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Le dialogue des arts

Joseph Delaplace

Rothko Chapel de Morton Feldman : approches analytiques d’une « procession immobile »

Résumé

En 1971-1972, le compositeur américain Morton Feldman (1926-1987) écrit Rothko Chapel, une œuvre destinée à être jouée dans l’édifice qui abrite quatorze grandes toiles du peintre disparu en 1970. Cet article a pour ambition d’envisager la partition sous l’angle de la correspondance des arts, à la croisée de l’analyse musicale et de la réflexion esthétique. Nous interrogeons notamment la possibilité, pour une forme musicale séquentielle, d’entrer en résonance avec la continuité qui s’instaure entre les panneaux exposés dans la chapelle. L’enjeu est aussi de déterminer si Feldman nous ouvre à une compréhension enrichie, différente ou divergente de Rothko, et si en retour Rothko nous permet d’entendre autrement les couleurs sonores de Feldman.

Texte intégral

« Je préfère penser mes œuvres comme entre catégories.

Entre temps et espace. Entre peinture et musique.

Entre la construction de la musique et sa surface. » 1

Morton Feldman

En 1964, les collectionneurs et mécènes américains John et Dominique de Menil, alors responsables du département des arts de l’Université catholique Saint Thomas (Houston), sollicitent Mark Rothko pour réaliser une série de grandes toiles destinées à prendre place au sein d’une chapelle qui leur serait spécialement dédiée. Déçu par les expériences du restaurant Four Seasons (New York) et du réfectoire du Holyoke Center de l’Université de Harvard, où certaines de ses œuvres avaient été exposées, Rothko saisit l’opportunité qui lui est offerte de concevoir lui-même les plans de cet environnement spirituel, en collaboration avec l’architecte Philip Johnson.2 La chapelle n’est pas terminée lorsque le peintre se suicide, en 1970, et le site est inauguré en 1971. Une sculpture de Barnett Newman, érigée sur un plan d’eau dans l’axe de l’entrée de la chapelle (par ailleurs entourée de pelouse et de quelques arbres) et intitulée Broken Obelisk, vient en étoffer la réalisation.

L’édifice est conçu comme un lieu de méditation ouvert à toutes les sensibilités, propre à accueillir des cérémonies religieuses mais aussi des événements artistiques promouvant, de quelque manière que ce soit, la liberté, la paix, la justice sociale et les droits de l’homme en général.3

Les quatorze toiles de Rothko constituent un ensemble très homogène, constitué de panneaux simples et de triptyques, disposés de manière alternée et symétrique au sein d’un espace octogonal. L’artiste « affirmait  avoir peint pour sa chapelle “ce que vous ne voudrez pas regarder” : de grands champs de couleurs amorphes, obscures, vides, absorbées en elles-mêmes, autosuffisantes, mélancoliques, non engageantes et dépouillées de toutes qualités dramatiques ou sensuelles, rejetant le spectateur, lui refusant d’abord l’entrée, puis l’attirant dans un sans-fond noir, non humain, annihilant et sombre. »4

Ces œuvres sont caractéristiques de l’inflexion vers le monochrome qui correspond à la dernière période créatrice du peintre, et qui se prête à des compositions globales telles que celle-ci. « Le passage d’un tableau isolé à un ensemble pictural entraîne des changements de perspective. Chaque tableau, au lieu d’être en soi, doit se concevoir, désormais, à l’intérieur d’un tout et par rapport aux autres. Ce passage aurait été difficile, si dans ces peintures de Rothko, dominaient encore les couleurs éclatantes et claires. Cela aurait produit une cacophonie bruyante et insupportable. »5

Lors de la cérémonie d’inauguration de l’édifice, John et Dominique de Menil commandent à Morton Feldman (1926-1987) une œuvre en hommage à Rothko, destinée à être jouée au sein de la chapelle. La partition est terminée l’année suivante, et la création de Rothko Chapel a lieu le 9 avril 1972. La pièce de Feldman est écrite pour chœur mixte (avec une soprano solo et une contralto solo), percussions, alto et célesta. Elle se présente comme un mouvement unique d’une durée d’environ vingt minutes6. « Dans une large mesure, mon choix instrumental [en termes de forces utilisées, d’équilibre et de timbre] fut déterminé  aussi bien par l’espace de la chapelle que par les peintures »7, indique le compositeur.

Nous nous attacherons, par l’analyse de l’œuvre de Feldman, à observer plus précisément  comment se trame cette rencontre du pictural et du sonore au sein d’un espace particulier.  Nous soulignerons les points de convergence entre les deux œuvres, mais nous tenterons aussi de comprendre de quelle manière et pourquoi Feldman ne s’engage pas frontalement dans la voie d’une tentative de transposition de la surface monochrome, au profit d’un rapport plus général et plus complexe à la spiritualité.

L’expression « procession immobile semblable aux frises des temples grecs »8 proposée par le compositeur évoque bien le paradoxe inhérent à cette musique, qui tient à un rapport particulier se nouant entre mouvement et statisme. Feldman se souvient très probablement aussi de son ami Rothko déclarant qu’il avait peint toute sa vie des temples grecs sans le savoir.

Une relative diversité des matériaux utilisés confère également à cette œuvre un statut un peu à part au sein d’une production par ailleurs très homogène.

