Varia
Le plus court chemin d’un raccourci à l’autre : l’ellipse dans le cinéma de Park Chan-wook
Résumé
Cet article s’intéresse à la situation esthétique et narrative de l’ellipse dans le cinéma contemporain du réalisateur coréen Park Chan-wook, et en particulier dans Sympathy for Mr. Vengeance et Oldboy. Le cinéma parkien, au-delà de son outrance, du trop montré, s’offre ainsi à un rapport doublement original à l’ellipse : d’abord comme point axial de l’armature du récit, comme « poutre fantomale » porteuse de la charpente narrative ; puis comme matière même du film, comme sujet « charnu » de l’intrigue. Notre démarche se proposera également d’adjoindre à l’analyse de plusieurs séquences, à la fois spécifiques et représentatives, une mise en perspective ponctuelle de l’ellipse parkienne dans l’horizon de la tradition de l’art coréen, tant du point de vue de la peinture (et, plus particulièrement, du peintre de genre Kim Hong-do) que de la poésie (le sijo).
Texte intégral
« Ellipse », du grec elleipsis : le manque, le trou, la vacance, le défectueux – par opposition à l’hyperbole, l’hyper-ballein, le jeter-au-delà, l’excessif, l’emphatique. Un style elliptique est, sur le plan rhétorique, un mode d’écriture qui laisse des béances, qui se démarque de la monstration, dans et par le récit, de tous les éléments de l’intrigue. Faire une ellipse revient à passer des passages, c’est le « passage-passoire » où la narration se dérobe à sa propre lisibilité. C’est, pour reprendre l’expression de Gérard Genette, « un segment nul de récit correspond[ant] à une durée quelconque d’histoire »2. Soit un degré zéro du récit alors que l’intrigue continue de progresser.
Avant d’être une figure de style mise en avant comme un signe de manifestation de l’activité artistique et de « l’esprit de finesse » (évoquant la manipulation, l’élégance et la subtilité de l’implicite), l’ellipse fut longtemps tenue pour ce que l’humaniste nurembergeois Ioannes Rivius désignait, dans le livre ii du De Rhetorica de 1548, sous le nom de « vitium orationis » : un travers de l’expression. À la suite de Quintillien qui rangeait la « synecdoque » dans la catégorie des solécismes, des emplois fautifs de la syntaxe (voir l’Institution oratoire), ce dernier considérait l’ellipse, en effet, comme un manquement à la clarté et à la correction de la langue. Elle est une lacune, une déficience, un déficit de représentation que seuls l’usage, et la bienveillance, peuvent, chez le lecteur attentif et régulier, parvenir à combler. Pour un poète humaniste comme Henri Glareanus, l’ellipse, figure in absentia, ne le cédait qu’à l’énigme dans l’ordre de l’obscurité3. Elle est un écart grammatical, un chemin ténébreux, un raccourci qui serpente et désoriente. Elle est associée à l’expression orale quotidienne, rapide, qui recherche l’efficacité par l’économie de moyens (la compréhension pour l’action) et que les gestes peuvent, le cas échéant, venir relever, que la chair peut résoudre. « L’ellipse a souvent été réputée représenter un état “naturel” de la langue : ce serait un mode “normal” de la parole, dans la prononciation, dans la syntaxe, dans le rêve, dans le langage enfantin. »4 Et voici que la lecture de Barthes, soudain, nous reconduit, prolongée, à la Renaissance, à Pierre Fabri, curé de Meray, auteur en 1521 d’un Grand et Vray Art de pleine rhétorique : n’est-ce pas laisser entendre par là que le langage écrit et savant ne peut aller de pair qu’avec la plénitude ?
Mais, d’autre part, le refus de l’ellipse est le marqueur d’un fantasme du discours plein, d’une obsession de la totalité écrite (et pensée), qui risque à chaque instant d’engager le texte dans l’opacité5. L’ellipse est narrativement nécessaire. Et cette nécessité est celle de la rhétorique cinématographique : ainsi l’aspect resserré du temps de l’énonciation, qui ne peut, sans dommage pour l’œuvre et sa recevabilité, excéder une certaine durée « acceptable » (la projection est continue et linéaire6 ; le spectateur est soumis à des impératifs physiques ou physiologiques, professionnels, etc.). Hormis dans certains horizons isochroniques, plus ou moins techniques et rigoureusement respectés, où la durée diégétique « s’adapte » à la durée de la narration (High Noon, The Gunfighter, The Set-Up), l’ellipse est une figure stylistique cinématographique inévitable. Elle devient alors une microstructure de la construction du récit cinématographique permettant au spectateur d’échapper à la narration en temps réel (rythme ordinaire, « temps morts », ennui), c’est-à-dire rendant possible la fabulation (en ménageant, en aménageant un espace indéterminé laissé au spectateur) ; ou évite au réalisateur d’avoir à se subordonner aux possibilités empiriques – contingentes et indéfiniment variables – d’un spectateur putatif et inconnu7.
Mais surtout, l’ellipse, l’aposopièse, l’abréviation de la langue, peut dire par la suppression et la suspension. Avatar ultime de la litote8, elle permet de signifier en ne disant plus du tout. Elle retire le signifiant pour porter le signifié à l’exposant, sinon à l’exposition. L’ellipse n’est pas seulement grammaticale (l’asyndète, la métaphore), ni même uniquement rhétorique (la métonymie), elle est narrative, elle porte non sur les mots, mais sur des choses.
