gangue sentimentale, la petite phrase, cet « être surnaturel et pur qui passe en déroulant son message invisible » que nous emportons malgré tout dans la mort, possède une existence réelle, bien qu’elle soit « surnaturelle »42, « comme tranchant avec le reste de la vie, avec le monde visible » car elle caractérise ces impressions qu’à intervalles éloignés le narrateur retrouvait dans sa vie comme des repères et des amorces « pour la construction de la vie véritable »43. Mais l’esprit du doute qui gagne le narrateur insinue « l’hypothèse matérialiste, celle du néant »44 : si les phrases de Vinteuil semblent l’expression de certains états de l’âme, inanalysables – analogues à celui éprouvé en goûtant la madeleine trempée dans la tasse de thé – rien n’assure que le vague de telles impressions inintellectuelles soient une marque de leur profondeur, « mais seulement de ce que nous n’avons pas encore su les analyser »45. Pourtant, ce « type inconnu de joie »46, cette ivresse que procure l’art n’est pas une illusion, d’où l’hypothèse de la réalité de l’Art : « il n’est pas possible qu’une sculpture, une musique qui donne une émotion qu’on sent plus élevée, plus pure, plus vraie, ne corresponde pas à une certaine réalité spirituelle, ou la vie n’aurait aucun sens. Ainsi rien ne ressemblait plus qu’une belle phrase de Vinteuil à ce plaisir particulier que j’avais quelquefois éprouvé dans ma vie »47.
Or, dans le souvenir, le vague peut être précisé « grâce à un repérage de circonstances »48 qui valide le caractère positionnel du souvenir dira Paul Ricœur, alors que les sensations vagues données par les œuvres de Vinteuil ne viennent pas d’un souvenir, mais d’une impression, mode sur lequel il entend et projette hors de lui l’univers, mode par lequel l’œuvre, ce prolongement de soi hérité d’un autrui, reste presque tout entière invisible au narrateur « comme un monument dont la distance ou la brume ne laissent apercevoir que de faibles parties. De là, la mélancolie qui s’attache à la connaissance de tels ouvrages comme de tout ce qui se réalise dans le temps. »49 Et puis, que l’intérêt soit porté sur une seule œuvre, ou entre la « blanche sonate » et le « rougeoyant septuor », les phrases si différentes ne sont-elles pourtant pas faites des mêmes éléments « d’un univers insoupçonné, fragmenté par les lacunes que laissaient entre elles les auditions de son œuvre »50 ? Finalement cette œuvre, puisque l’on n’a pu l’aimer « qu’en des temps successifs »51, ressemble bien à la vie, à ces impressions éprouvées dont les « fragments disjoints »52 semblent être symbolisés et synthétisés par la musique de Vinteuil53. Du reste, certains commentaires lancés sur la musique de Vinteuil-Berget, en correspondance avec le peintre de Mme Verdurin, montrent du créateur original – qui aura rejeté les poncifs – un art donnant l’impression pour le premier d’être un ensemble de notes qui n’ont aucun rapport les unes avec les autres, échappant ainsi à la compréhension des Cottard, et pour le second un amalgame de (points de) couleurs sur la toile, sans rapport avec la chose représentée54.
Successif, fragment : les mots sont lancés, qui offrent prise à des commentaires où le pseudo-wagnérisme ou l’organicité de l’œuvre proustienne prennent un tout autre tour, notamment parce que la génétique même de La Recherche, objet d’étude beaucoup plus privilégié depuis les deux dernières décennies, a mis en valeur cette fragmentation due à ce qu’Almuth Grésillon nomme l’« écriture vagabonde »55, conséquence d’un matériel manuscrit immense surchargé d’ajouts, déconstructions et reconstructions opérés avant, pendant et après la publication débutée à la fin de l’année 1913, interrompue durant la guerre, et, reprise, qui perdure après la disparition de l’écrivain, ceci car Proust travaille indéfiniment manuscrits et épreuves, ces corrections successives témoignant « d’une inachevabilité potentielle, d’une processualité de son écriture, qui rend difficile de considérer le roman comme « définitivement terminé, fermé, achevé »56. Si un pont doit être toutefois jeté entre le « wagnérisme » de Proust et son idée de l’écriture romanesque, on le doit à ses propres commentaires où apparaît précisément la notion de fragment unificateur, cette parcelle « ultérieure », « découverte entre des morceaux qui n’ont plus qu’à se rejoindre », « morceau composé à part, né d’une inspiration, non exigé par le développement artificiel d’une thèse, et qui vient s’intégrer au reste », « ce raccord, un coup de pinceau, le dernier et le plus sublime » qui procure à l’œuvre une unité qu’elle n’avait pas : les Histoires de Michelet, La Comédie Humaine, La Légende des siècles, l’air du chalumeau du pâtre dans Tristan57, L’Enchantement du Vendredi saint dans Parsifal58. Réflexion doublement autoréférentielle puisque le commentaire intéresse indifféremment l’œuvre fictive à venir et le roman de Proust dont l’achèvement est rendu par la mobilité de ces fragments.
Le fragment, ce morceau qui signifie autant l’éclatement de l’œuvre que son sauvetage, est la condition, par duplication ou variation, des similitudes internes à chaque œuvre, lesquelles sont aussi l’analogue de l’essence du souvenir : les trajets multiples entre les différents points du passé que le souvenir occupe, directement mis en rapport avec la visibilité inégale des écoutes successives ou des différentes parties de la musique, lignes de construction que la mémoire tend à faire rejoindre, occupent un volume59 qui confirme ici le caractère dimensionnel du temps. Ainsi, aux côtés du fragment et de la succession, Proust impose l’idée de volume au temps, un temps dont la représentation spatiale, nécessaire à cette écriture du temps entreprise par l’auteur, lui valut d’être en désaccord avec le « cousin » Bergson60.
Les premières critiques littéraires du roman proustien se sont cependant beaucoup intéressées à son infime partage avec le bergsonisme qu’est l’« observation intérieure », concordance qui, à en croire Bergson lui-même, n’est pas fausse, mais il s’agit bien de la seule car Proust s’attache à constater la fragmentation des états de conscience, l’une des souffrances du narrateur si bien averti qu’il a appris à les distinguer, ces états qui se succèdent en lui« pendant certaines périodes, et vont jusqu’à se partager chaque journée, l’un revenant chasser l’autre [...], contigus, mais si extérieurs l’un à l’autre, si dépourvus de moyens de communication entre eux »61 que la mémoire est inapte à les re-présenter, puisque leur restauration, partielle, est réalisée par la mémoire, intermittente et donc discontinue, qui n’établit pas durant le Temps perdu la liaison entre les perceptions, d’où l’éparpillement de la personnalité du narrateur-héros qui ne prend à aucun moment conscience de son moi profond, régi par la qualité, évoluant dans la continuité, mais quiévolue dans l’impuissance à en rendre compte, car perdu dans un récit et une méthode qui n’autorisent d’application qu’au moi superficiel, mondain, trop investi dans le décryptage de conventions sociales qui ne sont là que pour dissimuler ce qui ne relève déjà plus du moi profond62. Proust va ainsi à l’encontre des visées de Bergson63, lequel lui reproche de « tourner le dos à la durée vraie »64, au temps perçu comme indivisible dont le philosophe déplore que notre conscience n’en distingue de la succession d’un « avant » et un « après » juxtaposés65, phénomène conduisant l’homme à penser lui-même sa propre dissociation en concevant le temps à l’aune de cette analogie spatiale, et, conséquemment, à une cristallisation du mouvement dans l’idée d’aperception du changement.