La mise en évidence des rapports très subtils qui se nouent entre statisme et mouvement, unité et diversité, abstraction et lyrisme, permettra d’entrer dans l’univers de Feldman en mesurant la richesse de sa conception de la correspondance des arts.

I - « C’est gelé et en même temps ça vibre » : une rencontre entre le musical et le pictural

Earle Brown (1926-2002), Christian Wolff (1934) et Morton Feldman sont les trois principaux compositeurs gravitant autour de la figure majeure de John Cage (1912-1992). Feldman a étudié avec Stephan Wolpe (1902-1972), compositeur d’origine allemande, lui-même élève de Busoni, ainsi qu’avec Wallingford Riegger (1885-1961), qui fut l’un des pionniers du dodécaphonisme aux USA. Cage et ses amis musiciens, auxquels on peut ajouter notamment l’anglais Cornelius Cardew et le pianiste-compositeur David Tudor, se trouvent fréquemment réunis sous l’appellation d’« école de New-York », et associés aux représentants du courant expressionniste abstrait9. Mark Rothko, qui récusait cette étiquette esthétique, ainsi que Philip Guston, sont les deux artistes desquels Feldman se sent le plus proche.

Très fin observateur du matériau sonore, Feldman cultive une économie de moyens et une conception empirique de la création, sous l’influence de Varèse et de Cage. Après un certain nombre d’expériences dans le domaine de la notation graphique, il s’en détache définitivement, et lorsqu’un certain degré d’ouverture subsiste au sein de ses œuvres, celui-ci concerne volontiers les flexions du temps, rarement les hauteurs et jamais le timbre, qui apparaît ainsi comme le paramètre le plus précisément contrôlé par le compositeur. Le silence, les attaques estompées, la faiblesse des dynamiques, s’affirment également comme les constantes d’un style qui se détourne de la notion de bruit et utilise un instrumentarium tout à fait traditionnel.

La concentration sur le son se manifeste à différents niveaux dans cette musique : les matériaux, employés en fonction de leurs qualités propres, ne sont pas envisagés en tant que porteurs ou représentants d’une historicité10 ; ils ne renvoient à aucune donnée extra-musicale, ne se déterminent pas de manière hiérarchique les uns par rapport aux autres, et enfin ne s’inscrivent pas dans le temps comme des éléments en devenir : « la relative immobilité des processus de Feldman particulièrement au niveau temporel, fait que l’auditeur n’est plus projeté vers un avenir hypothétique de l’œuvre, et n’a pas besoin non plus de se référer à ce qu’il vient d’entendre [...] Feldman ne considère pas le son comme un phénomène qu’il convient d’ “apprivoiser”, comme s’il lui était extérieur, comme s’il devait l’envisager à distance. C’est pourquoi sa musique suscite d’elle-même une écoute momentanée. »11

Ces remarques préliminaires sur la conception de la forme musicale chez Feldman révèlent une certaine résonance avec la peinture de Rothko dans le sens où, comme les couleurs de celle-ci, la matière sonore semble être en suspension, à la fois palpable et évanescente.

« Ce que j’ai emprunté à la peinture, on appelle cela la surface du tableau (picture plane). Je l’ai remplacé, pour les oreilles, par le plan sonore, et c’est une sorte d’équilibre, bien que ça n’ait rien à voir avec l’avant et l’arrière plan. Cela concerne en fait la manière dont j’empêche le son de tomber, de tomber par terre, pour le maintenir sur le plan. La plupart des gens empêchent le son de tomber en l’intégrant dans un système, qu’il soit harmonique ou dodécaphonique. Sans le système, le son s’écroulerait [...] Mon travail ressemble beaucoup à celui d’un peintre dans la mesure où, en observant les phénomènes, j’épaissis et j’allège, et je travaille de cette façon, juste en observant ce qui est nécessaire. Je veux dire, j’ai la faculté d’entendre cela ; je ne sais pas ce que pourrait être la faculté de le penser. Je ne me suis jamais intéressé à la faculté de penser ces phénomènes.

Je suis le seul à travailler de cette façon. Mais, comme chez Rothko, c’est juste une question de conserver cette tension ou cette stase (stasis). On trouve ça chez Matisse, toute cette idée de stase. C’est le mot juste, j’ai affaire à la stase. C’est gelé et, en même temps, ça vibre. »12

Feldman est bien conscient que, sauf à s’engager dans un paradoxe cagien, la musique ne peut nier sa nature temporelle ; on doit composer avec l’élément tectonique que constitue le couple répétition-variation. Son écriture s’attache néanmoins à en déjouer les aspects mécaniques, ou trop évidents, en privilégiant souvent des transformations insensibles et à distance, en gommant les aspérités à l’aide d’une gestion précise des attaques et du timbre, ou encore en allégeant sa musique après-coup. Il obtient par ce biais une sorte de fluidité statique. Feldman parle de toiles de temps plutôt que d’œuvres ou de compositions musicales ; il compare sa démarche à celles de Mondrian, Rothko et Guston, en ce que ces artistes ont selon lui exploré des voies laissées pour compte par la modernité. Dans cette optique, sa musique ne s’engage pas dans la direction du développement et de la variation au sens habituel, mais explore des dimensions du temps qui nécessitent une approche différente, tant d’un point de vue poïétique (création) que d’un point de vue esthésique (réception). Il s’agit non pas de dépasser les catégories classiques de formalisation du discours musical, mais plutôt de se placer parallèlement, ou de manière oblique, par rapport à celles-ci, afin de permettre à certains plis du temps musical de se déployer. Le compositeur appréhende l’objet sonore qu’il crée comme quelque chose qu’il va s’attacher à présenter sous différents angles, avec une luminosité à chaque fois nouvelle. « Ce que je fais, c’est de traduire quelque chose, disons, dans une situation de hauteurs de son. Puis je le fais de manière plus intervallique et je reprends des évocations de cela dans un contexte de hauteurs d’une autre sorte - qui n’est pas celui d’origine, et ainsi de suite [...] et de nombreuses fois encore, avec à chaque fois un autre langage. Le langage d’un autre registre, le langage d’une autre couleur. Et je veux utiliser le terme “différenciation” pour ces choses-là, vous voyez. »13