I)
De l’aveu même de Park Chan-wook, son cinéma est fortement elliptique :
« J’aime bien montrer en détail ce que les autres ignoreraient et éluder des choses auxquelles ils porteraient une attention méticuleuse. »9
S’élabore effectivement dans ses films une dialectique visuelle entre un style volontiers sur-monstratif : l’exubérance de la violence (tendons tranchés, dents arrachées, langue sectionnée), le soin accordé aux choix vestimentaires et aux décorations d’intérieur (l’appartement de Bae Doo-na dans Mr. Vengeance, la cellule de Choi Min-sik dans Oldboy), l’objectif grand angle qui permet de filmer la combinatoire des différents éléments actantiels plus minutieusement (la scène de la noyade de Yu-sun dans Mr. Vengeance) ; et, d’autre part, un art narratif proche de l’apocope séquentielle, de labrèche inter-scénique. Plein des plans ; vide entre les plans. Le cinéma de Park est moins anatomique par son aspect organique (la couleur vert pourriture, l’éviscération, la mutilation et l’automutilation) que par son dispositif articulatoire. De nombreuses fins de séquence y fonctionnent, pour utiliser un vocabulaire de l’ossature, commedes glènes absentes vers la séquence suivante. Deux exemples parmi d’autres. Dans Oldboy (id., 2003), le raccord du segment de la recherche informatique de l’identité d’ « Evergreen » à celui de l’arrivée de Oh Dae-soo et Mido au collège catholique Evergreen se fait par un fondu enchaîné sur la voiture du film publicitaire Internet de l’institut qui s’avère, dans le segment suivant, être celle-là même qui les transporte jusqu’à l’établissement scolaire. Dans Sympathy for Mr. Vengeance (Boksuneun naui geot, 2002), Young-mi ouvre la porte à celui qu’elle prend pour le livreur à domicile qu’elle vient d’appeler ; elle quitte par la gauche le champ du salon où elle lisait et l’ouverture a lieu hors-champ (Fig. 1 et 2). Le raccord vers la suite de la séquence se fait alors sur son visage tuméfié par la torture (Fig. 3), qui a moins eu lieu hors-champ (comme l’ouverture de la porte) qu’elle n’a pris « place » hors-récit, dans la « continuité discontinue » introduite par l’ellipse (ouverture, reconnaissance, agression par l’agresseur et passage à tabac).
Il ne s’agit pas de pudeur (la suite du film nous montrera bien pire) ; l’ellipse n’est pas mise en place pour retenir (un contenu) mais elle cimente, formellement, le récit. On pourrait utilement, et rapidement, comparer le geste parkien d’élision séquentielle de la pièce médiane avec l’éviction de la centralité du motif telle qu’on la trouve exemplairement chez un peintre de genre comme Kim Hong-do (1745-c. 1815), représentant majeur du pungsokhwa de la fin de l’ère choson (1392-1908). Dans Vol de grue ou Bambou avec tigre, par exemple, il serait sans grand intérêt de se rapporter à la toponymie des oeuvres pour y faire correspondre, sur le mode descriptif, la représentation graphique qui leur est associée. Ainsi, dans le rouleau sur soie Bambou avec tigre (peint en collaboration avec Lim Hee-chi), où le bambou occupe le haut du rouleau, et le tigre le bas, il s’agit moins de sanctionner une liaison visible que de la faire exister (dans l’esprit du spectateur) en dehors du visible, tant les deux éléments du rapport sont distants l’un de l’autre ; à quoi il faut ajouter une « désorientation picturale » primitive due à la priorité onomastique du bambou là où le tigre est la figure visuelle dominante (« tassant » la verticalité du tableau – doublée de celle du bambou se dressant, d’ailleurs courbé dans ses retombées feuillues – vers le sol). Le procédé est identique dans Vol de grue, où l’oiseau est « décadré » sur la gauche et cède la position directrice du dessin à un arbre central (absent du titre). L’arbre est l’emplacement d’où l’oiseau s’est manifestement envolé. De cela, nous ne pouvons rien savoir avec certitude : ni par l’image ni par le texte. Pour reprendre une formule de Brecht à propos de la peinture chinoise, le peintre peint à côté (du sujet central, du titre). À la suite de Kim Hong-do, et étendant dans le temps la décentration d’une image à l’autre, Park Chan-wook va pareillement insister sur la représentation des bords, sur la seule occurrence (ou visibilité) des bribes marginales, des termini scéniques et narratifs.
Mr. Vengeance est formé de deux parties : deux vengeances également compréhensibles mais incompatibles, et entre lesquelles le spectateur, ne pouvant stipuler la « bonne », ne peut choisir. Dans la première, un ouvrier sourd-muet aux cheveux verts, Ryu (Shin Ha-kyun), et une activiste de gauche, Young-mi (Bae Doo-na), enlèvent la fillette d’un industriel, Park Dong-jin (Song Kang-ho), pour obtenir l’argent nécessaire à l’opération de la sœur malade de Ryu. Cette dernière se suicidera en apprenant l’acte de son frère et la fillette enlevée se noiera par accident. Dans la seconde partie, Dong-jin va se venger de Ryu et de Young-mi, tandis que Ryu va, parallèlement, s’en prendre aux trafiquants d’organes que, par lâcheté, il tient pour responsables de son destin tragique (ils l’avaient initialement arnaqué et dépouillé d’un argent qui aurait pu sauver la malade). Les deux hommes, avant de se faire face, rompront progressivement avec leur humanité (Park électrocuteYoung-mi impassiblement, Ryu urine dans sa voiture) et s’enfonceront dans l’instinct nocturne de l’animal ; loi du talion : Ryu dévorera les reins des trafiquants après les avoir massacrés ; Dong-jin tranchera les talons d’Achille de Ryu ligoté dans la rivière où son enfant est morte. Représentative de l’ellipse parkienne est la transition entre ces deux parties : contre-plongée sur Ryu qui vient de sortir la fillette de l’eau et la regarde, déposée sur la berge (Fig. 4) ; plongée sur le corps de la fillette (Fig. 5) ; contre-plongée sur Dong-ji en contre-champ triangulaire, qui, accompagné de la police, vient de découvrir le cadavre abandonné de sa fille (Fig. 6). Entre les deux, plusieurs heures, sinon quelques jours.