Proust décline en effet dans le roman différentes manières d’appréhender la perception du temps dans l’art, et à aucun moment ne ressort la pure durée bergsonienne.
L’œuvre d’art doit ressembler à la vie, et la musique de Vinteuil n’est là que pour symboliser au mieux les « fragments disjoints » de ce volume ; réciproquement, cet art du temps, art du spectacle aussi qu’est la musique chez Proust s’insinue même lorsqu’il n’en parle pas, car le temps spatialisé par analogie est au fondement des interrogations du narrateur comme au cœur de l’esthétique – obligée par la génétique – de l’auteur.
Aussi est-il nécessaire de dépasser le Proust mélomane pour faire avec lui la synthèse des arts, et voir au-delà de l’art musical d’un Vinteuil, de sa responsabilité formelle dans le roman qu’accompagne son rôle primordial dans la dissertation sur l’esthétique, la jonction entre ces deux thématiques : l’interaction contradictoire entre une écriture fragmentée du temps et un souhait apparemment inverse, celui d’un artiste x, le héros-narrateur, qui observe ce vœu esthétique dans l’œuvre de Vinteuil, les grands littérateurs, Venise, mais encore chez l’écrivain Bergotte ou le peintre Elstir, et augure cette synthèse comme projet pour son œuvre future.
Et si architecture musicale il y avait véritablement dans La Recherche, il s’agirait bien plutôt de celle qui, précisément, lance le même débat sur la fragmentation, le temps-espace, la visualité du sonore et son appel à la synthèse des arts : ce que l’on a pu lire dans différentes dissertations ayant trait à l’œuvre de Vinteuil, quel que soit son auditeur (le narrateur, Swann ou les Cottard), et la signification même de l’œuvre du même compositeur qui se veut une synthèse de fragments.
Que cette durée était brève !66 s’exclame le parfaitement-antibergsonien narrateur, assistant à une représentation tant espérée de la Berma dans Phèdre. Car il aurait voulu, pour redécouvrir la beauté du texte, immobiliser chaque parcelle de la durée d’un mot, d’un geste de l’actrice, afin de descendre en eux aussi profondément que s’il avait disposé de longues heures. Mais à peine un son est-il reçu qu’il est aussitôt remplacé par un autre. L’art du temps n’est ainsi qu’une succession d’instants irrémédiablement perdus. Des durées juxtaposées dans un temps sécable donc, et non « passant », où l’intervention de la mémoire résiste à donner naissance à la durée. Ce qui fait défaut ici pour la compréhension de l’œuvre lors d’une première écoute, c’est effectivement la mémoire constate le narrateur67, mémoire infime, brève, incapable de fournir immédiatement le souvenir des impressions multiples suscitées par l’œuvre se déroulant dans le temps. Constatant l’impossibilité d’arrêter le temps, lassé de ne pouvoir atteindre la vision d’une réalité désirée qui ne relève pas de l’écoulement héraclitéen du temps, le narrateur éprouvera l’autre déception, celle de ne pouvoir abolir la distance à l’objet désiré qu’aurait du ou pu permettre l’addition d’un instrument d’optique – la lorgnette de Grand-mère –, inutile artifice visuel : il n’est pas de bonne distance, et il n’est de bon organe pour le plaisir esthétique que l’imagination68. « Tournant le dos à la durée » parce que sa conscience ne cherche qu’à la mesurer sans parvenir aucunement à se prendre elle-même comme objet, le narrateur devra donc accepter pleinement « ces tableaux successifs », ce « résultat fugitif », « le mobile chef-d’œuvre que l’art théâtral se proposait et que détruirait en voulant le fixer l’attention d’un auditeur trop épris »69, mais ce sera au prix d’une vision confuse en vertu d’une mémoire qui ne retient que trop peu, une nouvelle déception liée à un affaiblissement de l’impression initiale déjà entamée par cette lacune de mémorisation, augmentant l’effort nécessaire pour dégager la vérité du chef-d’œuvre70. Déçu de n’avoir pu immobiliser le temps comme de s’y abandonner sans condition dans une écoute a-structurée obérant l’intelligence panoramique, le narrateur, pour avoir ignoré le temps, apprendra à ressentir le plaisir esthétique de la réapparition ; car ce qui lui fait défaut, dans tous les cas, est cette mémoire, comme l’exprime Schönberg en termes semblables qui semblent décrire les incompétences du héros proustien se jugeant lui-même, et validant par là le projet esthétique du romancier qui, en retour, semble augurer les sociétés de concerts privés du compositeur : apprendre par la répétition même de l’œuvre71. Malgré tout, le héros n’aura retenu de la musique de Vinteuil que les parties les moins précieuses de l’univers d’un art temporel fragmenté par les lacunes que laissent entre elles les diverses auditions qui n’autorisent à la recomposer qu’en vertu d’une vague reconnaissance du semblable ; « Pour n’avoir pu aimer qu’en des temps successifs tout ce que m’apportait cette Sonate, je ne la possédai jamais tout entière : elle ressemblait à la vie. »72
Mais l’œuvre personnelle projetée par le narrateur devra pourtant permettre de déplier le successif dans sa totalité, surplomber et relier les époques traversées, avoir cette faculté qui montre une référence commune à Bergson : Egger, professeur de Proust à la Sorbonne, qui publie en 1896 un article73 auquel Matière et mémoire se réfère pour décrire les phénomènes de surgissement du passé intact, mais un passé qui ne soit pas un « panorama simultanéiste » des souvenirs ou un « présent perpétuel de la durée ». La fin du roman apportera la solution et l’ouverture à l’œuvre future grâce à un retour de la musique de Vinteuil : « elle ressemblait à la vie ». En effet, pleinement vécue et visible dans sa succession, la vraie vie, celle qui puisse être fixée dans une durée maîtrisée, le « temps incorporé », c’est la littérature.