La prise en compte très précise de la lumière, dans le travail de Rothko, trouve un pendant musical dans la gestion de l’intensité chez Feldman. De même, l’utilisation de la brosse et du chiffon, le travail sur les frontières entre différentes zones picturales, peuvent être mis en relation avec le gommage de l’attaque de certains sons, ainsi qu’avec la suppression après-coup de matériaux sonores.

Feldman cite volontiers une lignée de peintres partant de Piero della Francesca, passant par Rembrandt, et culminant avec Rothko et Guston, chez qui on en arrive, selon lui, à la sensation que nous ne regardons plus la peinture, mais que c’est elle qui nous regarde ; si « sentir l’aura d’un phénomène, c’est lui conférer le pouvoir de lever les yeux »14 alors les œuvres de Rothko nous ouvrent la possibilité de faire l’expérience de cette « singulière trame d’espace et de temps : l’unique apparition d’un lointain, si proche soit-il »15 dont Walter Benjamin cherchait à percer le mystère. L’attention que porte Feldman au regard montre à quel point le compositeur est sensible à cette irradiation qui caractérise les toiles de Rothko, à leur capacité paradoxale d’absorber le spectateur tout en donnant l’impression que leur couleur se projette.

Dans la chapelle, les rapports qui s’instaurent entre les différents panneaux tiennent à leur disposition et à leur forme, ainsi qu’aux nuances de couleurs qui se dégagent de chaque toile. Celles-ci entrent en vibration les unes avec les autres, révélées par la luminosité particulière (elle provient du haut) et changeante (selon les moments de la journée et la météo) qui caractérise le lieu.

La similarité formelle des deux triptyques affichés face à face – ouest et est (voir figure 1) – se trouve faussée « de l’intérieur » par certains détails, notamment en ce qui concerne les rapports entre verticalité et horizontalité, les nuances de coloris, l’épaisseur, l’aspect mat ou brillant. Au sein de plusieurs tableaux apparaissent également, selon l’intensité de la lumière, des formes colorées qui instaurent une sorte de rythme asymétrique au sein de l’ensemble. Une dimension chaleureuse émerge de manière fragmentaire, chaleur que Steven Johnson compare aux incursions lyriques et consonantes de la soprano solo, dans l’œuvre de Feldman16. Celui-ci a également cherché à traduire musicalement l’impression d’être au contact avec une matière picturale qui nous absorbe, en travaillant à ce que le son soit très proche, bien que d’intensité peu importante, un son plus présent selon le compositeur que dans une salle de concert, un peu comme à l’écoute d’un enregistrement.

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Figure 1 :disposition des panneaux dans la chapelle

II - Désorientation du temps : la stase et le flux

Dans les peintures de la période classique de Rothko, le jeu des couleurs instaure légèreté et profondeur, et celui des limites engendre un certain nombre d’ambiguïtés qui concourent à charger les œuvres d’une intensité particulière. Dans la dernière période en revanche, les teintes marron, pourpre, violet et noir confèrent un aspect plus figé à chaque toile, dépassant le rythme, la respiration solaire des œuvres précédentes, au profit d’une méditation sombre et obstinée. Pourtant, à travers la plongée dans la nuit de chaque panneau, et surtout dans la correspondance subtile qui s’établit entre ceux-ci, au sein de la chapelle, les portes d’un vaste univers semblent s’ouvrir. Si le rythme pictural tel qu’il prenait corps auparavant s’estompe ici, c’est pour laisser place à un temps de l’éternité, et à une expression de l’universel. « Pour la première fois, la chaleur schoenbergienne se change en extrême froideur dont l’expression tient à l’inexpressif »17, écrivait Adorno à propos des œuvres du père de la seconde école de Vienne. Cette remarque pourrait s’appliquer au dernier style de Rothko. « Une musique guidée par l’expression pure et sans fioriture développe une susceptibilité irritée contre tout ce qui pourrait porter atteinte à cette pureté, contre toute familiarité à l’égard de l’auditeur ou de l’auditeur à son égard, contre l’identification et l’empathie. La logique du principe d’expression implique le moment de sa négation, cette forme négative de la vérité qui change l’amour en force de protestation inflexible. »18 La démarche de Rothko se situe dans le sillage de cette recherche d’un absolu et d’une vérité de l’expression qui passent par le médium d’un dépassement radical de toute figuration et, dans ses manifestations ultimes, par un repli dans un univers sombre, en apparence plus hermétique.