La séquence de la rencontre entre Ryu et les trafiquants d’organes me semble particulièrement significative du mouvement parkien. Elle est composée de trois scènes et deux plans de transition. La première scène, très picturalisée, commence par un plan pris en plongée du toit d’un bâtiment désaffecté où une voiture, transportant Ryu, arrive10. Puis quatre plans où Ryu est conduit par deux trafiquants jusqu’au dernier étage de l’immeuble (d’où pourrait avoir été prise la plongée initiale) : chaque plan est à contre-jour, filmé de l’intérieur d’un couloir où la caméra enregistre le passage surcadré des trois hommes sur l’escalier extérieur qui se trouve devant l’ouverture en bout de couloir ; à chaque étage on régresse dans l’échelle des plans. Les trois hommes débouchent du corridor sur une sorte de parking désaffecté (un plan). Vient ensuite la première « conversation » entre Ryu et la chef des trafiquants (6 plans). Un fondu au noir clôt la scène et est suivi de deux plans de transition : le premier montre Ryu assis au bord d’une fenêtre, le second couché dans son lit, le regard fixe. Deuxième scène, retour sur le parking. Ryu a accepté le marché : 10 millions de wons et l’un de ses reins contre un rein compatible pour sa sœur. Cette seconde « conversation » comporte 8 plans (6 + 1 insert dans le dernier plan), réutilise les mêmes cadrages de type « Ozu » sur la ligne des 180° que la première et se termine par un fondu au noir identique. Troisième scène : Ryu, nu étendu, se réveille de son opération sur le sol du parking. Un rein lui a été prélevé : il ne trouve pas l’autre rein promis à côté de lui, les trafiquants ont disparu (4 plans). Cette scène, comme la première, est fortement travaillée sur le plan visuel et géométrisée (plan incliné à 90°, travelling arrière tremblant).
Chacune des deux césures signale une ellipse : le premier fondu et les deux plans de transition, puis le second fondu. Dans la première, Ryu, avant de rentrer chez lui et de se décider, et parce qu’il est muet, doit convenir d’une seconde entrevue avec les malfaiteurs. Dans la seconde, il est opéré. Ces moments diégétiques, non pris en charge par le récit de manière explicite, « fonctionnent » dans un système d’écho avec plusieurs motifs des scènes visibles, effet révélateur de la subtilité de l’écriture parkienne. On parlera ici de renvoi fantomal. Les deux plans de transition nous donnent à voir l’air songeur de Ryu : il est un homme qui réfléchit et ce à quoi il réfléchit l’empêche de dormir. La fin de la deuxième scène, avant l’opération « fondue », se termine par un plan de Ryu injectant une dose de morphine à la vieille femme « accro » (Fig. 7-9), inversion déjà du futur non-vu (l’opération) où ce sera lui, à son tour, qui offrira son bras à la seringue des trafiquants.
Ajoutons à cela les citations d’une scène à l’autre (au début de la troisième scène, Fig. 9, il est couché comme il était couché dans le second plan de transition antérieur), ainsi que le recours à des angles de prise de vue similaires, et l’ensemble de la séquence apparaît comme étant élaboré en rhizome narratif tressé de vide et d’enjambements, où le visible, et le vu, s’accrochent à l’ellipse. L’ellipse est moins une soustraction narrative dans un récit déjà constitué qu’elle ne devient l’armature même autour de laquelle l’acte (l’entéléchie) du récit s’organise. « L’harmonie naît au souffle du vide médian. »11 Et l’on pourrait dire de nombreuses séquences parkiennes ce que Barthes écrivait à propos de Tokyo :
« La ville dont je parle (Tokyo) présente ce paradoxe précieux : elle possède bien un centre, mais ce centre est vide. Toute la ville tourne autour d’un lieu à la fois interdit et indifférent, demeure masquée sous la verdure, défendue par des fossés d’eau, habitée par un empereur qu’on ne voit jamais, c’est-à-dire à la lettre, par on ne sait qui. [...] De cette manière, nous dit-on, l’imaginaire se déploie circulairement, par détours et retours, le long d’un sujet vide. »12
II)
L’ellipse est même, en un sens, le motif fondamental, l’unique matériau du cinéma de Park Chan-wook. Park filme, appropriant structure du récit et contenu de la narration, l’ellipse devenue matière, l’éclipse rendue au « visible ». Qu’est-ce que le kidnapping (dans Mr. Vengeance, dans Oldboy) sinon l’élision, la disparition (là)/réapparition (ici), le passage de l’un à l’autre ? Dans Oldboy, l’aphérèse est telle que Oh Dae-soo, une fois sorti de la chambre où il était séquestré, ne se pose jamais la bonne question liminaire (comme le lui révélera finalement Lee Woo-jin) : non pas « Pourquoi ai-je été enfermé pendant quinze ans ? » mais « Pourquoi ai-je été libéré ? ». Il est privé du signifiant explicite (et correctement explicatif), et fait donc fausse piste jusqu’au bout, et la vengeance réside moins dans l’emprisonnement de Oh que dans ce qu’il fera lui-même après sa « délivrance »13.