La littérature, il en est précisément question avec l’autre artiste repère de La Recherche, autre que le musicien Vinteuil et le peintre Elstir. Bergotte l’écrivain parvient à opérer avec la durée une part de cette aptitude à l’immobilisation du mouvement que le narrateur tente d’approcher pour fonder sa propre création : Marcel aussi sera écrivain ; mais en attendant de pouvoir immobiliser mots et gestes, puis descendre dans les profondeurs de la durée, le spectacle de la Berma ne fait qu’accumuler à ses sens des durées « trop brèves » quand Bergotte possède en revanche ce don d’isoler des images fixes repérées dans les gestes de l’actrice, images que facilitent des références plastiques à la stèle funéraire d’Hégêso du cimetière de Céramique74. Est-ce là répondre à la fonction d’artiste que de posséder cette aptitude à voir et faire voir ce que nous n’apercevons pas naturellement75, alors que le plaisir esthétique éprouvé par Bergotte s’est détaché de l’écoulement du temps au profit d’une référence externe au temps héraclitéen, une association d’icônes originellement différentes fusionnées dans une contemplation analogique les immobilisant dans l’espace et dans le temps ? La Berma, d’incarnation vivante d’un flux de l’écrit devient, par l’immobilisation même du texte, une « citation-image » approximative laissant un vide « entre la référence, l’image mémorisée, et la vision immédiate »76. Cette faculté d’arrêter le mouvement pour en fixer un instant est la captation du « substrat immobile du mouvant », la cristallisation de la perception du mouvement, le septième argument de Zénon d’Élée : argument condamné par Bergson77 mais qui évoque aussi l’éternité de la contemplation, de l’émotion esthétique : un temps infini métaphoriquement spatialisé par la flèche immobilisée dans l’espace, qu’illustre la fin de l’acte II de Parsifal. Or cette métaphore n’est pas avancée dans les premières évocations de l’art proustien comparé à la construction wagnérienne, cette dernière n’étant pas encore considérée sous cet angle. Pourtant, en employant la modulation continue et le report de tonique, en évitant la symétrie tonale, en développant le Leitmotiv, l’opéra tardif de Wagner plonge volontairement l’œuvre dans un devenir irréversible, une forme d’inconclusion qui tend symboliquement à dissoudre le temps en procurant l’illusion d’échapper à son cours inexorable : s’installe une durée extatique, éternelle, hors du temps, là où le sujet s’efface, où sa mémoire se dissout dans la présence du plaisir esthétique tendu à l’infini. Il faudra alors relever que ce que l’on a pu lire de la propriété de réminiscence du Leitmotiv par rapport à celle de Proust tendait plus vers une comparaison structurelle que vers l’appréciation de ces propriétés mêmes de la réminiscence, propriétés recherchées dans l’entreprise wagnérienne : retrouver la perception première des choses, faire que la musique manifeste un contenu émotionnel non pas rappelé mais actualisé, revécu avec sa structure propre pour avoir cheminé de l’inconscient au conscient, ce dernier phénomène renforçant le processus de morcellement du temps si prégnant dans La Recherche. Ces moments de suspension du temps par la réactivation d’une impression apparaissent également au narrateur lors de ses ultimes contemplations prodiguées par l’être extra-temporel :instants de bonheur immobilisé dans la jonction entre passé et présent, moments qui sont la condition d’une nouvelle temporalité, joie qui provient d’un « élargissement » de l’esprit en qui se reforme et s’actualise le passé, ilsdonnent au narrateur « hélas ! momentanément, une valeur d’éternité »78 que l’acte d’écriture du grand-œuvre à venir, cette cathédrale littéraire dont il faudra assembler les pièces, inscrira dans la durée et les anneaux d’une métaphore. Ainsi, l’instant extatique et hors du temps est nécessaire à l’accomplissement d’un art du temps. Pour accomplir cela, le génie devra se retirer du monde après avoir approché le néant (dont parlait Swann) et craint la mort qu’il ne doit pas redouter ; il se retirera du monde après l’avoir observé en y déambulant passivement comme au temps du « temps perdu ».
Concernant Swann l’esthète, on ne peut dire que ce qu’il mobilise devant l’œuvre de Vinteuil réponde à l’appréhension de la pure durée bergsonienne. Aucune attitude d’aucun auditeur ou spectateur ne semble d’ailleurs apprivoiser cette dernière. En effet, malgré l’évanouissement incessant de la musique, malgré la liquidité et le son « fondu » des motifs qui disparaissent dès qu’ils apparaissent continuellement, l’amant d’Odette procède à « une transcription sommaire et provisoire, mais sur laquelle il avait jeté les yeux tandis que le morceau continuait, si bien que, quand la même impression était tout d’un coup revenue, elle n’était déjà plus insaisissable. Il s’en représentait l’étendue, les groupements symétriques, la graphie, la valeur expressive ; il avait devant lui cette chose qui n’est plus de la musique pure, qui est du dessin, de l’architecture, de la pensée, et qui permet de se rappeler la musique »79. « Immixtion de la terminologie spatiale » dans la musique, imputable à l’hégémonie de la vue sur l’ouïe, au comptage graphique, « aux artifices du papier réglé qui finissent par déloger les réalités acoustiques »80 dénonce Vladimir Jankélévitch, arguant que la musique est faite pour être entendue, « non point pour être lue »81 ; que le mouvement musical est irréversible contrairement aux trajets dans l’espace, mais aussi contrairement à l’idée de « volume » cher Proust82. Car pour l’écrivain, l’opposition romantique, goethéenne entre l’architecture qui n’existe que dans l’espace et la musique, uniquement conditionnée par la catégorie du temps, n’a pas cours : le narrateur associera son œuvre future tant à la construction musicale qu’architecturale83, une œuvre dont l’enjeu sera le lien entre les catégories du temps et de l’espace : ni musique ni architecture, ou plutôt et musique et architecture. Musique parce qu’elle synthétise ces impressions « inanalysables » et « inintellectuelles »84 ; architecture, parce que ce qui est indistinct et obscur en mémoire, doit devenir avec la recollection, une « éblouissante » architecture85. L’œuvre sera un livre, l’objet d’un art privilégié dont toutes les métaphores spatiales, dont les signes graphiques ne seront là que pour construire une écriture du temps et confirmer la dimension de celui-ci et sa supériorité sur l’espace, et ce par une inscription… que l’auteur n’a pu qu’avec difficulté se résoudre à définitivement fixer, sous formes de paperoles, cahiers et carnets, mais dont il concevait la diffusion par la simultanéité d’une œuvre totale et non la succession d’une œuvre fragmentée publiée dans divers journaux et revues86.
Il n’y a donc rien d’étonnant à ce que la critique ait d’un autre côté porté au jour le revers d’un tel souhait.
Art fragmentaire. Ainsi définit-on déjà l’art de Proust : du « regard à facettes» évoqué par son ami de lycée Fernand Gregh, à la comparaison au cubisme que seul Jacques Rivière ait avancée ; du romancier salué par les dadas, au romancier qui connaît et salue ses autres contemporains87 : Debussy, Richard Strauss, l’équipe des Ballets russes, impressionnistes, cubistes et futuristes88.
Ainsi condamne-t-on aussi l’art de Proust : sa phrase même, « morceau » dans lequel il place « son orgueil », « son amusement », sa « coquetterie » écrit Henri Ghéon89, un « orgueil » que Proust lui-même se reprochait du reste. La menace de la fragmentation est également perçue sous la forme des maximes présentes dans le roman90 ou parce que le désir d’une image totale déborde de toutes parts en une diversité de facettes pour se retrouver finalement à l’état d’inachèvement91.