On trouve chez Feldman une réflexion « en acte » sur le temps qui concourt, dans Rothko Chapel, à donner corps à diverses qualités de durées, à travers un croisement particulier des temporalités musicales, basé sur les ambiguïtés entre mouvement et statisme, mobilité et immobilité, matérialité et flottement. On peut distinguer schématiquement la stase, d’une part, et le flux de l’autre, qui constituent les bornes extrêmes entre lesquelles l’écriture adopte des formes intermédiaires, soit de type déclamatoire, soit alternant des passages statiques avec d’autres plus mobiles. Dans la seconde section, les voix de femmes divisées (6 soprani, 6 alti) énoncent un petit cluster clair (mi bémol - sol - la bémol - la - si - do, dans le registre médian) dont la persistance confère à l’ensemble son aspect immobile, figé, mais dont les mouvements internes sous forme d’imitations (entre les voix 1-4, 2-5, 3-6, pour les deux pupitres) assurent des modifications de texture très légères. Cette irisation sonore s’approche de l’écriture micropolyphonique du Ligeti des années 1960-1970, mais les imitations se font ici sans changements de hauteurs, on ne retrouve donc pas ces fondus-enchaînés qui caractérisent le style de Ligeti, on a affaire à une seule stase, dont la texture n’est jamais totalement figée ; il y a toujours une vibration.

La section finale, à l’inverse de ce moment, est celle qui correspond à une qualité de temps de type flux, avec l’énonciation d’un thème très calme à l’alto (voir exemple 1, mesures 320 et suivantes). L’ostinato strict sur quatre sons du vibraphone, en valeurs égales, comme un « rappel » de la vibration, soutient la ligne mélodique et fluide.

Il n’y a pas de progression linéaire de la stase au flux, dans Rothko Chapel. Les différentes qualités de temps s’entrecroisent, l’œuvre débutant avec une écriture de type déclamatoire (alto et percussions), se terminant avec la mélodie de l’alto accompagnée du vibraphone, et incluant cette phase statique confiée au chœur. Les autres passages alternent horizontalité et verticalité, avec un travail sur la densité sonore fluctuante.

Au tout début de la partition, l’écriture obéit à une logique d'expansion, en deux phrases successives, ce qui détermine un temps de type orienté. Chaque proposition commence par des oscillations (la première fois en tierces, voir exemple 1 mesures 1 à 5, la seconde en septièmes), et se trouve ponctuée par une figure descendante qui se répète à l’identique (mesures 11-12 et 27-28, voir exemple 2), après élargissement progressif de l’ambitus. Cette organisation confère son aspect « rhétorique » à l’écriture, ce qui est assez inhabituel chez Feldman. Remarquons aussi les deux tritons successifs ré bémol - sol et do - fa dièse qui achèvent la désinence réitérée. Le processus expansif culmine juste avant la répétition de l’arpège descendant, avec une succession ascendante de sons ( fa dièse – sol – si – fa – si bémol – mi – la bémol – do – ré) formée par enrichissement progressif et translation des figures qui précèdent : fa dièse - fa - mi et la bémol sont les hauteurs qui se répètent de manière exacte (dans le même registre), l’intervalle de septième la - la bémol de la figure ascendante qui précède se trouve transposé un demi-ton plus haut (si - si bémol), mais énoncé une octave plus bas ; le sol bémol et le fa proviennent eux-mêmes d’une mesure antérieure, au sein de laquelle ils apparaissent dans un autre registre.

III - Abstraction et subjectivité

La sobriété de Rothko Chapel, son aspect hiératique et méditatif, ne tiennent pas tant à l’effectif instrumental en soi (alto, soprano - la seconde soliste intervient très peu -  chœur, percussions), mais à son utilisation savamment dosée ainsi qu’à des matériaux relativement peu nombreux, et une densité événementielle assez faible qui induit un certain étirement du temps. L’absence de développement renforce localement cette impression d’immobilité, mais il ne s’agit pas d’une absence de mouvement, les différentes parties de l’œuvre suggérant une suite de déplacements. Le compositeur s’applique à révéler les vibrations contenues dans chaque moment de stase, à les laisser éclore et s’épanouir au sein de la chapelle, avant de modifier le dispositif et de re-créer une situation de suspension. La concentration sur l’épaisseur du son et la sculpture très précise du timbre est l’un des outils musicaux au service de cette appréhension d’une dimension statique et abstraite du temps. Lorsqu’un seul son est répété obstinément, entrecoupé de silences, déplacé dans différents registres, épaissi d’une note voisine ou modulé par d’insensibles modifications de la distribution instrumentale et/ou vocale, une volonté de faire entrer l’auditeur à l’intérieur du halo spectral afin d’en capter certaines composantes en suspension se manifeste assez clairement, au-delà du caractère minimaliste et « gelé » que produit cette répétition. Le même type de travail  est mené lorsque s’enchaînent les agrégats du chœur, les quatre matériaux-pivots culminant sur les sons   - do -  ré bémol - ré bémol (voir exemple 3) soit une zone restreinte entre le do et le , dont l’épaisseur et la profondeur varient en fonction des autres sons ajoutés à chaque agrégat, certains restant fixes dans au moins trois éléments sur les quatre (do, la bémol). Ajoutons que le ré bémol (ou do dièse) est présent dans tous les agrégats, même s’il ne figure que deux fois en tant que note supérieure. Il s’agit donc bien du centre de gravité autour duquel s’enroulent les différents sons.