Dès le premier film de Park en 1992, The Moon... Is the Sun’s Dream, dans lequel le demi-frère gangster d’un photographe escamote l’argent et la petite amie de son patron, le thème de l’éviction, de l’élimination (du propriétaire de l’argent, du rival sentimental), est posé. En 1997, Trio, son second long métrage, quoique relevant du genre comique, s’appuie sur le même principe du « délestage ontique » : le trio du titre est composé d’un saxophoniste qui vend son instrument, d’un combattant orphelin et d’une nonne qui veut récupérer son enfant. Et, comme le petit truand de The Moon, ces trois personnages n’auront de cesse, par tous les moyens, de trouver l’argent dont ils manquent. Trois ans plus tard, les deux soldats nord-coréens de Joint Security Area (Gongdong gyeongbi guyeok JSA, 2000), seront retrouvés assassinés dans la zone démilitarisée entre la Corée du Nord et la Corée du Sud. Un soldat sud-coréen est soupçonné du double meurtre, mais 16 balles sont impliquées dans le carnage (5 tirées et 11 restant dans l’arme), alors que le chargeur de son revolver ne peut en comporter, tout au plus, que 15. Une balle de trop = un tireur en moins. Il semble donc qu’un autre homme ait été sur les lieux du crime. C’est, du moins, la première hypothèse de l’équipe helvéto-suédoise chargée de l’enquête. La D.M.Z. joue, à son tour, comme un lieu de « disparition » (ici de mort) conforme à sa vocation de passage retenu dans son être-passant, de chemin filtré, bloqué. Et dans cette zone, n’y a-t-il pas quelqu’un qui était « de passage » et qui n’aurait pas dû y être, qui aurait dû en être absent ?Le « pont de non-retour » n’est-il pas le passage où l’on ne re-passe pas, dont on ne revient pas ? Le film est, fait unique chez Park, construit autour d’un complexe rémanent et refluant de flash-back pour retrouver l’instant manquant, la vérité dérobée, l’indice elliptique, le point aveugle du récit14.
De même, la fin de Oldboy consiste en un effacement de la vérité, une érosion de la mémoire par l’hypnose, c’est-à-dire un vide de conscience qui annule la vengeance (Lee Woo-jin a amené Oh Dae-soo à coucher, sans le savoir, avec sa propre fille Mido) tout en la rendant inévitable (Dae-soo, après avoir appris la vérité de la bouche de Woo-jin, demande à une hypnotiseuse de l’aider à perdre ses souvenirs, et retourne donc dans les bras de Mido – qui, pour sa part, ignore tout). Le réel n’existe pas en dehors de la conscience que l’on en a. Ainsi l’ellipse, non seulement est l’armature du récit, mais elle également le point focal de l’intrigue. L’hypnotiseuse soulage Oh Dae-soo en lui faisant revivre autrement la fin de la (longue) séquence précédente, paroxystique, de son affrontement avec Lee Woo-jin. Or, cette fin, le spectateur n’en a eu aucune connaissance. Lorsque la caméra suit Lee quittant son appartement pour rejoindre l’ascenseur où il se suicidera, elle laisse Oh, à demi fou, la langue tranchée, « pire qu’une bête », véritable déchet humain, à même le sol de l’appartement de son persécuteur. Après la mort de Lee, elle « rejoint » Oh et la femme dans un paysage enneigé. Nous n’avons jamais vu Oh sortir de chez Lee. En un sens, c’est précisément parce que nous ne l’avons pas vu que le discours de l’hypnotiseuse, qui vise à altérer dans l’esprit de Oh le souvenir de ce moment, rencontre chez le spectateur une bienveillance de crédibilité. La fin imaginaire – un « second » Oh, celui qui connaît le secret, « s’extraie » de Oh – remplace, sans heurt ni désaccord textuel, la fin de la scène élimée par le récit.
À ce titre, Park Chan-wook n’est pas le seul cinéaste asiatique à travailler les modalités rétractiles de la narration. On pourrait encore songer, chez ses contemporains, à la fragmentation chez Hong Sang-soo (Le Pouvoir de la province de Kangwon, La Femme est l’avenir de l’homme) ou au non-dit chez Hou Hsiao-hsien (Café lumière), et la caractérisation de leur usage de l’ellipse pourrait justifier l’entreprise d’un travail de plus grande ampleur. La structure même des langues extrême-orientales, leur caractère monosyllabique, leur idéographie épurée, les jettent, par vocation, dans l’ébréché, dans la pulvérisation, dans l’éclatement, dans la fissure, dans la forme vidée dont le vide est, finalement, l’unique occupation. L’idéogramme n’est pas simplement un tracé, un gramma, de l’eidos, de la forme/idée, il n’est qu’une idée de tracé : son essence est l’entrelacement fantomal. Le cinéma parkien fonctionne comme un gigantesque idéogramme, à l’intérieur duquel, conformément au yin/yang ancestral, c’est le vide, et non le plein tracé, « qui permet la mutation tout en étant lui-même ce qui ne change pas [...] alors que toute chose arrivée au “plein” se durcit et dépérit »15, c’est le vide qui est source de l’être ; c’est le vide, le ji ancestral du Livre des mutations, « l’infime amorce » « où le non-être se cristallise en être »16. Le cinéma de Park est un cinéma du ji : il amorce, et aboutit pratiquement sans (s’)exposer.