Le réquisitoire unanime contre la fragmentation non unificatrice que dresse aussi Bergson – qui n’a de cesse de condamner le morcellement en art, la « mosaïque de cellules », l’acte « d’assembler les fragments d’une image déjà dessinée » décrit dans L’évolution créatrice92, présenté dans L’Energie spirituelle93 et dans La Pensée et le mouvant94–, Proust le partage avec la plupart de ses contemporains soupçonnés comme lui de pratiquer malgré tout un tel art : Henry James (admirateur de DuCôté de chez Swann) qui jette l’opprobre sur la composition fragmentaire parce qu’elle est synonyme de confusion95, Rodin, qui se défend d’avoir une conception fragmentaire contre l’avis d’Apollinaire dans ses Chroniques d’art de 1910, l’œuvre de Mahler, dont Schönberg prend la défense contre l’accusation de pot-pourri, Mahler lui-même, à l’encontre de Bruckner dont il qualifie l’œuvre de morceaux qui ne s’harmonisent pas entre eux. Interdit donc, puisque cette critique atteint ceux-là mêmes qui la formulent, et s’en défendent dans leur œuvre, notamment par l’idée du fragment unificateur, contre « la désinvolture en matière de connexions formelles », où « les sections individuelles sont simplement juxtaposées, sans être toujours articulées et sans que leurs relations mutuelles (qui peuvent d’ailleurs faire totalement défaut) soient mieux assurées que par de petits changements de forme »96, écrit Schönberg pour défendre Mahler, plaidoierie semblable à celle de Benjamin Crémieux, pour qui la fragmentation proustienne ne signifie pas une volonté d’émietter le livre, encore moins de diviser arbitrairement la durée, mais le désir d’étaler la pensée avec toutes ses ramifications97. Et la ramification suppose bien le lien entre toutes les composantes, ces scènes juxtaposées, ces vues fragmentaires et strictement focalisées, pour former un « volume » par ces trajets multiples et unificateurs. « L’antibergsonisme » du roman de Proust relève bien en effet d’une présentation d’un temps (raconté et du raconter) qui, jusqu’au Temps retrouvé, est conçu comme un ensemble dans lequel existent des vides, un ensemble « incomplet, où le nombre de vestiges subsistants est largement dépassé par celui des lacunes »98 ; position dont Proust s’accommode et fait un principe de son art99 malgré son dédain d’un « rafistolage » qui se ferait au détriment de la composition100. C’est donc très naturellement que la comparaison au cinématographe s’impose si l’on songe à la situation technique de ce dernier : « un kaléidoscope de fragments »101 qui cherche le montage, une marqueterie de plans fixes dont Proust n’a pas une expérience vive. Cependant, alors qu’il dénonce comme Bergson la conception d’un défilé cinématographique des choses dans le roman, n’oppose-t-il pas en définitive ce défilé du temps perdu au temps retrouvé qui reconstitue partiellement ces vues successives en les fixant, dans le temps du roman, en un seul instant ?
Ainsi rejoint-il par là la question de l’impossibilité d’un art de la pure durée, abondamment posée par les esthéticiens de la première moitié du xxe siècle concernant le temps musical ; à commencer par celui qui fait une apparition dans les manuscrits de La Recherche, Charles Koechlin102, lequel met en évidence la divisibilité incitant à considérer des juxtapositions de durées mesurables. Une quinzaine d’années plus tard Raymond Bayer103, pour qui les termes mêmes consistant à dire qu’il y a perception de la durée sont contradictoires puisque la durée s’entend comme durée du sujet percevant, demande à qualifier un art en tant qu’art du rythme et non en tant qu’art de la conscience pure ou de la durée. Ainsi le temps musical est une temporalité autonome initiée par un geste configurant, ignorant la subjectivité de l’interprétant, et soumettant, comme l’indique Schönberg, l’auditeur aux difficultés de perception des changements qui se présentent chez le compositeur « dans une succession plus rapide qu’il n’est habituel »104. Et si Gisèle Brelet dénonce les représentations spatiales du temps musical, elle tente de le circonscrire en marge des visées métaphysiques de Bergson et Schopenhauer : la « révolution atonale » étant consommée, la privation de finalité tonale provoque-t-elle statisme ou mobilité incessante ? Le statisme est-il contraire au temps musical105 ? Le recours à de nouvelles polarités, à une nouvelle organisation, pallie-t-il le statisme ou la mobilité ?Car avec Stravinsky (le génie de Stravinsky pour Proust), « la spatialisation devient absolue » écrit Adorno pour qui l’escamotage du temps-durée fut débuté avec Wagner et précisé avec Debussy106, son rejet de la symétrie et de la répétition à long terme au profit d’une duplication immédiate, l’atomisation mélodique, l’emprise de la couleur orchestrale sur le temps musical. Alors que Gisèle Brelet lit dans cet éternel présent de l’œuvre de Stravinski une délivrance à l’égard de la durée psychologique, un conscient consentement au temps107, Adorno y lit la préparation de la fin du bergsonisme musical et l’avènement du temps-espace108. Le temps-espace est également promu, selon lui, par le Schönberg de « l’après libre atonalité », qui va contre la « musique informelle » alors que la libre atonalité y tendait109, en ce que le dodécaphonisme, qui aliène le temps subjectif en produisant une temporalité irréversible qui n’adhère qu’au temps physique de l’écoute, brise la continuité, contracte la dimension temporelle grâce à un procédé qui, « en dehors de lui-même […], ne tolère rien sur quoi puisse s’essayer le développement »110. Or, le principe ne contredit pas la volonté d’unité qui, avec le sérialisme, est pensée « comme un fait, qui est immédiatement présent, même s’il est caché. Dans l’écriture thématique, par contre, l’unité se définit toujours comme quelque chose qui devient, et par là même se révèle. Cela implique, de part et d’autre, des positions différentes quant au dynamisme et au statisme. »111 Écriture thématique : tel est bien la conjonction d’un devenir et sa fixation sur le papier, conjonction qui détermine la musique comme processus. Il s’agit là pour Adorno de dégager l’antinomie que partagent littérature et musique (non improvisée) entre le dynamisme « liquide » induit par la continuité d’unités syntaxiques, la succession dans le temps d’éléments qui dépendent les uns des autres, et le statisme « solide » du système graphique, qui est un dynamisme fictif de l’œuvre construite112 que cristallise l’écrit, cette spatialisation qui en fait une apparence de réalité en devenir en convertissant la succession en simultanéité113. Cette antinomie ne doit pas fonder une temporalité qui séparerait son aspect synchronique de son aspect diachronique, isolerait l’« obligation de devenir » de la vision topologique du discours écrit. Elle ne concerne pas chez Proust les représentations de Swann soucieux d’un repérage visuel imaginaire dans une succession qu’il ne nie pas, mais elle apparaît avec la dialectique entre désir et réception du spectacle par le narrateur, entre l’attente du ravissement que son imagination nourrit en construisant une représentation intime du Phèdre de Racine, uniquement due à l’enthousiasme procuré par le statisme du livre ; et l’effondrement de cette attente dès l’instant où le narrateur est confronté à l’écoulement temporel durant le spectacle donné par la Berma.