Le contraste entre agrégats statiques et répétitifs sans figures de durées autres que des tenues séparées de silences ou l’enchaînement « lisse » de leurs lentes transformations, et les fils ténus des passages solistiques à la voix ou à l’alto, matérialisent un investissement « géométrique » et bi-dimensionnel du plan sonore, les orientations verticale et horizontale se trouvant juxtaposées la plupart du temps dans leurs expressions les plus évidentes. Feldman module la fréquence et l’intensité d’une telle opposition, certaines sections incarnant une alternance de petits plans verticaux et horizontaux, d’autres se présentant comme un seul grand plan de l’un ou l’autre type. Cette écriture tend vers une évocation musicale de certains rapports spatiaux qui se nouent entre les toiles de Rothko et l’espace de la chapelle. De plus, les modifications de l’effectif et des types d’écritures, en l’absence de transitions, soulignent les différences d’épaisseur qui accompagnent les contrastes directionnels, et qui s’inscrivent comme l’avènement d’une dimension à part entière de la composition. Ce type de travail confère à la musique de Feldman une plasticité qui lui est toute personnelle.

L’utilisation du chœur bouche fermée d’une part, et de l’alto solo de l’autre, correspond à une volonté d’illustration musicale des rapports entre abstraction et humanité. L’investissement subjectif du compositeur s’incarne notamment dans le timbre chaleureux de l’instrument, ce dernier étant conçu comme : « révélateur de couleur et point mouvant autour duquel viennent se déployer les grands aplats »19 du chœur. L’alto et la voix de soprano vibrent d’une tout autre manière que les timbales ou le chœur, ils semblent abolir momentanément la distance, la profondeur, qu’instaurent les résonances graves et les agrégats réitérés. Leurs lignes ténues sont comparables à ces formes de couleur qui apparaissent au sein des toiles de Rothko :

« One clearly visible interrelation involves a red event - much more sensuous in hue than the prevailing purples and oxbloods - that appears in three different panels [...] Intense at its core but never fully separated from the prevailing black-purple, the red gradually diminishes at its outer limits, until it finally disappears into its environment. The circular form seems to move toward and beyond the right edge of the panel, but the light purple middle panel, exhibiting no trace of the red, abruptly terminates this movement. However intense, the event itself is extremely subtle : on sunny days in Houston the red may radiate a lyrical warmth ; but passing clouds can diminish this effect dramatically, and in dim light the red disappears altoghether [...] The red recurs in two other panels, where again it suggests forms related to the sun [...] As a group, the red events insert an asymetrical counter-rhythm into the overal progression of the ensemble, and, as sun-like forms, they hint at some lyrical, optimistic state rendered poignant by their nearness to obliteration. »20

Chez Feldman, les interventions de la soprano constituent une première touche de couleur chaleureuse, mais son obstination à répéter quelques sons issus du geste descendant initial contribue à figer son mouvement, à maintenir encore une certaine distance malgré la proximité induite par le timbre et l’absence d’épaisseur du son.

L’alto, quant à lui, se trouve investi, selon les moments, d’une présence sensiblement différente ; une alternance irrégulière s’instaure entre des moments où il s’approche d’une voix lyrique et chaleureuse, par son écriture ou sous l’effet de l’environnement sonore, et d’autres où les mêmes gestes parfois sont présentés dans des teintes beaucoup plus froides. Son incursion finale, en raison de son caractère diatonique affirmé et de sa dimension thématique, constitue peut-être le véritable pendant à ces événements colorés dont Steven Johnson souligne l’incandescence et la fragilité, chez Rothko.

Morton Feldman décrit la forme de son œuvre comme « une série de sections enchaînées fortement contrastées [...] :

1 - une assez longue ouverture déclamatoire

2 - une section “abstraite” plus statique pour le cœur et les cloches

3 - un interlude basé sur des motifs mélodiques pour soprano, alto et timbales

4 - une fin lyrique pour l’alto, accompagné par le vibraphone, rejoint plus tard par le chœur, dans un effet de collage. »21

Par plusieurs aspects, l’écriture de Rothko Chapel déroge aux habitudes du compositeur : celui-ci inclut dans l’œuvre quelques matériaux préexistants (l’élément principal confié à la soprano aurait été composé le jour des funérailles de Stravinsky, et le thème final de l’alto serait une mélodie de jeunesse écrite par Feldman) ; de plus, la dimension mélodique affirmée tranche avec la plupart de ses œuvres (ce qui répond aussi à une évolution stylistique générale, déjà perceptible dans le cycle The viola in my life) ; enfin, le discours musical s’articule dans certaines sections, on l’a vu pour le début, de manière plus orientée, plus « dramatique » parfois, qu’habituellement chez Feldman. Ces différents aspects contribuent à charger Rothko Chapel d’une intensité particulière, et laissent filtrer, plus que dans les nombreuses pièces qu’il a écrites par ailleurs  « en hommage à »22, un certain degré d’investissement subjectif. Le suicide de Rothko en 1970 a certainement ajouté un poids émotif supplémentaire à cette commande. Feldman confie avoir intégré à l’œuvre une dimension autobiographique, qui explique pourquoi le début sonne comme une musique de synagogue, rhétorique et déclamatoire, certaines sections centrales sont plus abstraites, et la fin se construit sur cette mélodie de jeunesse, comme une réminiscence nostalgique.