En ce sens, il s’inscrit directement dans l’héritage du retrait de l’exposé tel qu’on peut également, par exemple, le rencontrer dans la poésie coréenne classique. Laissant une large part à l’improvisation, le sijo peut s’apparenter au haïku japonais par sa codification (souple) et sa densité littéraire17 :
« S’élever aussi haut que soit la montagne – simple monticule sous le ciel.
Monter et monter : ne jamais pouvoir atteindre le sommet.
Qui ne tente pas l'ascension se plaint que la montagne est trop haute. »
La construction de ce poème de Yang Sah-uhn (1517-1584) est significative de l’aphérèse poétique du sijo. Ainsi chaque vers s’inscrit-il dans une solution de continuitéavec le ou les précédent(s). Nommons, par exemple, (a), (b) et (c) les trois vers. Le vers (a) est porteur d’une certaine signification que l’on peut résumer de la manière suivante : (a) = la hauteur de la montagne n’est rien en comparaison de l’immensité du ciel. En revanche, le vers (b) introduit un nouveau sens : (b) = la hauteur de la montagne est telle qu’on peut monter indéfiniment sans arriver au sommet. Autrement dit, les deux vers (a) et (b) sont contradictoires : (a) = la hauteur de la montagne n’est que petitesse ; (b) = cette petitesse est une hauteur inatteignable. Le passage du vers (a) au vers (b) ne se peut faire qu’au prix d’une asyndète rhétorique (« mais », « cependant », etc.) qui rend possibles l’oxymoron poétique et la sagesse (cachée) qui lui est inhérente : « la vraie hauteur ne se mesure pas à la taille ». Envisageons désormais le vers (c). Il est traduisible ainsi : (c) = d’en bas la montagne est haute, ou éventuellement, selon que l’on inverse la cause et l’effet, (c’) = qui trouve la montagne haute reste en bas. On voit donc que l’on revient à l’idée objective de hauteur (= haute) présente dans le vers (a), et avec laquelle le vers (b) (haut = petit) avait rompu. Qui plus est, ce vers s’inscrit en contradiction avec la focalisation commune aux vers (a) et (b) écrits du point de vue du monteur, c’est-à-dire de celui qui prend de la hauteur. On revient in fine au bas, d’où l’on est censé être parti, d’où l’on s’est extrait, dès avant le début du sijo (« s’élever, etc. ») et où l’on (re)tourne comme par un effet de ritournelle déniant : là encore, le passage du regard du grimpeur à celui du spectateur qui le regarde est possible par une ellipse, une sorte de « faux raccord » de la narration.
Le cinéma de Park Chan-wook progresse narrativement, ou discursivement, par un procédé similaire. J’en prendrai juste une dernière illustration, particulièrement proche, selon moi, de la structure (a)-(b)-(c) du poème de Yang.Retour à Oldboy : va m’intéresser le passage formé du coup de téléphone de Dae-soo à son ami Joo-hwan (α et β), pendant les recherches qu’il mène avec Mido au lycée Evergreen (sur l’identité de son persécuteur), puis de la courte séquence de transition en montage parallèle Dae-soo et Mido en voiture /Lee Woo-jin chez lui (γ).
(α) J’isole les 18 premiers plans de la scène où Oh Dae-soo et Mido téléphonent à Joo-hwan. Pendant que Oh parle à son ami, Mido continue de fouiller dans les papiers administratifs, les bulletins scolaires, les albums de classes, etc. Oh demande à Joo-hwan s’il connaît un certain Lee Woo-jin – sans succès – puis une certaine Lee Soon-ah. Ce premier plateau séquentiel est très découpé. Y alternent les plans sur les deux protagonistes avec des inserts sur les papiers découverts et autres indices (la plupart des raccords se font en fondus enchaînés pour signifier classiquement à la fois l’absorption et le temps que nécessite un tel travail). Trois raccords sont spécifiquement en coupe sèche : trois raccords sur trois gros plans du visage de Lee Woo-jin. La cohérence avec le reste de la scène est assurée, à ce moment-là, par la conversation entre Dae-soo et Joo-hwan (lesquels parlent de Lee). Ces trois ruptures de l’unité de lieu se lisent d’abord – du moins tant que l’on en reste au segment α – comme un montage parallèle : en contrepoint aux démarches de Oh, qui croit s’approcher de la résolution du mystère de sa persécution, correspond le sourire amusé de Lee qui tire les ficelles et qui a tout prévu (comme nous l’a précédemment montré la scène de leur premier face à face). On l’imagine chez lui ; on imagine surtout – ce qui nous laisserait dans le confort du continuum spatio-temporel – que ces trois plans pourraient être une expression objectivée de la pensée intérieure de Oh (en raccord pensée), qui, au moment d’une possible solution de l’énigme, « se tourne » imaginairement vers son bourreau : la mise en place du deuxième gros plan sur Lee (travelling latéral de droite à gauche) joue, d’ailleurs, sur un registre de symétrie, et donc de complétude, avec le plan précédent qui avait balayé le visage de Oh de gauche à droite. Dans ce premier segment, Lee Woo-jin n’a de réalité filmique qu’en tant qu’il est l’extranéation de l’hétéro-univers de Oh dans le monde diégétique. La fin du segment, et le troisième gros plan sur Lee qui précède le flash-back sur la mort de Lee Soon-ah (ce dernier sera repris textuellement lors de l’explication finale dans la scène de l’ascenseur), commencent à inverser cette lecture : nous ignorons encore, à ce moment du récit, que Woo-jin était le frère de Soon-ah ; mais le fait que le plan, en noir et blanc, de son évocation suive celui sur Woo-jin laisse entendre qu’il en est la source d’énonciation. Quelle pourrait-elle être à part lui, attendu que les autres protagonistes ne possèdent pas à ce stade-là ce type d’informations, et sont précisément à leur recherche ? Ainsi, le rapport réel/pensé semble s’invaginer : Lee est moins pensé qu’il ne pense...