L’imaginaire construit pour apprécier le futur spectacle, cette inconnue de la perception, est sans rapport avec les références statuaires d’un Bergotte car ces vers, le narrateur les connaît par la « reproduction en noir et blanc qu’en donnent les éditions imprimées » ; mais il attend du spectacle de les voir enfin baigner « dans l’atmosphère et l’ensoleillement de la voix dorée. Un Carpaccio à Venise, la Berma dans Phèdre, chefs-d’œuvre d’art pictural ou dramatique que le prestige qui s’attachait à eux rendait en moi si vivants, c’est-à-dire si indivisibles, que si j’avais été voir des Carpaccio dans une salle du Louvre ou la Berma dans quelque pièce dont je n’aurais jamais entendu parler, je n’aurais plus éprouvé le même étonnement délicieux d’avoir enfin les yeux ouverts devant l’objet inconcevable et unique de tant de milliers de mes rêves. »114 Si la reproduction des Titien des Frari ou des Carpaccio de San Giorgio dei Schavoni renvoient à leurs originaux, si Swann « devant » la Sonate de Vinteuil s’en imagine l’écriture, l’imaginaire sonore de l’objet graphique d’un texte théâtral est abordé en termes visuels : voir domine l’imagination jusqu’à définir les termes de la représentation de ce qui s’écoute. Ainsi, quand la voix d’Or de Sarah Bernhardt est d’une sonorité précieuse115, l’« ensoleillement de la voix dorée » de la Berma est une couleur lumineuse, métaphore de sa visibilité fantasmatique engendrée par l’incapacité du narrateur à dissocier la graphie de l’écoute et du spectacle visuel, sans qu’il n’y ait à aucun moment fusion des sens concernés. Ici aussi, l’art est fragmentaire : la représentation idéale du théâtre est élaborée à partir d’une dissociation disciplinaire strictement visuelle. Le désir inassouvi de fusion des sens tient donc son origine d’un souhait de fusion des arts. Les épisodes où s’immisce d’ailleurs la vision du sonore (couleur ou écrit) jalonnent le roman : de la petite phrase qui, à Swann, apparaît d’une couleur autre « dans le velouté d’une lumière interposée »116, à une autre phrase de la sonate (la blanche sonate) de Vinteuil dont la mémoire imprécise du narrateur l’a fait « errer de l’andante au finale » jusqu’au jour où la partition lui permet de « l’immobiliser » à sa place117, dans le scherzo ; ou bien encore, dans la même sonate, une mesure bien connue du héros le fait penser à Tristan, sur quoi il place alors la partition de ce dernier par-dessus celle de la sonate pour « mesurer » « une parenté, une ressemblance »118. Ce qui transparaît dans ces fragments, c’est que la fixité de l’image ou du texte, jointe à la liberté dans la lecture, bannit toute appréciation de la pure succession : le héros écoute comme il lit ou comme il contemple du regard. Mais le libre temps de la lecture ne se reformulera pour le narrateur qu’en un besoin de cristallisation de l’instant dans les œuvres d’art qui ne peuvent se définir que par la succession organique, du moins par la catégorie du temps « passant », d’où son échec à appréhender le concert ou le spectacle théâtral.
Proust touche ici une problématique qui intéresse certains de ses contemporains européens : ne pas dissocier la visualité de l’espace configurant du temps de l’écoute. Car il y a une parenté, en effet, dans cette hiérarchie imposée aux sens médiateurs de la connaissance, entre Proust, qui compare l’écoute des vers de Racine au plaisir de regarder des œuvres picturales (ou sculpturales), et Schönberg qui marque dans son approche de l’art une prééminence du voir sur l’entendre, que l’on peut relever dans la présence du regard119 dans les tableaux qu’il peint durant les années 1908-1910, Autoportrait, Regard ou Vision. On connaît l’attirance de Proust pour la peinture de Whistler, Turner et les impressionnistes, car la peinture est le terrain privilégié, avec la littérature, des débats sur le réalisme (on pense à L’Œuvre de Zola) et la notion de vision, corrélative à celle de style. Cependant, ces questions ne peuvent, précisément lorsqu’une notion telle que celle de la vision, partagée entre style et réalisme, est au cœur de deux arts, masquer la présence de cette même notion comprise comme style, et du style comme métaphore, laquelle porte si souvent la description de la musique comme texture et architecture dans La Recherche. De plus, les exemples contrecarrant le bergsonisme dans les épisodes où le héros confronte (temps de) la lecture de la graphie au (temps du) spectacle visuel sont là pour montrer que vision, espace et temps sont traités et combinés de façons complexes et variée, et se situent bien au centre des interrogations esthétiques de Proust – quand bien même cubisme et expressionnisme auraient une place mineure dans le roman – et de son esthétique propre.
Voir. Mais le voir de Schönberg ou de Proust ne se conçoit que dans cette dialectique entre embrassement de la totalité de l’objet, et invisibilité de cette globalité à celui qui l’admire, même si cet objet est la sonate de Vinteuil qui, une fois écoutée et pour n’avoir pu être aimée « qu’en des temps successifs », reste, telle que les personnages kaléidoscopiques du roman, « presque tout entière invisible comme un monument dont la distance ou la brume ne laissent apercevoir que de faibles parties »120. Se retrouve la nécessité de fixer l’art de la durée pour connaître l’illusion d’une unité immédiate que procurait le texte imprimé, de la même façon qu’Adorno envisageait l’unité du dodécaphonisme, même cachée. Cette unité qui apparaît au narrateur à la fin du roman est un sens trouvé aux signes, la résolution de l’énigme de la fragmentation de cette vie, émiettement soustrait par la somme des illuminations en un temps suspendu dans Le Temps retrouvé pour proposer à l’œuvre future d’« user par opposition à la psychologie plane dont on use d’ordinaire, d’une sorte de psychologie dans l’espace »121. L’écrivain formule ainsi le projet d’une métamorphose du temps linéaire en un « volume » littéraire qu’il faudra assembler pièce par pièce : une « cathédrale », ce monument paradigmatique d’une époque où l’art de la figuration est souvent synoptique, où la représentation des mystères déplie le successif dans sa totalité, où l’on embrasse « d’un coup d’œil toute une suite d’événements »122.
Un art synoptique qui garantisse les modalités de l’expérience temporelle, tel est aussi l’enjeu des spéculations de Schönberg à la suite de l’abandon, en 1907, de l’espace tonal. L’atonalité libre ne pouvant résoudre, sans lois, l’épuisement des ressources de la tonalité, il est impératif, pour construire le futur, d’apporter un nouveau système fondé sur une méthode puissante et une organisation rigoureuse mais égalitaire transformant en règles constructives un certain nombre d’interdictions. Les esquisses de 1914 pour Die Jakobsleiter, dont le texte emprunte une idée émise dans la nouvelle de Balzac Séraphîta, comportent un thème dans lequel figurent les douze sons déterminant le dodécaphonisme sériel : l’unité préalable – visible, lisible – qu’induit la série, s’inscrit dans un espace multidirectionnel qui « exige une perception absolue et unitaire. Dans cet espace, comme dans le ciel de Swedenborg décrit par Balzac dans Séraphîta, il n’y a ni haut ni bas, ni droite ni gauche, ni avant ni arrière absolus. Chaque configuration musicale, chaque mouvement de sons doit être avant tout compris comme une relation mutuelle entre sons, de nature oscillatoire, apparaissant en différents endroits et à différents moments. Pour la faculté imaginative et créatrice, ces relations dans la sphère matérielle sont aussi indépendantes des directions et des plans que peuvent l’être, pour nos facultés perceptives, les objets matériels dans leur propre sphère […]. Celles-ci demeurent une donnée intrinsèque. »123. Les rapports ainsi différemment éclairés, l’œuvre les dessine en un espace « non centré, ouvert »124, plutôt qu’un temps plan linéaire. Pour Schönberg écrit encore Christian Hauer, les années qui suivent 1907 marquent simultanément l’abandon de l’espace tonal parvenu à son point de rupture vis-à-vis des spéculations ancrées sur le chromatisme, et une avancée spirituelle permettant d’affronter une situation professionnelle et personnelle difficile. Le processus de l’Entrückung, de l’élévation, lui permet alors de se soustraire au monde terrestre, à toute force d’attraction, pour accéder au monde du Génie, d’essence mystique.