IV - L’unité dans la diversité : correspondances gestuelles et rapports atonalité - diatonisme

La diversité des qualités de temps mise en évidence ci-dessus se trouve transcendée par des processus qui traversent la partition en filigrane et en homogénéisent les diverses parties. D’une part, la mémoire de l’auditeur est constamment stimulée par un certain nombre de retours et de mutations à distance. D’autre part, la transformation qui s’opère, depuis la texture rigoureusement atonale du début jusqu’au diatonisme affirmé de la conclusion, est agencée à la manière d’une subtile préparation en plusieurs étapes du thème de l’alto. C’est en nous appuyant sur cette progression que nous replacerons certains éléments caractéristiques de l’œuvre dans la perspective d’une unité macro-formelle.

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S’il est vain de tenter la mise à jour d’un chemin musical qui conduirait de la stase au flux dans Rothko Chapel, on peut en revanche déceler a posteriori cette anticipation du diatonisme, qui contribue à l’intégration du seul élément véritablement thématique de la partition. Il ne s’agit pas d’un processus véritablement audible, mais plutôt de l’installation progressive et souterraine d’un contexte mélodique et harmonique au sein duquel le thème de l’alto peut s’épanouir, qui permet d’atténuer l’effet extérieur de collage que suscite son émergence. À titre d’exemple, on peut repérer quelques manifestations caractéristiques de cette préparation (exemple 1) :

L’ostinato du vibraphone se trouve préfiguré par les successions initiales de tierces aux timbales et à l’alto, lequel énonce à la suite de larges intervalles affirmant l’absence de tonalité mais intégrant aussi des secondes et des tierces, octaviées ou non. Plus loin, ce sont les hauteurs mêmes qui se rapprochent de celles du thème final : la première intervention de la soprano solo se fait sur ré bémol, la bémol et si bémol ; puis, après la section statique du chœur, la soliste reprend le même dessin mélodique, en resserrant le second intervalle (la septième devient sixte - renversement de la tierce), et sur les notes ré bécarre - la bécarre - do bécarre, auxquelles s’adjoint un mi dans les mesures suivantes sous la forme d’une appoggiature, qui sera répétée de nombreuses fois. Les sons mi, et la sont constitutifs du thème final. Le do est répété quant à lui au sein de l’ostinato qui s’y trouve superposé, puis dans le thème lui-même lorsque celui-ci est transposé. Dans les seconde et quatrième occurrences de la mélodie, la phrase s’achève par l’intervalle - la. Le terrain est donc parfaitement préparé pour le passage du diatonisme au premier plan, et l’effet local de juxtaposition est quand même conservé. D’autres événements s’ajoutent, comme l’ostinato des timbales en tierces sur si - entre les mesures 135 et 168, qui apparaît à la fois comme une version figée et prolongée des tierces initiales, et comme un premier accompagnement de type obligé, lent et solennel, avant la section conclusive.

Corrélativement à cette « progression » presque insensible, on  peut montrer qu’un certain nombre d’éléments ou de gestes parcourent la partition, tissant des liens à distance au sein de cette « procession immobile » : la perception oscille constamment entre la juxtaposition de sections, qui ressort par l’absence de zones de transitions entre celles-ci, et l’immersion dans un univers sonore homogène, stimulée par des retours plus ou moins transformés. Ce type de réminiscence n’est pas assimilable à de la variation, au sens général du terme, mais à des correspondances qui tirent les fils invisibles de l’architecture sonore.

Les trois sons sur lesquels insiste la soprano solo (ré bémol - la bémol - si bémol, qui deviennent - la - do pour anticiper le thème de l’alto), sont une variante du geste en arpège descendant énoncé par l’alto dès l’ouverture de Rothko Chapel, en tant que désinence des deux premières phrases. La préparation au diatonisme final évoquée à l’instant se trouve enchâssée dans un réseau mémoriel et gestuel bien plus large.

L’exemple 2 synthétise le devenir de l’arpège descendant initial, qui jalonne le discours de l’alto et celui de la voix soliste, depuis les retours non transformés du début, jusqu’au morcellement et à la forme rétrograde, en passant par les torsions rythmiques. Après les deux présentations identiques des mesures 11-12 et 27-28, on retrouve un double énoncé de l’arpège, mesures 110 à 112 et 114 à 116, avec des durées considérablement modifiées. Entre temps, le rythme s’est juste trouvé légèrement transformé aux mesures 76 et 77 (diminution des valeurs de la première mesure, augmentation de celles de la seconde mesure). Ces cinq présentations de l’arpège sont confiées à l’alto. À partir de la mesure 244, le profil descendant disjoint de la ligne vocale peut être interprété comme une transformation supplémentaire du geste, avec élision d’une partie de l’arpège, et qui se répète jusqu’à la mesure 253, puis entre 280 et 289. Les mesures 260 à 264, quant à elles, accueillent la forme rétrograde de ce geste partiel (do - la - ) et son énonciation avec une insistance particulière sur le mi appoggiature, redevenu un son plus appuyé pour l’occasion. Cette forme rétrograde du geste partiel s’infiltre jusque dans les mesures 293 et 294.