(β) Cette scène se termine par un plan unique, très long, sorte de « contre-champ téléphonique » : la caméra se retrouve à l’autre bout du fil, dans la boutique informatique de Joo-hwan. Cette scène va achever la réalisation de Lee, qui va nier son statut d’hétéro-figure du segment antérieur pour accéder à la pleine existence objective (β = non-α), et va accentuer sa stature omnipotente (il a toujours un coup d’avance) et inquiétante (quel est son véritable mobile ?). Un travelling latéral va révéler, partant de Joo-hwan, que Lee ne se trouve pas dans la tête de Oh, mais à côté de Joo-hwan (qui ne l’a jamais vu et donc ne le reconnaît pas) : ainsi le montage du segment précédent n’était pas parallèle, rétroactivement, mais alterné ; séries qui se rejoignent. Entendant que Joon-hwan parle de sa sœur comme d’une fille facile, et ne pouvant le supporter (les liens qui les unissaient s’éclaircissent alors un peu...), Lee le tue sauvagement. C’est autour de Oh, qui s’inquiète pour son camarade de l’autre côté du combiné, de ne plus avoir qu’une existence de rumeur, de vestige, d’outre-tombe. La caméra finit par s’identifier complètement avec Lee : elle suit non seulement ses déplacements mais recadre même très légèrement au rythme de ses halètements compulsifs.
(γ) Un volet sur un agenda qui passe au jour suivant (ellipse temporelle) clôt la scène précédente et ouvre sur le troisième segment, qui termine la séquence retenue. À bien des égards, ce dernier agencement de neuf plans est dialectique et assure une fonction synthétique : un montage parallèle va de Oh (qui rentre à Séoul en voiture avec Mido) à Lee (qui fait des exercices de yoga dans son appartement de verre design), et inversement. Oh hurle dans sa voiture, Lee écoute une cassette au casque. Le segment rompt avec le principe de ses prédécesseurs α et β: l’un des protagonistes est déréalisé (intériorisé en α, évacué en β). Désormais, les deux personnages sont parfaitement objectivés. Mais leur existence ne communique pas. Lee « n’entend pas » Oh : son casque l’en empêche ; et le plan suivant, de retour dans la voiture où Oh crie « silencieusement » avec le son off et où, par voie de conséquence la musique extra-diégétique se transmue indirectement en musique diégétique (celle que pourrait écouter simultanément Lee), continue de favoriser, avec la larme qu’il verse au dernier plan, notre identification sympathique, malsaine et sadique à Lee (il est celui qui souffre vraiment). Et la séquence, qui s’était ouverte en α par la considération de Oh, s’achève sur un complet retournement d’aperception.
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Le registre elliptique du cinéma de Park Chan-wook fonctionne donc sur un mode hélicoïdal d’une double originalité : 1- élévation de l’ellipse au rang de structure paradigmatique de référence, de nœud fantomal du bâti narratif ; 2- approfondissement de l’ellipse comme thème « obscur », enigma variation, véritable trou noir absorbant du récit fissuré. Le cinéma de Park Chan-wook est un cinéma du récit qui s’enroule autour de la coupe et se meut, chantourne dans le mouvement qui la sépare de ce qu’elle relie. Comme la bouteille de Klein, il rejoint, s’inversant dans sa visibilité matérialisée, ses cartilages narratifs absents, dessoudés, et se tord pour se reconduire devant sa propre épaisseur à partir de ses modalités rétractiles. Chez Park, l’ellipse cristallise le film et le fait être.