Cet univers qui implique l’isolement nécessaire à l’acte créateur, l’exil intérieur de l’artiste alors que la voie que doit prendre son œuvre lui est dissimulée, est aussi celui du héros proustien qui « dès demain » après LaRecherche se retirera pour débuter le roman caché par la mémoire incomplète, intermittente, empêchant l’identité entre passé et présent procurée par certaines sensations que seul l’art permet d’interpréter pour en rendre la vérité : les génies ne sont pas libres devant l’œuvre d’art, préexistante, nécessaire et cachée, qu’il faut, comme on le ferait d’une loi de nature, découvrir125. La génialité devient aussi le milieu privilégié pour pallier les situations délétères du moi, les schismes de l’identité personnelle divisée et malmenée par l’histoire (les échecs du cosmopolitisme) car dans son univers, le génie se retrouve libre de toute contingence et ne se doit d’obéir qu’à « ce que lui dicte sa « nécessité intérieure », il n’a pas à se poser de questions : ce qu’il fait – comme composer de la musique atonale –, il doit le faire, malgré les critiques et ses propres scrupules »126, « car, comme l’écrit Proust, l’artiste original, dans son besoin de dire strictement ce qu’il ressent, omet tous les poncifs qui existent à ce moment-là, et comme ses idées n’apparaissent pas encore, sa peinture, sa phrase, sa musique a l’air d’être écorchée vive et fait horreur. »127
Or l’œuvre, qui réalise sous sa forme concrète le don de l’idée initiale – qui se découvre comme l’écrit Proust –, émane de cette nécessité intérieure décrite depuis le romantisme comme la manifestation d’une force synthétique, l’inspiration : une union de l’action et de l’intuition, une synthèse du conscient et de l’inconscient ; une puissance, un instinct qui « dicte le devoir » quand « l’intelligence fournit des prétextes pour l’éluder »128. Cette faculté, l’écrivain en dégagera la matrice du roman sous la forme de parcelles involontairement unifiées augurant de l’œuvre de génie, une œuvre qui sera l’antithèse du temps perdu de la passivité et des interrogations du narrateur sur l’altération des êtres et des choses par le temps, leur engloutissement par l’oubli que Le temps retrouvé rachète par ces rares instants extatiques qui « dominent toute la vie »129, et dont il faut appréhender la fugitive essence pour les inscrire. La joie indicible et la pureté abstraite que prodigue la réminiscence, source d’inspiration, établit là sesrelations à la grâce chrétienne, car accéder à la génialité émane d’une même force que celle conduisant à l’extase mystique, conditions supposant l’élévation autant que le retrait du monde (aux deux sens du terme chez le narrateur). Ce profil du génie hérité du romantisme, le processus de l’Entrückung le rend à sa façon lors de cette quête d’une résolution à la période de crise traversée par Schönberg après 1907, période où la mystique puis le retour affirmé vers le judaïsme s’inscrivent dans le livret de Die Jakobsleiter, écrit de 1915 à 1917 : une ascension des âmes sur l’échelle de Jacob menant à la perfection spirituelle ; la pureté abstraite des illuminations du Temps retrouvé n'estd’ailleurs pas étrangère à un judaïsme crypté de Proust, qui attribue à la chrétienne cité des Doges, celle des Carpaccio, la splendeur de la lumière zoharique, symbole de sagesse et de rédemption auquel se réfère le Carnet de 1908130.
Le génie est une révélation, une surprise préparée, une énigme résolue. De même que des fragments perçus de réel auront traversé des époques et « des milieux différents sans s’y mêler »131, après avoir subi l’action oblitérante de l’oubli de réserve (ce souvenir parcellaire cloisonné et préservé qui montre la discontinuité du phénomène mémoriel) pour réapparaître comme en leur cadre originel et entraîner une intégralité, sous l’effet d’une analogie ; de même il faudra parvenir à ce qu’un fragment de texte se transforme par récitation associative132 en une masse romanesque133. L’instant d’inspiration repose alors sur le contraste provoqué par cette simultanéité entre des durées subjectives temporellement séparées mais qualitativement semblables, collision présent-passé qui ouvre l’extra-temporel, une globalité, vision absolue du créateur pourvu d’yeux qui voient plus loin que le présent, car « le génie, c’est notre futur »134, écrit Schönberg, lui seul possède cette faculté de pénétration qui lui permet de préparer un public « meilleur dont d’autre génies que lui bénéficieront »135 dit Proust pour qui cette « vision absolue », c’est le style136, dont le premier objet est la métaphore, cette concrétisation de l’analogue, l’auteur décrivant du reste un génie à La Recherche d’une œuvre qui écrira un temps immédiatement incorporé, et des métaphores « dans les anneaux d’un beau style », cette « vision transsubstantielle »137, car les yeux du génie voient aussi « plus loin que la matière »138.
Notes
2 André Pierrhal, « Sur la composition wagnérienne de l’œuvre de Proust », Revue de Genève, juin 1929.
3 Léon-Pierre Quint, « Le style de Marcel Proust », Études de Style, NRF, 1970, p. 473.
4 Juin 1913, La Correspondance de Marcel Proust (1880-1922), édition établie, annotée et présentée par Philippe Kolb, Paris, Plon, 1976-1993, t. XII, note 8, p. 215.
5 Marcel Proust, À la recherche du temps perdu, Paris, Gallimard coll. La Pléiade sous la direction de Jean-Yves Tadié, 1987. Édition en quatre volumes, notés ici en chiffres romains, précédés de RTP, suivis du numéro de page. RTP III, 665. RTP IV, 548.
6 RTP IV, 548. François Decarsin, La Musique, architecture du temps, Paris, L’Harmattan, 1999, p. 122.
7 François Decarsin, La Musique, architecture du temps, Paris, L’Harmattan, 1999, p. 122.
8 Dans le septuor de Vinteuil, la ressemblance entre le thème de l’adagio qui est bâti sur le même thème clef que le premier et le dernier morceau, mais tellement transformé par les différences de tonalité, de mesure, etc. que le public profane, s’il ouvre un ouvrage de Vinteuil, est étonné de voir qu’ils sont bâtis tous trois sur les quatre mêmes notes, quatre notes qu’il peut d’ailleurs jouer d'un doigt au piano sans retrouver aucun des trois morceaux », RTP III, 901s. RTP III, 7. On ne sait déterminer si Proust parle des Quatuors ou des passages de transition qui, comme au début de la 5ème Symphonie ou dans l’allegretto de la 7ème, préparent le retour du thème.
9 RTP III, 7. On ne sait déterminer si Proust parle des Quatuors ou des passages de transition qui, comme au début de la 5ème Symphonie ou dans l’allegretto de la 7ème, préparent le retour du thème.
10 RTP, IV, 82.
11 RTP I, 326.
12 Luc Fraisse, Le Processus de la création chez Marcel Proust. Le fragment expérimental, Paris, José Corti, 1988, p. 12.
13 Georges Matoré, Irène Mecz parlent de « parallélisme de technicité » et de « convergence dans l’adaptation » dans leur ouvrage Musique et structure romanesque dans la Recherche du temps perdu, Paris, Klincksieck, 1972, p. 246. François Decarsin, op. cit., p. 9.