Le principe d’oscillation sur deux sons, en tierce au tout début, puis en septième quelques mesures après, fait également retour à plusieurs reprises au cours de l’œuvre, et le chœur, la plupart du temps utilisé sous forme d’intrusions verticales très sobres, s’appuie sur quelques agrégats - repères dont on peut apprécier les retours souvent exacts dans l’exemple 3, retours parfois enrichis, une fois sans la basse pour deux d’entre eux, parfois également de manière isolée pour le quatrième (mesures 123, 128, 170, 179).

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V - Asymétries formelles

La segmentation proposée par le compositeur correspond à une macro-structure dont on  peut remarquer les proportions internes irrégulières, la première des quatre parties occupant plus de la moitié de l’œuvre. Cependant, cette large section initiale est conçue d’une manière beaucoup plus diversifiée que les trois suivantes, respectivement consacrées au chœur statique, au solo de la soprano alternant avec l’alto et avec la résurgence  fragmentaire des tierces si - aux timbales, et enfin au quadruple énoncé du thème-citation. Voici une déclinaison plus détaillée du plan proposé par Feldman, précisant notamment, pour chaque sous-partie, quel type de temps se déploie : 

Partie I (composite)

1 - ouverture déclamatoire (1-28, temps orienté)

2 - alternance (et superposition) chœur - alto (29-109, temps statique)

   - alternance (et superposition) chœur - alto lyrique (110-134, temps orienté)

3 - passage sur ostinato des timbales (135-168, temps figé)

4 - zone relâchée (169-210, temps amorphe)                    

Partie II (statique)

5 - micropolyphonie figée, double chœur (211-242, temps très statique - spatialisé)

Partie III (solistique)

6 - alternance soprano solo - alto solo (243-301, temps orienté)

   - résurgence du double chœur (302-313, temps statique - spatialisé)

Partie IV (mélodique)

7 - thème-citation sur ostinato, deux énoncés (314-359, temps fluide)

   - rappel du chœur (360-371, spatialisé)   

   - thème-citation, deux énoncés plus aigus (373-415, temps fluide)

   - rappel du chœur (416-427, spatialisé)

Un bref retour du chœur, scindé en deux dans la lignée du passage statique, et figé sur un unique agrégat, se loge entre les parties III et IV (solos et thème-citation). Cette fausse transition apparaît également, abrégée, au milieu de la section finale, et enfin en guise de coda. Dans ces deux derniers cas, l’ostinato sur quatre sons ne s’interrompt pas. Dans la quatrième partie, coexistent donc le flux du thème répété soutenu par le vibraphone, et un rappel de la stase spatialisée par le double chœur.

La partie initiale, quant à elle, débute par la « déclamation » de l’alto évoquée précédemment, qui s’enchaîne sans rupture avec les agrégats du chœur, non encore divisé. Durant un moment, l’alto dialogue avec les voix, mais de manière de plus en plus statique. Le principe d’expansion et de désinence est absent de ce passage. Lorsque le geste descendant de l’alto fait retour, en augmentation rythmique, il n’a donc plus la même fonction locale de clôture de phrase que dans l’ouverture ; il apparaît plus désincarné, à l’image des voix très sobres, très lisses. Cependant, ce dialogue calme entre l’instrument et le chœur se réchauffe momentanément d’une manière singulière et inhabituelle chez Feldman, qui nous donne ici cette impression de proximité avec le son qu’il évoque dans ses écrits, et évoque l’apparition partielle d’une couleur chaude, qu’on trouve dans les toiles du peintre : l’alto atteint par deux fois la nuance fortissimo, au moment où la phrase descendante se trouve à nouveau répétée, dans sa version en augmentation rythmique irrégulière.

Au-delà de simples réminiscences, les matériaux qui font retour, dans Rothko Chapel, permettent donc à l’auditeur de saisir les degrés variables de tension, de profondeur, d’intensité, dont se chargent les différents épisodes.

L’atmosphère du passage en ostinato qui suit (toujours dans la parte I) est très mystérieuse. Le statisme y apparaît stratifié : les timbales jouent la tierce si - sans discontinuer et en valeurs égales, les voix énoncent inlassablement des do et des ré bémol (soit les do uniquement, soit les deux sons ensemble), et l’alto se fige aussi sur des ré bémol entrecoupés de silences.

La dernière zone de cette grande partie initiale décidément bien composite est particulièrement relâchée. La première intervention de la soprano solo y côtoie des réminiscences de l’ostinato qui précède, et quelques agrégats du chœur. Cette zone conduit à la micropolyphonie statique signalée par Feldman comme seconde partie de l’œuvre.

VI - Conclusion

La conception d’une œuvre musicale dans laquelle abstraction et humanité sont mises en perspective l’une par rapport à l’autre, et où se sédimentent certaines données autobiographiques, met en valeur des dimensions qui restent ambiguës, ou au moins non évidentes, chez Rothko. Il s’agit de la question du deuil et de l’expression de l’absolu de la finitude. C’est en ce sens que Youssef Ishaghpour évoque cette expérience de la limite, toujours repoussée et repensée par la peinture de Rothko, lequel affirmait que « la seule chose sérieuse c’est la mort. Rien d’autre n’est à prendre au sérieux. »23 Feldman, de son côté, élabore un parcours, cette procession dont il parle, qui traverse des zones plus ou moins chargées d’expression et de réminiscences. Son œuvre peut être appréhendée comme le « tombeau » de Rothko, un ultime hommage  à son ami, mais aussi comme un lamento d’une portée plus large, qui invite à la concentration et au recueillement.