À ce titre, non seulement il rend compte au plus haut point du refus esthétique de l’unilinéarité, conforme à l’esquive abstraite idiosyncrasique de l’écriture idéogrammatique et au style « sans liaisons » de « l’ancien écrit chinois », et à ses « moignons »18 ; mais il exprime l’essence du cinéma, rejoignant d’emblée les grands topoi filmiques de l’ajour et de l’évasement : l’implicite lubitschien, la litote tourneurienne, la syncope langienne, le raccord « brisé » rossellinien. Il nous rappelle pleinement à l’être fantomal du cinéma : des « ombres électriques » (dian ying en chinois). Fantomal, et non fantomatique. Le fantomal est, en un sens, le contraire du fantomatique. Le cinéma est fantomatique au sens de l’imago latine, du spectre et de l’hallucination, au sens de la trace de ce qui est montré ; il est fantomal en ce qu’il est le reste de ce qui n’est pas montré. Ce qui a lieu advient cinématographiquement dans le « lieu » de la coupe, dans le moment dynamique, s’évanouissant dans sa stricte apparition, dans le passage d’un plan à l’autre qui le suit toujours mal, toujours. L’essence du cinéma réside dans l’entre-images19. Je ne veux pas simplement parler du montage, « cinémaité » du cinéma sans doute, point par lequel deux visibles s’ajointent, mais de ce que l’être du cinéma réside à part entière dans l’invisible, dans la non-image, vers quoi les images font signe et qui les rend possibles ; ce qui est en jeu dans le cinéma ne saurait se voir : acte pur de l’évanescence-avènement d’un plan à l’autre, où, pour inverser un mot de Nietzsche, le mouvement de la chose (ici le film) ne la porte pas à « se recroqueviller », à se plier, à exister par stratifications ni à se déchiffrer, a contrario, par le « découpage » (qui porte si bien son nom) de ses diverses couches de sédimentation, mais à se déployer à partir de l’horizon du vide qui la constitue en soi, à se réaliser comme effilochement, comme dé-bobinage, comme dispersion de la toile.
Le spectre effraie parce qu’il est une forme sans fond, sans matière. Il est, en un sens, aux antipodes de l’interdiction devant le phasme tel que l’a décrit Georges Didi-Huberman : « animal sans queue ni tête »20, fond sans forme, forêt tropicale même dans laquelle il s’abrite, corps-décor qui commence par ne se détacher de rien et qui, une fois repéré, ne ressemble à rien (feuille-animal).
« Il n’y a plus ici le modèle et sa copie : il y a une copie qui dévore son modèle, et le modèle n’existe plus tandis que la copie, seule, par une étrange loi de la nature, jouit du privilège d’exister. Le modèle imité devient alors un accident de sa copie – un accident fragile, en danger d’être englouti – et non plus le contraire. »21
L’ellipse, elle, ne ressemble à rien non plus : non par excès, non par annulation du modèle dans la copie, mais par absence de copie, par le retrait fantomal du signifiant. L’image érodée ne copie rien. Elle s’inscrit dès lors, à son tour, dans la dissemblance, à l’autre extrémité du segment de la dissimilitude. Mais coincidentia oppositorum, tel étiré à l’infini, l’arc de cercle se confond avec la droite, telle la toupie, en mouvement rapide, a des apparences de repos : de même qu’avec le phasme, « le moindre-être a mangé l’être, possède l’être, il est à sa place »22. L’image cinématographique fantomale, dont le cinéma de Park Chan-wook est une nouvelle promesse, est l’événement du lieu comme trace d’une absence, comme vestige de l’immontré, comme « différance » d’être, comme solitude du signifié.
Bibliographie
Barthes Roland, L’Empire des signes, in Œuvres complètes, tome III, Paris, Seuil, 2002, 1ère éd., 1970.
Barthes Roland,« L’ancienne rhétorique. Aide-mémoire », in ibid, 1ère éd., Communications n° 16, Décembre 1970.
Cheng Anne, Histoire de la pensée chinoise, Paris, Seuil, « Points Essais », 1997.
Derrida Jacques, L’Écriture et la différence, Paris, Seuil, « Points », 1967.
Didi-Huberman Georges, Phasmes. Essais sur l’apparition, Paris, Editions de Minuit, 1998.
Genette Gérard, Figures III, Paris, Seuil, 1972.
Glareanus Henri, De Ratione syllabarum brevis Isagoge... Eiusdem succincta de Figuris, quibus crebro Poëtae utuntur, Lucubratio, ex diversis authoribus... collecta, Paris, Ch. Wechel, 1543, 1ère éd. 1516. Cité in Michel Magnien, « Entre grammaire et rhétorique : l’ellipse dans quelques traités de la Renaissance », in Ellipses, Blancs, Silences, Actes du colloque du Cicada réunis par Bertrand Rougé, Pau, Publications de l’Université de Pau, 1992.
Groupe µ, Rhétorique Générale, Paris, Larousse, 1970.
Kim Ki-chung, An Introduction to Classical Korean Literature : From Hyangga to Pansori, New York, M. E. Sharpe, « New Studies in Asian Culture », 1996.
Lao-Tzeu, La Voie et sa vertu, traduit par François Huang et Pierre Leyris, Paris, Seuil, « Points Sagesse », 1977.
Levi Jean, Les Fonctionnaires divins : politique, despotisme et mystique en Chine Ancienne, Paris, Seuil, « Librairie du xxie siècle », 1989.
Michaux Henri, Un barbare en Asie, in Œuvres complètes, tome III, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1998, 1ère éd., 1933 (revue en 1967).
Crédits photographiques et filmographiques
Figure 1 : Sympathy for Mr Vengeance (2002) de Park Chan-Wook, CJ Entertainment.
Figure 2 : Sympathy for Mr Vengeance (2002) de Park Chan-Wook, CJ Entertainment.
Figure 3 : Sympathy for Mr Vengeance (2002) de Park Chan-Wook, CJ Entertainment.
Figure 4 : Sympathy for Mr Vengeance (2002) de Park Chan-Wook, CJ Entertainment.
Figure 5 : Sympathy for Mr Vengeance (2002) de Park Chan-Wook, CJ Entertainment.
Figure 6 : Sympathy for Mr Vengeance (2002) de Park Chan-Wook, CJ Entertainment.