14 François Decarsin, op. cit., p. 9.
15 RTP III, 760s.
16 Proust a également connaissance des mouvements contemporains dont il évalue avec une certaine hauteur de regard la continuité avec le passé, laquelle est parfois oubliée par ses contemporains qui font voisiner indistinctement des prédécesseurs lointains sans tenir compte de cette nécessaire distance temporelle qui les sépare les uns des autres. Cf. RTP I, 522 : « ce temps à venir, vraie perspective des chefs-d’œuvre, si n’en pas tenir compte est l’erreur des mauvais juges, en tenir compte est parfois le dangereux scrupule des bons. Sans doute, il est aisé de s’imaginer dans une illusion analogue à celle qui uniformise toutes choses à l’horizon, que toutes les révolutions qui ont eu lieu jusqu’ici dans la peinture ou la musique respectaient tout de même certaines règles et que ce qui est immédiatement devant nous, impressionnisme, recherche de la dissonance, emploi exclusif de la gamme chinoise, (p. 523) cubisme, futurisme, diffère outrageusement de ce qui a précédé. C’est que ce qui a précédé on le considère sans tenir compte qu’une longue assimilation l’a converti pour nous en matière variée sans doute, mais somme toute homogène, où Hugo voisine avec Molière. »
17 Cf. Esquisses, RTP I, 909-913.
18 Jouée par Enesco surtout ; cf. Cahier 2.
19 RTP I, 339 n1 (à Jacques de Lacretelle). Dans le Carnet 4, la « phrase de Schumann dans le Carnaval de Vienne » devient la phrase de Vinteuil, « la seule inconnue ».
20 Cahier 55, RTP III, 754s.
21 Carnet 4.
22 Carnet 3, RTP III, 758. Brouillon du Cahier 14 écrit vers 1910-1911.
23 Brouillon du Cahier 14 écrit vers 1910-1911.
24 N.A.F., 16734, cf. RTP I, 209.
25 Cahier 57, folio 31, recto, « Quelques-unes de ces études morceaux de Vinteuil devaient être assez anciennes et n’avaient pas la richesse de ce qu’il écrivit plus tard. [f°30v°] Pourtant déjà une même phrase ressemblant à celles de ses œuvres plus tardives passait et revenait dans telle de ses <premières> compositions, revenait plusieurs fois, mais chaque fois sur un rythme différent, avec ( ) un autre accompagnement, jamais tout à fait la même, comme reviennent les choses dans la vie », Karuyoschi Yoschikawa, « Vinteuil ou la genèse du Septuor », Cahiers Marcel Proust 9. Études proustiennes III, Paris, Gallimard, 1979, p. 289-322, p. 289-322, suivi d’une transcription de la génétique p. 322-347, ici p. 331s.
26 RTP III, 762, 877.
27 RTP III, 877.
28 Jean Milly, La Phrase de Proust, Paris, Larousse, 1975, p. 163.
29 RTP III, 209-212.
30 RTP I, 524. Les propos de Swann sur la sonate, adressés au héros, faussent la compréhension de ce dernier qui ne comprendra qu’une chose, ce qu’évoque la petite phrase à Swann (lieux, lumières…).
31 Écho du Carnet 2, f°19r°.
32 RTP I, 206.
33 RTP I, 215.
34 RTP I, 233.
35 RTP I, 339.
36 RTP I, 342.
37 RTP III, 665.
38 RTP III, 875.
39 RTP I, 521.
40 RTP III, 875.
41 RTP III, 876.
42 RTP I, 345.
43 RTP III, 765.
44 RTP III, 883.
45 RTP III, 883.
46 RTP III, 765.
47 RTP III, 876.
48 RTP III, 877.
49 RTP I, 521.
50 RTP III, 759.
51 RTP I, 521.
52 RTP III, 877.
53 RTP III, 876s, IV, 445.
54 RTP I, 210.
55 Almuth Grésillon, « Proust et l’écriture vagabonde. À propos de la genèse de la « matinée » dans La Prisonnière », Rainer Warning, Jean Milly, dir., Marcel Proust. Écrire sans fin, Paris, CNRS Éditions, 1996, p. 99-124.
56 Préface de R. Warning, in R. Warning, et J. Milly, dir., op. cit., p. 9.
57 RTP III, 666s. Cette analyse de la création littéraire est à rapprocher de celle qu’avaient tentée A. Binet et J. Passy, « Étude de psychologie sur les auteurs dramatiques », L’Année psychologique de 1894 (1ère année, publiée par H. Beaunis et A. Binet, avec la collaboration de Th. Ribot, Paris). La création littéraire y est abordée à partir d’entretiens avec des auteurs. Parmi eux, Alphonse Daudet, que Proust connaissait à cette époque, dit que l’auteur est dominé par une impression d’ensemble, qui peut se résumer à une phrase.
58 Marcel Proust, Contre Sainte-Beuve, Paris, Gallimard, 1954, préface de Bernard de Fallois ; Sainte-Beuve et Balzac, p. 213s.
59 RTP III, 674.
60 La mère de Proust et celle de l’épouse de Bergson étaient cousines.
61 RTP I, 181.
62 Cf. Jérôme Moreau, « Un certain égoïsme esthétique. Proust, Bergson et "moi" », disponible via http://www.parages.ens.fr/n5/519.html [Consulté le 11/09/2007].
63 Le philosophe et l’écrivain ne se sont que très peu rencontrés, ont peu correspondu, ne partageant pas, de fait, leurs avis divergents : Proust a lu moins d’un chapitre de Matière et mémoire, et simplement en vue de vérifier que les distinctions opérées par Bergson étaient pour la plupart différentes des siennes.
64 Henri Massis, Le Drame de Marcel Proust, réédité sous le titre D'André Gide à Marcel Proust, 1937 et 1948 ; cité in Jérôme Moreau, op. cit.
65 Henri Bergson, La Pensée et le mouvant, Genève, Albert Skira, 1946, p. 162.
66 RTP I, 440s.
67 RTP I, 520.
68 RTP IV, 450.
69 RTP II, 351s.
70 RTP III, 876.
71 Arnold Schoenberg, Le Style et l’idée, Paris, Buchet/Chastel, 1977, p. 85, trad., Christiane de Lisle.
72 RTP I, 521.
73 Victor Egger, « Le Moi des mourants », Revue philosophique, 1896, t. 42.
74 RTP I, 550.
75 Henri Bergson, La Pensée et le mouvant, p. 146.
76 Pedro Kadivar, MarcelProust ou esthétique de l’entre-deux. Poétique de la représentation dans À la recherche du temps perdu, Paris, L’Harmattan, 2004, p. 238.
77 Henri Bergson, op. cit., p. 153.
78 RTP IV, 613.
79 RTP I, 206.
80 Vladimir Jankélévitch, La Musique et l’ineffable, Paris, Seuil, 1983, p. 115 et suivantes. Makis Solomos note que cela est sans effet véritable sur ces dernières ; cf. « L’espace-son », L’espace : musique / philosophie, Paris, L’Harmattan, 1998, p. 216.