Rothko Chapel se présente comme une partition qu’il faut prendre le temps de découvrir, sous différents angles, afin de laisser éclore ses dimensions entrecroisées : saisir les modifications d’épaisseur du plan sonore, écouter les objets répétés à distance pour en apprécier les couleurs changeantes, se laisser absorber par la subtile progression vers le diatonisme final, ressentir les interactions entre les dimensions horizontale et verticale, entre la stase et le flux, avec tous les degrés possibles entre l’une et l’autre de ces qualités de temps et les ambiguïtés inhérentes à la perception qu’on en a. Écouter Rothko Chapel, c’est aussi se laisser amener vers la calme mélodie finale, portée par le halo obstiné du vibraphone. Et si l’on a la chance de l’entendre dans l’édifice prévu à cet effet, entouré des toiles de Rothko, on peut sans doute accéder à une véritable expérience de correspondance des arts.

Notes

1 FELDMAN Morton, « Entre catégories », Écrits et paroles, précédés d’une Monographie, par Jean-Yves Bosseur, Paris, L’Harmattan, 1998, p. 210.

2 Rothko et Johnson ne parviennent pas à s’accorder au sujet des plans, et c’est aux côtés d’Howard Barnstone, puis d’Eugène Aubry, que l’artiste achève la conception de l’ensemble.

3 Voir le site internet de la chapelle : http://www.rothkochapel.org/

4 ISHAGHPOUR Youssef, Rothko. Une absence d’image : lumière de la couleur, Tours, Farrago, 2003, p. 119-120.

5 Ibid., p. 116.

6 Interprétation de référence : Collegium Novum Zurich (dir. Jonathan Nott), Christophe Desjardins (alto), Basler Madrigalisten (dir. Fritz Näf). Solistes : Katrin Frauchiger (soprano) et Sibylle Kamphues (alto), CD æon 0425.

7 FELDMAN Morton, Écrits et paroles, op. cit., p. 66.

8 Id.

9 Mark Tobey (1890-1976), Adolph Gottlieb (1903-1974), Mark Rothko (1903-1970), Willem De Kooning (1904-1997), Clyfford Still (1904-1980), Barnett Newman (1905-1970), Franz Kline (1910-1962), Jackson Pollock (1912-1956), Philip Guston (1913-1980), Ad Reinhardt (1913-1967), Robert Motherwell (1915-1991), Robert Rauschenberg (1925-2008) ...

10 « Notre action n’était pas une contestation du passé. Se rebeller contre l’histoire, c’est encore y adhérer. Nous n’étions tout simplement pas concernés par le cours de l’histoire. Nous nous intéressions au son lui-même, et le son ne connaît pas son histoire. » (FELDMAN Morton, « L’angoisse de l’art », Écrits et paroles, op. cit., p. 190-191.)

11 BOSSEUR Jean-Yves, Monographie, dans FELDMAN Morton, Ecrits et paroles, op. cit., p. 59.

12 FELDMAN Morton, « Conférence de Francfort », Écrits et paroles, op. cit., p 300-301.

13 FELDMAN Morton, « Conférence de Darmstadt », Ibid., p. 313-314.

14 BENJAMIN Walter, « Sur quelques thèmes baudelairiens », Œuvres,volume III, Paris, Gallimard, 2000, p. 382.

15 BENJAMIN Walter, « L’œuvre d’art à l’ère de sa reproductibilité technique », première version (1935), Œuvres, volume III, op. cit., p. 75.

16 JOHNSON Steven, « Rotko Chapel and Rothko’s Chapel », Perspectives of New Music, Vol. 32, n°2, 1994, p. 14-15.

17 ADORNO Theodor W., « Arnold Schoenberg (1874-1951) », Prismes, Paris, Payot & Rivages, p. 137.

18 Id.

19 FELDMAN Morton, cité par DESJARDINS Christophe, livret du CD æon 0425, p. 6.

20 JOHNSON Steven, op. cit., 1994, p. 14.

21 FELDMAN Morton, cité par Jean-Yves Bosseur, op. cit., p. 66-67.

22 For Franz Kline (soprano, cor, carillon, piano, violon, violoncelle) en 1962, De Kooning (cor, piano, percussion, violon, violoncelle) et Christian Wolff in Cambrige (chœur) en 1963. Après Rothko Chapel, Feldman écrit également For Frank O’Hara (flûte, clarinette, percussion, piano, violon, violoncelle) en 1973, For Philip Guston (flûtes, percussion, piano et célesta) en 1984, ou encore For Samuel Beckett (orchestre de chambre) en 1987.

23 ROTHKO Mark, cité par ISHAGHPOUR Youssef, op. cit., p. 50.

Pour citer ce document

Joseph Delaplace, «Rothko Chapel de Morton Feldman : approches analytiques d’une « procession immobile »», déméter [En ligne], Articles, Thématiques, Le dialogue des arts, Textes, mis à jour le : 18/06/2015, URL : http://demeter.revue.univ-lille3.fr/lodel9/index.php?id=430.

Quelques mots à propos de :  Joseph Delaplace

Maître de conférences en analyse musicale à l’Université Rennes 2.