Figure 7 : Sympathy for Mr Vengeance (2002) de Park Chan-Wook, CJ Entertainment.
Figure 8 : Sympathy for Mr Vengeance (2002) de Park Chan-Wook, CJ Entertainment.
Les photographies du film Sympathy for Mr Vengeance (2002) de Park Chan-Wook sont reproduites avec l’aimable autorisation de CJ Entertainment.
Notes
2 Gérard Genette, Figures III, « Discours du récit », Paris, Seuil, 1972, p. 128.
3 Henri Glareanus, De Ratione syllabarum brevis Isagoge... Eiusdem succincta de Figuris, quibus crebro Poëtae utuntur, Lucubratio, ex diversis authoribus... collecta, Paris, Ch. Wechel, 1543, 1ère éd. 1516, 32-3. Rappelé in Michel Magnien, « Entre grammaire et rhétorique : l’ellipse dans quelques traités de la Renaissance », in Ellipses, Blancs, Silences, Actes du colloque du Cicada réunis par Bertrand Rougé, Pau, Publications de l’Université de Pau, 1992, p. 31-44.
4 Roland Barthes, « L’ancienne rhétorique. Aide-mémoire » (1970), repris in Œuvres complètes, tome III, Paris, Seuil, 2002, p. 595.
5 Voir, par exemple, la manière dont Jacques Derrida s’excuse de l’utiliser dans L’Écriture et la différence, Paris, Seuil, 1967, p. 411.
6 Le cas est sensiblement différent pour la littérature : on peut interrompre la lecture d’un roman, on peut revenir en arrière, on peut sauter des passages (il y a une « ellipse par le lecteur »). Il va sans dire que le développement de la vidéo a, en retour, révolutionné, et révolutionne encore, les pratiques spectatorielles. Mais ceci est un autre point : nous nous limitons dans cette réflexion au film dans les conditions de sa réception en salle.
7 Il est à noter que, dans certains cas, l’ellipse porte sur le plus important, qu’on veut laisser dans l’ombre pour telle ou telle raison. Ainsi la « faute » entre Tony Leung et Maggie Cheung qu’on ne voit pas dans In the Mood for Love, mais qui est présente dans la bande-annonce.
8 Groupe μ, Rhétorique générale, Paris, Larousse, 1970, p. 133-134.
9 Chan-wook Park, commentaire audio de Sympathy for Mr. Vengeance, HK Vidéo, 2004.
10 Je laisse de côté le plan précédent de la rencontre entre Ryu et les trafiquants, qui me paraît être davantage un plan de transition.
11 Lao-Tzeu, La Voie et sa vertu, Paris, Seuil, 1979, p. 103 (traduction de François Houang et Pierre Leyris modifiée).
12 Roland Barthes, L’Empire des signes (1970), repris in op. cit., p. 374.
13 Mr. Vengeance et Oldboy forment les deux premiers volets d’une trilogie sur la vengeance : la vengeance étant la voie la plus directe du préjugé vers la sanction et la restitution de la puissance perdue sans passer par la réparation et le dispositif pénal (écartés). Elle n’est qu’une spirale absurde et ad infinitum où chaque moment n’existe plus que pour stimuler la vengeance de la victime et donner l’occasion de se re-venger, d’alimenter sa propre vengeance-phagocyte. « Celui qui cherche la vengeance devrait se souvenir de creuser deux tombes », dit un proverbe chinois...
14 En 1999, Park réalise Judgement (Simpan), un court métrage en noir et blanc : le film s’inspire de l’effondrement du grand magasin Sampung survenu à Séoul en 1995 et qui avait causé la mort de centaines de victimes. Encore une fois, l’absence et la carence sont au centre de l’oeuvre qui dénonce le matérialisme néo-libéral des familles qui ne sont obsédées que par le souci de récupérer les biens de leurs proches disparus.
15 Anne Cheng, Histoire de la pensée chinoise, Paris, Seuil, 1997, p. 40-41.
16 Jean Levi, Les Fonctionnaires divins, Paris, Seuil, 1989, p. 35-36.
17 L’alphabet coréen moderne (hangul, « grande écriture ») est tardif et date seulement de 1446. Il fut créé sous l’impulsion du roi Sejong. Autrement dit, pendant vingt siècles, les Coréens ont pratiqué une triple démarche littéraire : 1- ils parlaient leur propre dialecte (tradition orale), 2- ils le transcrivaient en caractères chinois (hyangchal, idu), 3- ils écrivaient, pour les élites, directement en chinois classique. Avec la création du hangul, d’abord désigné pân tchel jusqu’en 1912, une véritable poésie coréenne écrite fait son apparition. Le sijo (« air du temps ») en est l’une des formes de prédilection les plus populaires.
18 Henri Michaux, Un barbare en Asie (1933), Paris, Gallimard, 1998, p. 380. Rappelons que les lettrés coréens écrivaient traditionnellement en chinois. Voir supra note 17. Malgré l’invention du hangul, l’écriture chinoise reste encore très présente en Corée du Sud où environ 60% des termes proviennent du chinois prononcé à la coréenne.
19 Titre également d’un ouvrage de Raymond Bellour paru aux éditions La Différence en 2002.
20 Georges Didi-Huberman, Phasmes. Essais sur l’apparition, Paris, Editions de Minuit, 1998, p. 19.
21 Id., p. 18.
22 Ibid.