81 Vladimir Jankélévitch, op. cit., p. 115s.
82 Puis la musique deviendra autre chose pour Swann, un monde d’idées impénétrables à l’intelligence : la seule représentation sera l’idée du « clavier infini », une étendue inexplorée incommensurable apte à nous montrer les parties les plus obscures de notre âme, c’est-à-dire ce que nous prenons pour du vide, du néant, RTP I, 343s.
83 RTP IV, 610, 612, 618.
84 RTP III, 883.
85 À propos des « phrases inaperçues » dans la musique de Vinteuil, RTP III, 875.
86 Luc Fraisse, op.cit., p. 110.
87 RTP III, 140. Les ballets russes révélateurs « de Bakst, de Nijinski, de Benois, du génie de Stravinski » ; Proust écrit à Reynaldo Hahn en août 1912 : « Je ne me contrains pas d’aimer ce que vous n’aimez pas, Pelléas, Salomé » (Corr., t. XI, p. 191.)
88 RTP I, 522s : « Et pourtant ce temps à venir, vraie perspective des chefs-d’œuvre, si n’en pas tenir compte est l’erreur des mauvais juges, en tenir compte est parfois le dangereux scrupule des bons. Sans doute, il est aisé de s’imaginer dans une illusion analogue à celle qui uniformise toutes choses à l’horizon, que toutes les révolutions qui ont eu lieu jusqu’ici dans la peinture ou la musique respectaient tout de même certaines règles et que ce qui est immédiatement devant nous, impressionnisme, recherche de la dissonance, emploi exclusif de la gamme chinoise, cubisme, futurisme, diffère outrageusement de ce qui a précédé. C’est que ce qui a précédé on le considère sans tenir compte qu’une longue assimilation l’a converti pour nous en matière variée sans doute, mais somme toute homogène, où Hugo voisine avec Molière ».
89 Après la mi-juillet 1914 ; à propos de Du côté de chez Swann ; Corr., t. XIII, p. 262.
90 Benjamin Crémieux, en 1929, dit cela à propos d’Albertine disparue dans Du côté de Marcel Proust, Lemarget, 1929, p. 37 ; cf. L. Fraisse, op. cit., p. 101.
91 « À accumuler les facettes, on se condamne à l’inachèvement », écrit Maurice Bardèche sur les inédits de Proust, Marcel Proust romancier, les Sept Couleurs, 1971, t. I, p. 179.
92 Henri Bergson, L’Évolution créatrice, Paris, PUF, 1957, p. 91 et 363.
93 Henri Bergson, L’Énergie spirituelle, Paris, PUF, 1985, p. 56s.
94 Dans La Pensée et le mouvant, il s’agit du sujet « La perception du changement », p. 162ss.
95 Henry James, préface de L’Américain ; dans les préfaces de l’édition de New York (que Proust n’a probablement pas lues), parues de 1907 à 1909, traduites et réunies sous le titre La création littéraire, Denoël-Gonthier, 1980 ; voir p. 44.
96 Arnold Schönberg, op. cit., p. 361s.
97 xxe siècle (1ère série), N.R.F., 1924, pp. 91-92 ; cf. L. Fraisse, op. cit., p. 113.
98 Georges Poulet, L’Espace proustien, Paris, Gallimard, 1982, p. 52.
99 Id., p. 10.
100 Printemps 1921, Lettres à la NRF, p. 154.
101 Cubisme et littérature, Europe, juin-juillet 1982, n°638-639, p. 89, in L. Fraisse, op. cit., p. 197.
102 Le Temps et la musique, 1926.
103 Raymond Bayer, « L’esthétique de Bergson ». Études bergsoniennes. Hommage à Henri Bergson, PUF, 1942. Dans le bergsonisme, les horizons de l’art et de la philosophie sont de restituer une perception pure du monde ; ainsi, écrit Bayer, chez Bergson, « la perception est esthétique de la même manière qu’elle est réelle », cf. Jérôme Moreau, op. cit.
104 Arnold Schönberg, op. cit., p. 185.
105 Gisèle Brelet, Le Temps musical, Paris, PUF, 1949, p. 253.
106 Theodor W. Adorno, Philosophie de la nouvelle musique, Paris, Gallimard, 1962, p. 197, tr. H. Hildenbrand et A. Lindenberg.
107 Gisèle Brelet, op. cit., p. 688.
108 Theodor W. Adorno, op. cit., p. 197.
109 Theodor W. Adorno, Quasi una fantasia, tr. J.-L. Leleu et O. Hansen-Love, Paris, Gallimard, 1982,p. 296s.
110 Theodor W. Adorno, Philosophie de la nouvelle musique, p. 198s.
111 Theodor W. Adorno, Quasi una fantasia, p. 315.
112 Theodor W. Adorno, Théorie esthétique, tr. M. Jimenez, Paris, Klincksieck, 1995, p. 308.
113 Theodor W. Adorno, Quasi una fantasia, p. 315.
114 RTP I, 432s.
115 RTP I, 198.
116 RTP I, 215.
117 « […] de même le grain de beauté [d’Albertine] que je m’étais rappelé tantôt sur la joue, tantôt sur le menton, s’arrêta à jamais sur la lèvre supérieure au-dessous du nez », RTP II, 232.
118 RTP III, 664.
119 Consulter de Jean-Marc Chouvel, « Regard sur le Regard : naissance et au-delà de la modernité », "C’est ainsi que l’on crée…". À propos de La Main heureuse d’Arnold Schoenberg, Joëlle Caullier éd.,Villeneuve d’Ascq, P.U. du Septentrion, 2003, p. 155-168.
120 RTP I, 521.
121 RTP IV, 608.
122 Émile Mâle, L’Art religieux au xiiie siècle, E. Leroux, 1898, p. 325, ouvrage que lit Proust.
123 Arnold Schönberg, op.cit., p. 170.
124 Christian Hauer, « De la tonalité à la “série miraculeuse” : espaces musicaux, ou : de l’identité narrative de Schönberg », L’Espace : musique / philosophie, p. 259. Lire du même auteur « La Main heureuse, – musique, couleurs, texte : la difficile quête de l’Entrückung », "C’est ainsi que l’on crée…". À propos de La Main heureuse d’Arnold Schoenberg, op. cit., p. 33-63.
125 RTP IV, 459.
126 Christian Hauer, « De la tonalité à la “série miraculeuse” : espaces musicaux, ou : de l’identité narrative de Schönberg », p. 258.
127 RTP I, notes et variantes pour la p. 210 (p. 1203).
128 RTP IV, 458.
129 Carnet de 1908, établi et présenté par Philippe Kolb, Paris, Gallimard, 1976, Cahiers Marcel Proust, nouvelle série, n°8, p. 124s.
130 Le Carnet de 1908, texte établi et présenté par Philippe Kolb, Cahiers Marcel Proust, Gallimard, 1976, p. 102.
131 Cahier 58, v°16-v°17.
132 Anne Henry, Proust romancier, le tombeau égyptien, Paris, Flammarion, 1983, p. 73. Luc Fraisse, op.cit., p. 143.
133 Luc Fraisse, op.cit., p. 143.
134 Arnold Schönberg, op.cit., p. 369.
135 RTP I, 522.
136 Cette idée du style comme vision absolue, Proust la connaît aussi de Flaubert.
137 Julia Kristeva, Le Temps sensible, Paris, Gallimard, 1994, p. 541.
138 Arnold Schönberg, op.cit., p. 369.